Attention, ce billet contient des spoilers.
Door est un curieux film, entrant dans
la catégorie du home invasion mais avec des préoccupations très
japonaises. Le home Invader, celui qui s'introduit dans la maison, est davantage défini par un terme anglais
passé dans le langage courant au Japon : le stalker. Un être
anonyme, obsédé en général par une femme ou une jeune fille, qui se met à la
suivre et se dissimule parfois chez elle. Ces personnages réels, au centre de fait-divers souvent tragiques, font partie des terreurs générées par la vie urbaine japonaise.
Le décor est typique des années 80, et deviendra celui
favori de la J-horror : un grand ensemble moderne et aseptisé qui, s’il était
laissé à l’abandon, aurait le même destin que celui de Dark Water. La solitude et
une mère de famille persécutée sont aussi les thèmes de Door. Yasuko, une jeune femme au foyer, y réside avec son mari et
son fils de 5 ans, Takuko. Le mari est un salaryman travaillant dans une
société informatique, encore une fois un métier de la bulle économique. Il
rentre épuisé du travail, fait une sieste, avant de s’occuper un peu de son
fils.
La scène où Takuko est endormi dans leur lit indiquerait que ce
couple poursuit une existence sans passion ni sexualité, centré autour de leur enfant.
Cette vie conjugale morne et répétitive donne lieu à un désastreux retour du
refoulé, pulsions qui chercheront à forcer la « porte » de l’appartement.
Celles-ci s’incarnent en la figure d’un représentant proposant des cours d’anglais
qui, blessé par la jeune femme refermant la porte sur sa main, va être pris d’une
passion violente pour elle. Réduire le home invasion à son élément
principal, la porte séparant la menace extérieur de l’intimité, est une idée
particulièrement brillante. C’est sur celle-ci que l’héroïne trouve inscrit :
« Je suis sexuellement frustrée, faites-le avec moi. » Graffiti autant
obscène que révélateur de son refoulement.
Alors que son mari est absent pendant trois jours, les coups de téléphone se multiplient, comme si l’un devenait de plus en plus présent alors que l’autre s’efface. Le « Je vous aime » du harceleur téléphonique lui revient perpétuellement à l’esprit, sans doute parce qu’on ne lui a pas dit ces mots depuis longtemps. Peu à peu, toujours à coup d’appels téléphoniques, l’homme étend son emprise sur sa vie, devinant lorsqu’elle sort de son bain ou l’épiant à la piscine.
Paradoxalement, cette femme d’une trentaine d’année, ni belle ni laide, à la sexualité dévitalisée, se met très légèrement à retrouver une forme de sensualité.
Avec ses traits fins et enfantin, le stalker échappe au cliché du
pervers forcément repoussant. Comme le mari, il est un agent dépersonnalisé de la surconsommation des années 80. Les deux acteurs pourraient sans problème échanger leurs rôles. Après des années à œuvrer dans le domaine
du roman porno et du film pink, Banmei Takahashi en connait bien les mécanismes.
Pourtant Door n’est absolument pas un
film érotique, ne flatte à aucun moment le voyeurisme du spectateur, comme si
la sexualité refoulée de l’héroïne fermait aussi à double-tour cette porte-là.
Le stalker parvient finalement à s’introduire chez la jeune
femme et, sous la menace, la force à préparer le dîner pour son fils et lui. Il
occupe alors la place du mari absent, et tente ensuite de la violer. Un travelling
étourdissant (et furieusement depalmien) en plongée totalement verticale, suit leur
combat à travers tout l’appartement qui révèle son statut de décor, mais
surtout d’espace mental.
Door a la
réputation d’être l’un des premiers films gore japonais, au même titre que Evil
Dead Trap sorti la même année. Mais il faut noter que les effets sanglants s’exercent
exclusivement sur la figure du violeur, massacré par la jeune femme, à la
fourchette à rôti et à la tronçonneuse. Pourtant, il semble que sa mort ne résout
rien, à part faire basculer la mère et le fils dans la folie. Alors même que l’agresseur
était dans l’appartement, un autre pervers téléphonait à Yasuko, faisant planer
un doute : les appels anonymes, le mouchoir remplis de sperme déposé dans
sa boîte à lettres, l’inscription obscène étaient-ils tous l’œuvre du représentant.
Combien de pervers se cachent dans la ville pour l’épier ?
En 1991, Banmei Takahashi offre une suite érotique, Door 2, Tokyo Diary, délaissant
le réalisme pour le baroque et un personnage de call-girl. La porte devient celle que va pousser la prostituée sans savoir quel homme se trouve derrière. Kiyoshi
Kurosawa tourne Door 3 en 1996,
ne retenant du premier film que l’idée du démarchage à domicile pour dévier
ensuite sur un récit à la Body Snatchers. Kurosawa avait saisi que l’angoisse principale
de Door résidait dans l’impossibilité
de préserver son intimité dans un monde parcouru de réseaux téléphoniques. Des êtres
spectraux, envoyés par les entreprises, pouvaient se glisser dans les maisons,
cherchant autant à nous vendre leur marchandise, qu’à s’emparer de nos âmes et
de nos corps.