J’ai découvert ce disque il y a cinq ans et je me suis mis à l’écouter sans arrêt. Il a couvert une étrange période de ma vie où je me sentais moi-aussi passer du côté du côté de la pluie et de la vapeur. Curieusement, cette musique composée des sons mêmes du monde, m’a permis de dériver tout en restant amarré à celui-ci. Profitant de la nature cinématographique de l’album, j’avais écrit ceci pour Les Cahiers du cinéma. Mais le film dont elle a été pour moi la bande-son, personne ne l’a jamais vu.
Le projet de Sakamoto avec Async était, comme il l’expose dans le livret, de « collecter les sons de choses et d’endroits, comme les ruines, la foule, les marchés, la pluie» et de créer une musique faite de vapeur, en transformant en brouillard les chœurs de Bach. Sakamoto ne s’éloigne pourtant pas du cinéma puisque Async est également conçu comme la BO d’un film imaginaire d’Andrei Tarkovski et un hommage à Edouard Artemiev, son compositeur. Outre l’impact du film sur les musiciens électroniques, les quelques minutes de voyage sur les voies d’autoroute suspendues de Tokyo avaient suffi pour incruster Solaris dans l’imaginaire Japonais et faire de Tarkovski un cinéaste asiatique.
On reconnait les accents de Solaris, qui donne d’ailleurs son titre à l’un des morceaux, et l’on peut sans rupture enchaîner l’écoute des deux disques, les sons du shô et du shamisen se mêlant aux orgues cosmiques. Hanté par les voix d’amis éloignés ou disparus, Sakamato dans Async, belle planète mélancolique, fait se croiser son gémeau David Bowie dont il retrouve les accents de la trilogie berlinoise, son complice David Sylvian (qui lit ici les poèmes de Tarkovski) ou Bernardo Bertolucci puisqu’il reprend les dernières paroles d’Un Thé au Sahara dont il composa la musique : « Combien de fois verras-tu la pleine lune se lever? Peut-être vingt. Et pourtant, tout paraît être sans limites. »
Ce que dessine le film est évidemment émouvant : une communauté d’artistes, voyageurs et rêveurs, que la musique et le cinéma ont réuni par-delà le temps et les continents, et dont Sakamato est l’un des derniers survivants.