Le 6 février, je présente à la Cinémathèque française, Belladonna des tristesses (Kanashimi no Belladonna, 1973) d’Eiichi Yamamoto, adaptation érotique et psychédélique de La Sorcière de Michelet.
Produite par Osamu
Tezuka, le père du Roi Léo et d’Astro Boy, il s’agit du
dernier opus d’une trilogie de dessins animés pour adultes comprenant Les Milles et une nuit (1969) et Cléopâtre (1970). Ce véritable opéra-rock à
la folle imagination s’inscrit dans la culture underground et érotique de
l’époque, proche autant du baroque de Shuji Terayama que du cinéma pink du
révolutionnaire Koji Wakamatsu. Comme chez l’auteur de La Vierge violente, les
tortures dont est l’objet la sorcière ne servent pas une apologie de la
soumission mais au contraire de la libération féminine.
Si on reconnait le
style de Tezuka dans les deux premiers films de la trilogie, Eiichi Yamamoto
conçoit Belladonna comme une aventure graphique
inédite : parfois seulement crayonnés, aucun dessin n’est lisse et les encres
et aquarelles produisent des matières mouvantes et inattendues. Empruntant à
l’Art Nouveau, Gustav Klimt, Aubrey Beardsley mais aussi au Yellow Submarine de
George Dunning, il s’agit davantage d’une série d’illustrations à l’animation
parfois succincte mais hypnotique.
Sa beauté réside dans ses transformations symbolistes : le corps de Belladonna se fend en deux à partir du sexe dans un geyser de sang qui se transforme en vol de chauves-souris. Autre scène folle : la jouissance éperdue de la sorcière nue, engloutie dans l’ombre gigantesque du prince des ténèbres (auquel le mythique Tatsuya Nakadai prête sa voix) qui se dilate, et se contracte autour de son corps et blanc. Avec sa cohorte de femmes brûlées, torturées ou crucifiées de peur que leur jouissance ne dévore le monde, Belladonna respecte à la lettre le caractère visionnaire et féministe du livre de Michelet.
Le 24 septembre 2011, j’avais trouvé à la foire du cinéma d’Argenteuil, ce jeu complet de photos d’exploitation françaises, accompagnant sa sortie en 1976.
On a peu d’informations
sur Kuni Fukai, le directeur artistique de Belladonna, sinon qu’il s’agit d’un illustrateur né en 1935, et qu’il
serait encore vivant. Une autre de ses collaborations, moins flamboyante
visuelle est Hoshi no Orpheus (1978) de Takashi d’après les métamorphoses
d’Ovide. Une collecte d’image permet de constater que Belladonna est l’application directe de son style et de ses
techniques telle que l’aquarelle. Jeanne la sorcière apparaît comme l’idéal
féminin de Kuni Fukai.
Si Beardsley et Klimt sont les influences revendiquées de Kuni Fuka, on peut déceler des correspondances avec le travail du dessinateur allemand Alastair (Baron Hans Henning Voigt, 1887 – 1969), pendant germanique d’Aubrey Beardsley. Ce grand décadent habillé de satin blanc, est surtout connu pour ses illustrations du Sphinx d’Oscar Wilde et de Carmen de Mérimée.
Autre influence perceptible : l'univeres moyenâgeux de l’irlandais Harry Clarke (1889-1931), grand illustrateur de Poe et d’Andersen.
avec Eiichi Yamamoto en octobre 2013
On ne soupçonne décidément pas l'influence qu'a pu avoir Michelet, complètement inattendu dans le Japon des années 1970. Sinon, n'y a-t-il pas un air entre cette Belladonna et Françoise Dorléac ?
RépondreSupprimerUn excellent article très pointu et qui donne à voyager. Le boulot de Kuni Fuka est vraiment très excitant.
RépondreSupprimerUn très beau texte, et un superbe travail d'illustration !
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