Il y a au Japon sept divinités associées au bonheur ou Shichifukujin :
Ebisu (protecteur des pêcheurs et des marchands), Daikokuten (la richesse, le
commerce et les échanges), Bishamonten (les guerriers, et la loi bouddhique), Fukurokuju
(la longévité, la virilité et la sagesse), Hotei (l'abondance et la bonne santé),
Jurōjin (la prospérité). Fardée et apprêtée, Benzaiten, seule femme de ce panthéon, est la protectrice
de l'art et de la beauté, de l'éloquence, de la musique, de la littérature, des
sciences et de la vertu. A l’exception d’Ebisu issu du Shintô, tous sont des dieux
indous ayant transité par la Chine et qui, selon les chercheurs, auraient étés regroupés
artificiellement sous l’ère Muromachi (1392-1568) avant de trouver leur forme définitive
au 17e siècle. L’origine de Benzaiten est Saravasti, épouse, demi-sœur
et fille de Brahma, possédant les mêmes dons artistiques. Sa monture, un cygne
blanc, est remplacée au Japon par un serpent de mer car Benzaiten est une
déesse maritime, dont le culte est rendu dans les îles et sa guitare devient un
biwa. Divinité des arts et de la séduction féminine, elle est naturellement devenue
la protectrice des geishas dont le luth est également l’instrument de
prédilection.
Benzaiten par Aoigaoka Keisei (1832) Metropolitan Museum |
Dans un recoin de Kabukicho, entre les pachinkos les clubs
érotiques et les love hotel, se trouve un minuscule temple dédié à la belle Benzaiten. Devant l'autel est inscrit : « En l’honneur de notre
respect éternel pour Benzaiten, la protectrice du quartier ».
Si l’on
cherche l’esprit du lieu, la sainte du quartier, c’est ici qu’il faut aller. Kabukicho
n’était jusqu’à l’après-guerre qu’une terre marécageuse où de nombreux dieux
étaient célébrés. En avril 1945, sous les bombardements, les temples furent
dévastés. Seule la statue de Benzaiten put être sauvée par un de ses fidèles. Kihei
Suzuki, le chef de l’association de la reconstruction de Shinjuku de l’après-guerre,
l’homme qui voulu faire du quartier le centre de la vie théâtrale de Tokyo (d’où
l’appellation Kabukicho) fit construire ce petit temple pour héberger Benzaiten.
Il s’agit d’un des premiers actes de la restauration de Shinjuku. Son projet
théâtral échoua mais finalement Benzaiten, patronne des geishas, est tout à
fait à sa place au cœur du quartier rouge. Nul doute que bien des filles de Kabukicho
viennent faire leurs dévotions à Benzaiten au cœur de la nuit électrique.