Des chambaras pop des années 60-70, Lady Snowblood (1973) est l’un des plus hypnotiques. Adaptant un très beau manga de Kazuo Uemura (Lorsque nous vivions ensemble), Toshiya Fujita signe un poème blanc et rouge, à la fois stylé et barbare, n’hésitant pas à accompagner de musique rock les combats de son héroïne. Yuki (neige) est une damnée, un montage baroque de motivations vengeresses. Sa mère, condamnée à la prison à perpétuité, ne l’a conçue que comme l’instrument de sa vengeance, d’ailleurs posthume puisqu’elle décède en la mettant au monde.
Un tel personnage ne pouvait être incarné que par Meiko Kaji, la grande tragédienne du film de sabre, poursuivant la voie mutique et cérémonielle de la série La Femme scorpion. Fantôme vengeur de sa propre mère, elle traverse cet effroyable roman-feuilleton avec un visage de pierre où seuls brillent des yeux de chat sauvage. La décennie précédente avait vu nombre de sabreurs œdipiens, souvent incarnés par le « nihiliste » Raizo Ichikawa, hantés par des pères monstrueux.
La version féminine n’est pas moins violente lorsque Yuki, vêtu d’un kimono blanc et transformant son ombrelle en sabre, traverse littéralement des flots de sang. Lorsqu’il ne jaillit pas des carotides en geyser, il est symbolisé par de la poussière rouge, comme si Lady Snowblood se battait à l’intérieur du sang maudit de sa mère. Le récit est finalement intimiste puisqu’elle parvient à se libérer de cette prison maternelle pour retrouver ses propres émotions et sensations. Yuki étant parvenu au bout de son destin, le second épisode (1974) pourrait sembler plus anecdotique. Pourtant, la voir choisir le camp des anarchistes plutôt que des nationalistes souligne bien la veine libertaire de Toshiya Fujita.