C’est plus qu’une coïncidence mais un fait : mes amis
qui aiment la culture japonaise sont tous fans de David Bowie. Les raisons sont
évidentes, à commencer par l’attachement de Bowie lui-même au Japon, des fabuleux
costumes créés par Kansai Yamamoto pour le Aladdin Sane Tour à son
interprétation du Major Jack Celliers dans Furyo de Nagisa Oshima. Certaines
connexions sont plus souterraines, ainsi Masayoshi Sukita, l’un des
photographes attitrés de Bowie (de la période Ziggy Stardust à la pochette de
Heroes) est aussi le chef opérateur de Jetons les livres et sortons dans la rue
de Shuji Terayama. Avant Furyo où le
Japon de Riyuchi Sakamoto et la Grande-Bretagne de David Bowie se regardaient,
la rencontre avait déjà eu lieu entre le cinéma électrique, fardé et teinté de
rose de Terayama et le glam rock anglais.
Le hasard est toujours objectif.
Voici comment Shuji Terayama décrivait Masayoshi Sukita dans
Zoom n°45, juillet 1977
« C’est un homme
galant et moustachu.
Une fleur à la bouche lui irait bien.
S’il a avale de la salade en mettant un disque des Rolling
Stones, c’est qu’une atmosphère facile et frivole flotte autour de lui. Mais
cela n’est qu’un «masque» pour survivre dans le monde de la photo, gouverné par
le système marchand. En réalité, rien de cela ne l’abuse.
Il a souvent photographié des musiciens du monde entier.
Mais il a toujours tiré de ces portraits, non seulement la beauté du sujet,
mais encore les aspects vénéneux cachés derrière les expressions.
Les personnages étranges qui, dans ses films publicitaires,
disparaissent en un clin d’œil en en laissant derrière eux que leurs costumes,
ou bien encore ceux dont les visages deviennent invisibles, cachés par des
oiseaux, voilà ce qui montre assez ce qui l’incline vers le surréalisme.
Il s’est chargé des prises de vues de mon film Jetons les livres, sortons dans la rue.
Ses images comportent quelque chose de rarement vu dans le cinéma japonais.
Dans la scène de football, on a lancé la caméra à la place du ballon, et on a
joué le match. Dans la scène d’amour, l’actrice caressait la caméra.
Notre équipe était étonnée par ses tentatives d’introduire
la caméra à l’intérieur du drame, par son désir de faire participer la caméra
elle-aussi à la scène, au lieu de la cantonner à son rôle d’observateur.
Si les photographes essaient de saisir le monde invisible à
nos yeux - le monde imaginaire - Sukita serait vraisemblablement celui qui
s’ingénierait à être parmi les premiers. »