vendredi 29 octobre 2021

Conte des chrysanthèmes tardifs




On croirait d’abord à un classique récit d’apprentissage. Kikunosuke, fils adoptif d’une puissante dynastie kabuki mais acteur médiocre, renonce à son rang pour épouser Otoku, une jeune nourrice. Il intègre une modeste compagnie itinérante, et y forge un talent qui lui permet in fine de retrouver son milieu d’origine. L’expérience de la pauvreté ferait ainsi éclore, tel un chrysanthème tardif, la vérité de l’acteur. Le retour du fils prodigue s’avère un sombre triomphe, le clan contraignant Kiku à renoncer à sa compagne. C’est d’ailleurs Otoku elle-même qui choisit de s’effacer, avec une abnégation forcenée qui en fait une héroïne purement mizoguchienne. Le théâtre kabuki et ses codes permettent à Mizoguchi d'inscrire Otoku dans une forme purement plastique : « une idée (et non une nature) », comme l’écrit Barthes au sujet des onnagata, ces acteurs japonais spécialisés dans les rôles féminins. Otoku disparait pour qu’une autre femme puisse s’épanouir, celle chimérique et théâtrale que Kiku interprète, princesse statufiée par le fard blanc et un lourd kimono presque sculpté. Face au bourreau maniant une immense hache, elle exécute une véritable danse de mort. 



Dans un monde estompé, littéralement sans soleil puisqu’aucune scène ne se déroule à la franche lumière du jour, Mizoguchi élabore un récit spectral, encore plus troublant que celui de la lune vague après la pluie. C’est une pièce classique, maintes fois adaptée au cinéma, qui ouvre le film : Les Spectres de Yotsuya (1825) de Tsuruya Namboku dans lequel Oiwa, une musicienne défigurée et poussée au suicide par un samouraï cruel, revient d’outre-tombe accomplir sa vengeance. Mizoguchi choisit le final de la pièce, lorsqu’Oiwa s’élève des marais, en compagnie d’un autre fantôme, un masseur également assassiné. Grâce à un trucage scénique propre au kabuki, un même acteur interpréter les deux personnages. Ainsi, non seulement Mizoguchi place en exergue une célèbre figure de martyre, mais il définit le comédien par sa capacité à conjuguer les genres. C’est comme si, à chaque acteur était couplé un fantôme féminin représentant rien moins que la tragédie elle-même, dans sa forme la plus pure. Sans elle, l’homme de scène n’est que technique, comme ces samouraïs sans âme, froides machines à tuer, qui au final sont toujours défaits par des vagabonds hirsutes, aveugles ou nihilistes. C’est par exemple, une autre figure de l’androgynie, son ami Fuku, qui aide Kiku à revenir au sein du clan en lui offrant, le temps d’une représentation, son personnage de princesse condamnée. 



Barthes voit dans l’onnagata la forme extrêmement pure de la combinaison des signes du féminin. Pourtant chez Mizoguchi, une telle créature, entièrement intellectuelle et insensibilisée ne serait pas considérée comme un acteur d’exception. Ce qui creuse la différence justement est ce qui échappe  au code et à la copie. On ne voit jamais Fuku sur scène mais, lorsque derrière un voile créant un superbe effet de trame, il observe Kiku interpréter la princesse, il n’est qu’un frémissement d’amour. Kiku est proche d’atteindre cette grâce blessée, mais une dernière touche manque pour achever le chef-d‘œuvre. En rendant son dernier souffle, il reviendra à Otoku de la lui donner. Elle incarne alors cet amour qui ne demande rien en retour, cette abnégation totale et presque surhumaine. Elle ne cesse d’être la « nourrice » qui jusqu’à la fin alimente le jeu de Kiku. Ainsi, le triomphe de l’acteur qui salut cérémonieusement la foule, devient l’élégie funèbre de l’épouse, et leur descente commune au tombeau. C’est parce qu’il intègre à son art le fantôme d’une femme sacrifiée que Kiku devient un grand comédien.





