Dans le numéro de mai de Positif, la critique de Cérémonies par Ariane Allard m’a fait un immense plaisir.
par Saitoh Yusuke |
Voilà un récit peu ordinaire ! Car oui, il s'agit tout autant d'une analyse que d'un récit. Touffu, méticuleux et pourtant haletant, il se lit d'une traite, heureusement transcendé par l'originalité de son point de vue et la vivacité de son écriture. Sans doute son sujet appelle-t-il au départ une telle combinaison de qualités. Comme son sous-titre l'indique, Cérémonies nous plonge au cœur de L'Empire des sens, grand classique sulfureux de Nagisa Oshima. Il y sera donc question de liberté d'expression et de passion, mais encore de sexualité taboue, de domination, de pouvoir, de crimes, de censure, de procès. En bref, de chaos, de ténèbres et de combats (à tous les niveaux...). Des thématiques délicates à manier certes, mais riches donc particulièrement engageantes.
Reste que si ce «petit» ouvrage se distingue autant, c'est aussi parce que son auteur, Stéphane du Mesnildot, l'un des piliers de l'analyse contemporaine du cinéma asiatique, conjugue, tout le long, rigueur historique (le film s'inspire d'un fait divers et de procès qui firent grand bruit au Japon) et profonde empathie pour l'une des figures centrales de cette épopée scandaleuse. Et l'on ne parle pas, ici, d'Oshima... Autant dire que sa démarche se révèle aussi inhabituelle que pertinente.
De fait, nous rappelle-t-il fort justement, si L'Empire des sens révolutionna bel et bien le cinéma mondial en 1976, il faut, pour le comprendre, revenir tout d'abord à celle qui inspira son auteur : la véritable Abe Sada, femme aux cent visages, tour à tour jeune fille violée, geisha, prostituée, amante criminelle, martyre de la condition féminine japonaise et personnalité publique. Une figure des années 1930 à nulle autre pareille, qui fut avant tout une héroïne révoltée pour le flamboyant Oshima et permet in fine à Stéphane du Mesnildot de dresser le portrait fulgurant d'une femme libre (à quel prix !). De sa naissance en mai 1905 à Tokyo à la (houleuse) projection de L'Empire des sens à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes en mai 1976, le journaliste et critique, ancien des Cahiers du cinéma, choisit de retracer son destin hors norme en le contextualisant systématiquement (il fait de même pour le parcours du cinéaste). C'est une très bonne idée, car il donne ainsi à voir un regard neuf, non seulement sur un film (pourtant largement disséqué, stigmatisé et/ou célébré depuis près de cinquante ans) mais sur une société, une culture, un pays passablement patriarcal et hypocrite.
Par-delà les personnalités exceptionnelles d'Abe Sada et Nagisa
Oshima, on apprend donc beaucoup de choses, par exemple sur l'évolution du rôle
des geishas ou sur la production des films au Japon dans les années 1960 et
1970. Le plus remarquable étant que ces éclairages, très détaillés, ne gênent
en rien le panache du récit, donc le plaisir de la lecture.
Ariane Allard
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