Mutant Girls Squad |
On retrouve cet
esprit forain chez ses geishas robotisées, laissant tomber leurs kimonos pour
révéler des seins fusils, des mâchoires scies circulaires ou des lames
surgissant des fesses. A la différence de Nishimura, Iguchi ne découpe pas son
action en montage frénétique : il dresse de petites scènes théâtrales où
il exhibe frontalement ses créatures.
Tout en participant au
théâtre expérimental de Matsuo Suzuki (réalisateur du film culte Otaku’s in Love), Iguchi débute comme
réalisateur au début des années 90 dans l’enfer des Adult Videos. Son registre,
très particulier, est celui du porno scatologique. Dans ces productions, les
lycéennes rougissantes, parfaites victimes sadiennes, sont torturées par leur
propre monstruosité intérieure. Il faut évidemment avoir le cœur bien accroché
pour se plonger dans cette partie de la filmographie d’Iguchi, on en
recherchera plutôt les occurrences dans ses films traditionnels. Ainsi dans F for Fart, sketch de l’anthologie
américaine ABC’s of Death (2012),
deux amantes, une lycéenne et sa professeur, plutôt que de mourir des radiations
de Fukushima préfèrent s’asphyxier avec leurs propres gaz. En une fin bien plus
enchantée qu’écœurante on les voit flotter, nues, dans un nuage mordoré.
F for Fart |
Diptyque
sur la phobie de la nourriture et de ses métamorphoses, Zombie
Ass (2001) et Dead Sushi (2012) font
d’Iguchi une version otaku de Roland
Topor. « Ce que tu manges reviendra se venger », nous dit-il :
les sushis ressuscitent et, dotées de petites dents acérées, attaquent les
vivants. Zombie Ass se situe à
l’autre bout de la chaîne digestive et montre des ténias mutants posséder leurs
hôtes. C’est une étrange chimère qui apparaît lorsque le ver, émergeant des
fesses des humains, les fait marcher à quatre pattes. Chez Iguchi le corps
humain ne s’épuise jamais, ne cesse de se démonter et de s’hybrider en dehors
de tout tabou. « Enfant, j’ai vu une jeune fille se faire renverser par
une moto, se souvient-il, j’étais terrifié mais je ne pouvais m’empêcher de la
regarder. » Si on meure dans les films d’Iguchi et de son compère
Nishimura c’est toujours de façon extatique, dans des geysers de sang éclatant
sur fond de ciel bleu. Que signifie d’ailleurs la mort pour ces personnages
ayant le pouvoir de se régénérer sans cesse ? Dans Tomie
Unlimited (2011), dernier avatar d’une série de J-Horror, une adolescente
fantôme a le pouvoir de se reconstituer après les plus extrêmes démembrements. Comme le dit bien le titre, elle devient
« illimitée », non seulement dans son cycle de réincarnations mais
aussi en changeant de proportion, en dépassant la forme humaine et en
envahissant l’image.
On ne réduira pourtant pas
les films d’Iguchi à des délires visuels ou organiques. Bien plus écrits qu’on
ne le supposerait, ils mettent toujours en scène des rapports familiaux
violents. La famille parasitée par Tomie rejette sa propre fille ; la
rivalité des deux sœurs de Robo Geisha
(2009) gagne en violence lorsqu’elles perdent forme humaine et deviennent des
machines à tuer ; ce sont les expériences que le Pr. Tanaka pratique sur
sa propre fille qui donnent naissance aux ténias mutants ; ce sont encore
des figures paternelles écrasantes qui motivent l’apprenti cuisinière de Dead Sushi et le motard de Karate Robo Zaborgar (2011).
Zombie Ass |
Ce dernier
film repose sur une formidable idée de structure, Iguchi l’ayant scindé en deux
parties. La première est l’adaptation, avec une grande fidélité, d’un feuilleton
japonais des années 70. On y retrouve ce qui faisait le charme des X-Or de
notre enfance : ces villes seulement peuplées par les personnages (par
manque d’argent pour la figuration) et ces combats dans des entrepôts ou chantiers
(en fait les alentours des studios), comme si super-héros et extraterrestres,
dans leur grande politesse, ne voulaient surtout pas déranger les citadins.
Dans la seconde partie, se situant de nos jours, on retrouve le héros, âgé maintenant d’une cinquantaine d’année. Le jeune playboy est devenu un loser un peu ridicule, dont tout le monde a oublié qu’il avait autrefois sauvé le Japon. « J’ai fait vieillir le personnage en même temps que ses spectateurs, déclare Iguchi. J’ai voulu aussi montrer la difficulté des personnes âgées qui au Japon se retrouvent sans emploi. »
Dans la seconde partie, se situant de nos jours, on retrouve le héros, âgé maintenant d’une cinquantaine d’année. Le jeune playboy est devenu un loser un peu ridicule, dont tout le monde a oublié qu’il avait autrefois sauvé le Japon. « J’ai fait vieillir le personnage en même temps que ses spectateurs, déclare Iguchi. J’ai voulu aussi montrer la difficulté des personnes âgées qui au Japon se retrouvent sans emploi. »
Même si, et c’est tant
mieux, Noboru Iguchi ne réfléchit pas en termes de carrière (il fait un retour
au porno en 2009 avec l’hallucinant Hypertrophy
Genitals Girl mettant en scène une futanari,
soit une jeune fille avec un pénis gigantesque), nul doute qu’un de ces jours
la notoriété cinéphilique lui tombera dessus.
Avec Rina Takeda sur le tournage de Dead Sushi. Photo Norman England. Copyright 2012 Office Walker
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Propos de Noboru Iguchi
recueillis à Tokyo en janvier 2012
Les films de Noburo Iguchi
sont disponibles chez Elephant Films
(paru dans
Chronicart n°81, 2013 )