Yakuza Autumn 1

 


2 octobre

Prison Boss / Gokuchu no kaoyaku (1968) de Yasuo Furuhata



Dans ce superbe ninkyo contemporain, le duo Takakura-Ikebe interprète une tragique histoire carcérale, très bien écrite, où l’on comprend comment la vie des yakuzas se joue entre la prison et la liberté. Mais en définitive, les affaires des clans se poursuivent en prison, et la vie au dehors n’est jamais la liberté. Le code d’honneur est la prison permanente de ces hommes. Takakura commence à avoir un visage minéral de plus en plus fascinant tandis qu’Ikebe poursuit sa série de personnages maudits déchirés par le devoir. 



Yasuo Furuhata, un des meilleurs cinéastes du ninkyo, enchaîne les scènes magnifiques comme la mort d’un boss à travers la vitre d’un café où passe une douce musique jazzy, les pantomimes des prisonniers devant un film de catcheuses, un détenu suicidaire jouant de la guitare devant un feu de camp, le sacrifice d’un vieux yakuza dans la prison, et bien sûr une nouvelle marche vers le destin de Takakura. 



Il n’emprunte plus un chemin nocturne éclairé par les lanternes mais les gradins d’un vélodrome, sa veste enroulée autour de son cou. Un dernier regard de Junko Fuji, se séparant une nouvelle fois de son amour, le visage sombre de Takakura derrière la vitre de la voiture de police ; le ninkyo n’en finit pas de remettre en scène la nostalgie d’un monde où primerait avant tout l’honneur, sans encore s’avouer qu’il n’a jamais existé.



 

3 octobre

Yakuza Ladies / Gokudo no onna-tachi: San-daime ane (1989) de Yasuo Furuhata



La série exploite visiblement le succès de The Yakuza Wives d’Hido Gosha, Yoshiko Mita décalquant le rôle de la boss interprétée par Shima Iwashita. Il s’agit d’une classique histoire de succession à la tête d’un clan, la veuve de l’oyabun intrigant pour placer son protégé, Akamatsu. Celui-ci tout juste sorti de prison ne met guère de cœur à l’ouvrage et semble plutôt entraîné dans des affaires sentimentales. 



Le scénario n’exploite malheureusement pas cette idée d’un yakuza peu ambitieux, et d’une boss devenant une sorte de Lady Macbeth. Ces séries étaient l’occasion de donner des rôles haut en couleur à des actrices plus ou moins célèbres des années soixante,  ainsi Yoshiko Mita en belle diva yakuza. La mise en scène, un peu plate et télévisuelle, démontre que les splendeurs de Yasuo Furuhata sont bien loin, mais se rattrape dans un kitsch années 80 très réjouissant.



 5 octobre

Fudatsuki bakuto / A Wad of Notes (1970) de Shigehiro Ozawa



Guerre des clans pour prendre le contrôle de la fête des lanternes. Ozawa, ponctue le film d’effets de style comme ce combat en ralenti filés anticipant ceux de Wong Kar-wai, et un massacre final d’une grande sauvagerie, en clairs obscurs, où jamais Tsuruta na été autant enragé. Ozawa multiplie les gros plans de son visage, conscient qu’il capte quelque chose d’inédit chez cet acteur jouant davantage de son charme que de la pure brutalité.


 

Il offre également un beau rôle héroïque à Asao Koike, excellent acteur de comédie, et à Minoru Oki qu’on a toujours plaisir de retrouver hors de ses rôles de traitres. Le trésor du film est l’actrice Akiko Kudo en femme yakuza maniant le pistolet. Si l’on peut penser que son rôle est calqué sur ceux de Junko Fuji, elle parvient en quelques scènes à la surpasser en faroucherie et en émotion. La fascination du cinéaste est perceptible à chaque plan. Sans doute est-ce pour elle qu’Ozawa invente une des plus belles mises en scène de tous le ninkyo eiga : une conversation entre Kudo et Tsuruta se déroulant en fondus enchaînés, comme si les deux personnages se frôlaient sans jamais réussir à s’atteindre. Le même effet revient lors de la mort de Kudo, plongeant leur relation, comme bien souvent inaboutie, dans la plus grande mélancolie.



 6 octobre

Nouveau sens du devoir fraternel / Shin Kyodai Jingi (1970) de Kiyoshi Saeki.



Bunta Sugawara sort de prison, bien de décidé à quitter le monde des yakuzas pour vivre auprès de sa femme et de son fils. Lorsque son oyabun le désigne comme successeur, il s’attire la rancœur du fils légitime. Celui-ci se laisse influencer par deux yakuzas dont le but est de liquider Bunta et ses deux frères de sang pour prendre le pouvoir sur le clan. Le scénario donne lieu pendant la majeure partie du film à un Ninkyo Eiga classique, la mise en scène de Saeki, bien qu’élégante étant sans surprise.  Il faut dire que  nous sommes un cran en dessous de A Wad of Notes que j’avais vu la veille. Même Akiko Kudo, fascinante chez Ozawa tient un rôle plus convenu d’épouse de yakuza, forcément sacrifiée. Pourtant, le film opère un retournement lors du massacre final. Au niveau plastique, avec des angles inédits comme cette plongée verticale sur le combat de Saburô Kitajima. Bunta Sugawara s’impose également comme un corps très différent de ceux de Tsuruta et Takakura, sa maigreur le prédisposant à une forme de martyr. 




Il y a un maniérisme évoquant des peintures de la Renaissance, dans les poses, et le sang maculant les peaux tatouées. Le scénario s’avère aussi plus complexe puisque les deux yakuzas ne tuent pas le rejeton ayant pris part au complot. Ce que visent surtout Saburô Kitajima et Bunta Sugawara est d’éliminer les félons gravitant autour de lui et le forcer à devenir un bon oyabun. Le jeune maître devra se montrer digne de leur sacrifice. Le dernier plan sur le visage de Saburô Kitajima (dont la chanson accompagne la marche vers le destin) est particulièrement magnifique.




 

9 octobre

Patience has en end / Gorotsuki Mushuku (1971) de Yasuo Furuhata



Ken Takakura, naïf villageois monté à Tokyo, rejoint un groupe de marchands ambulants persécuté par des yakuzas. D’une durée inhabituelle de 110mn, tourné en décors naturels et se passant à l’époque contemporaine, Patience has en end mise plus sur le mélodrame que sur la violence qui n’explose que lors du massacre final. 




Je me demande s’il ne s’agit pas de profiter du succès des Tora-san, lui aussi un colporteur naïf et au grand cœur, en faisant jouer à Takakura un relatif contre-emploi. La maîtrise du sabre par Takakura semble d’ailleurs peu en accord avec son statut de villageois. C’est comme si ses rôles passés reprenaient possession de lui et le laissaient à la fin comme sonné, regardant ses mains ensanglantées. Un excellent casting de seconds rôles avec Fumio Watanabe en chef yakuza sans scrupule et maussade et Takashi Shimura (Vivre de Kurosawa) en bon chef paternaliste.



 

12 octobre

The path of the king / Nihon yakuza-den: Sôchiyô e no michi (1971) de Masahiro Makino



J’ai vu une soixantaine de films de yakuzas, dont au moins quarante de la Toei donc répétant les mêmes histoires, les mêmes situations avec les mêmes acteurs. Et vous savez quoi ? Je les ai presque tous aimés bien qu’à des degrés différents. Cette immersion pourrait me faire réfléchir sur moi-même et à mon propre goût pour la sérialité et la répétition. Ici nous sommes en 1971, et cela fait au moins huit ans que le grand cycle de la Toei a commencé. Nul révisionnisme du genre chez Masahiro Makino qui de toute façon vient d’un temps encore plus reculé, dans les années 20. Cela fait donc cinquante qu’il tourne et The path of the king est son avant-dernier film. Suivra Junko se retire : La Grande Famille des cerisiers rouges du Kantō, le film d’adieu de Junko Fuji. Makino est réellement le vénérable oyabun du film de yakuza. The path of the king est un yakuza eiga impeccable où l’on retrouve le trio mythique Koji Tsuruta, Ken Takakura et Tomisaburō Wakayama. Le face à face entre Tsuruta et Takakura montre toute la maitrise qu’ont acquis les deux acteurs : tout n’est entre eux que regard admiratifs et émus devant la loyauté et la dignité de l’autre. Pourtant le véritable sujet n’est pas la rivalité entre clans ni même la fraternité mais le destin d’une femme magnifiquement interprétée par Yumiko Nogawa, la joueuse de The Cat Gambler et pionnière des femmes yakuza. 



Nogawa est obligée de renoncer à Takakura car ce dernier s’est effacé au profit de son frère de sang Wakayama. Prise dans un complot qu’il serait fastidieux de relater, la jeune femme fuit, devient prostituée et contracte la tuberculose. Ce personnage de mélodrame est, au fond, détruite par la loi des clans. « Je ne suis pas votre esclave » dira-t-elle, mais toute liberté lui est quand même refusée. 




A la fin, c’est son deuil que porteront les deux frères ensanglantés, comme si le sang sur le mouchoir de la tuberculeuse les recouvrait. Ce que révèle Makino est que, pour un yakuza, la chose le plus difficile à supporter est l’amour d’une femme.





15 octobre

Three Yakuza / Matatabi san ning yakuza (1965) de Tadashi Sawashima






Un film à sketch mettant en valeur Kinnosuke Nakamura, Tatsuya Nakadai et Hiroki Matsukata dans le rôle de yakuzas de l’ère Edo. Nakadai tombe amoureux de la prostituée dont il est le gardien et se sacrifie pour elle. Matsukata se sacrifie également pour qu’un père (Takashi Shimura) et sa fille (Junko Fuji) se réconcilient.



Dans un rôle comique, Nakamura joue un yakuza pleutre, n’ayant jamais combattu personne, que des villageois chargent de tuer l’officier qui les rançonne. 



Le film dure plus de deux heures et est clairement une production de prestige pour la Toei ayant engagé la star Tatsuya Nakadai pour l’occasion. Son sketch est évidement le plus beau, chaque gros plan de ce merveilleux acteur étant inattendu, et atteignant une émotion rare. 






On se prend à rêver d’un Kwaidan du film de yakuza. Sawashima n’est pas Kobayashi mais c’est un artisan talentueux et raffiné. Une musique de jazz, presque funk, donne une touche insolite et joueuse à ce beau film.



 

18 octobre

Les Fleurs Rouges du Courage / Nihon jokyo-den: makka na dokyo-bana (1970) de Yasuo Furuhata



Yasuo Furuhata tourne ce qui n’est rien d’autre qu’un western japonais, localisé à Hokkaido dans les années 1900. Il s’agit au premier abord de la lutte entre des éleveurs de chevaux et des yakuzas qui veulent s’emparer du plus grand marché équestre du Japon. 




Le film est pourtant bien plus complexe lorsque Junko Fuji se rend compte que son père, figure héroïque du syndicalisme, a spolié des paysans pour imposer l’élevage des chevaux. Ken Takakura est le fils de l’un d’eux et nourri une haine envers les éleveurs. Chez ces enfants qui héritent des conflits de leurs père se joue un âpre combat moral. 




L’autre beauté du film est sa dimension paysagiste qui en font un poème lyrique à la gloire des plaines et des lacs du nord du Japon, et rend hommage au peuple Aïnou.  Comme si son caractère enivrant parvenait pour une fois à enrayer la machine morbide des règlements de compte et des dettes d’honneur, Les Fleurs Rouges du Courage est l’un des rares ninkyo à s’achever par un happy end. On n’oubliera pas cependant la mort très sanglante d’une femme au ralenti, véritable éclosion de la fleur rouge où Junko Fuji va puiser le courage d’affronter les yakuzas.



 

21 octobre

Bloodiest Flower / Nihon jokyo-den-ketto midare-bana (1971) de Kôsaku Yamashita



Etrange série que ces Nihon jokyo-den sans lien apparent entre les épisodes sinon que Junko Fuji, passant d’une époque et d’un personnage à l’autre, se retrouve à chaque fois la boss d’un monde d’hommes. Ici il s’agit classiquement d’une mine de charbon rançonnée par des convoyeurs sans scrupule. Son inscription exclusive dans un genre méconnu à fait négliger Junko Fuji par les cinéphiles. 




Il est vrai que son jeu est daté et qu’elle représente une femme très traditionnelle alors que Meiko Kaji et même son aînée Ayako Wakao faisaient déjà bouger les lignes. Pourtant, cette actrice de mélodrame, à la plastique parfaite, pouvait faire naître l’émotion en un battement de paupière. Junko Fuji fut aussi une femme d’action mêlant fureur et grâce absolue.  Fille d’un patron de la Toei affilié aux yakuzas (peut-être un de ceux qui permit la mainmise du Yamaguchi-gumi sur la firme), c’est ainsi qu’elle entra adolescente dans le monde des ninkyo interprétés par Koji Tsuruta et Ken Takakura qui restèrent ses partenaires jusqu’à la fin.  



Son image d’une pudeur extrême (à peine si elle dévoile une épaule dans un épisode de La Pivoine rouge) ne survécut pas aux années 70 et à l’escalade dans l’érotisme.  Kôsaku Yamashita est avec Makino, Sawashima et Furuhata l’un de spilliers du ninkyo classique de la Toei. Bloodiest Flower montre encore une fois sa maîtrise dans un film plus long qu’à l’accoutumé (1h50) mais aussi son lyrisme, faisant se succéder les portraits « en feu » de Junko. Le combat final est étonnant, chaque mort se concluant par un arrêt sur image.

 


25 octobre

Trials of an Okinawa Village / Nippon jokyô-den Gekitô Himeyuri-misaki (1971) de Shigehiro Ozawa



Junko devient la boss d’une société de camionneur dans ce film dont l’intérêt principal est de se dérouler après-guerre sur l’île d’Okinawa, comme c’était le cas pour Hokkaido dans Les Fleurs rouges du courage. Comme dans beaucoup de séries B japonaises, il est difficile de dater précisément l’action, la reconstitution historique étant minimale. L’île est encore sous domination américaine, et Junko parle du ressentiment des habitants envers l’île principale (Honshū) considérant Okinawa comme un lieu de passage et de villégiature. Une scène humoristique présente également le dialecte d’Okinawa, incompréhensible pour les non-résidents. Junko s’écarte de ses rôles traditionnels : la peau bronzée, portant des vêtements militaires masculins et conduisant un camion. Une scène de danse finale pendant des funérailles la métamorphose en la ravissante geisha qui ont fait sa célébrité. 



Ces quelques rôles contemporains montrent le carcan où était enfermée Junko Fuji qui n’allait pas trouver sa place dans la seconde vague du film de yakuza orchestrée par Fukasaku, à la différence de ses  partenaires Koji Tsuruta et surtout Bunta Sugawara dont l’énergie allait faire merveille dans les Combats sans code d’honneur. On le retrouve d’ailleurs à l’affiche de Trials of an Okinawa Village, ainsi que Bim Amatsu, traditionnel chef de clan sans morale de la Toei.



 

26 octobre

Glorious Fights / Jigoku no okite ni asu wa nai (1966) de Yasuo Furuhata



Un des plus beaux films de Furuhata et un des plus audacieux. Ce n’est pas le récit, très classique, qui surprend mais le personnage de Ken Takakura, un yakuza malade des radiations atomiques qui l’ont atteint enfant à Nagasaki, qui l’éblouissent et le font s’avanouir. Le personnage, très mélancolique, est lancé dans un ultime combat auquel il ne croit plus vraiment. Il a beau encore suivre les directives de son chef qui l’a aussi élevé,  lorsqu’il assassine le chef du clan rival celui-ci n’est qu’un homme sans défense, le regardant un peu interloqué. 



Le génial Kei Sato, acteur fétiche d’Oshima, interprète un yakuza ordinaire, à peine plus ambitieux que le chef de Takakura. Furahata fait durer quelques secondes de plus que nécessaire leur échange de regard, comme pour signifier le trouble des deux hommes. Mais aussi sans doute pour imprimer un rythme différent à la mise en scène, plus flottant et insolite. Incontestablement, c’est un film où le cinéaste a mis beaucoup de lui-même. La musique est un décalque du Concerto de Aranjuez, et prend des allures de boléro lors de longue scène finale où Takakura, blessé à mort, tente de rejoindre la femme qu’il aime et embarquer pour une mythique île aux fleurs. Il est déjà à terre et encore loin du quai mais Furuhata enchaîne une suite de courts travellings sur le visage de Yukiyo Toake, comme la projection de Takakura vers un bonheur inaccessible. Un film magnifique qui renforce encore ma vénération pour Ken Takakura peut-être conscient qu’il trouvait un rôle à la mesure de sa sensibilité.