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mercredi 4 janvier 2023

Carnet de notes d’un bref retour à Tokyo



Après plus de trois ans d’absence, refaire ce chemin cent fois parcouru : sortir du Narita Express à Shinjuku Station, chercher sur les panneaux la sortie Est (une erreur peut être fatale et vous condamner à errer pour l’éternité, ou ce qui lui ressemble, dans ses couloirs), être un moment désorienté au carrefour où se croisent toutes les directions, mais trouver instinctivement l’escalier montant vers Kabukichô.



Je ne restais que peu de temps à Tokyo, à peine trois jours avant de m’envoler vers Busan en Corée du sud. C’était un choix de ne prendre que le pouls de la ville avant un plus long séjour, sans doute en été pendant la saison des fantômes.




J’avais choisi le même hôtel qu’en août 2019, en haut de la colline des Love Hotels de Kabukichô. Les hosts dominaient toujours le quartier mais certains avaient pris des visages de démons. Tokyo est plus que jamais une cité de masques et de spectres.





En remontant la rue, je me souvenais qu’il fallait tourner à droite, après une enseigne verte, tourner à nouveau droite et que l’hôtel se trouvait en face d’un club de kickboxing. 




Son nom n’est même pas un nom, juste une localisation tautologique. La chambre est spacieuse et n’a rien à voir avec les étouffants business hotels qui surplombent le quartier. La salle de bain qui compte une douche et une baignoire est elle-aussi gigantesque. Je n’ai jamais compris comment cet hôtel miraculeux pouvait par ailleurs afficher des prix défiants toute concurrences. Comme je n’y ai jamais croisé le moindre locataire, je suppose qu’il ne compte en réalité qu’une seule chambre et n’ouvre que pour moi.




2019 et 2022 se raccordaient enfin, mais ce n’était qu’un faux raccord. Dans la collure, bien des choses avaient changées, parfois imperceptiblement.


Pour exorciser les maléfices temporels, je me rendais dès le premier soir au bar justement nommé Le Temps, l’un des lieux les plus romantiques de  Tokyo, idéal pour rêvasser, écouter du Chopin, lire une lettre d’amour, déguster un cocktail préparé par un suave serveur, parler du cinéma français des années 60 et de Françoise Sagan, et bien sûr admirer la fresque de son créateur, le génial illustrateur Aquirax. 





J’ai également rendu visite à Benzaiten, la déesse du quartier, et son sanctuaire enchâssé entre les clubs et les love hôtels. Je me suis encore perdu dans l’énigme de ce visage parfait aux longs yeux effilés. 



Je suis aussi allé au temple Hanazono en bordure de Golden Gai. Je suis passé sous les toris rouges et j’ai tapé deux fois des mains pour qu’Inari, le dieu renard, écoute ma prière.




J’étais prêt. 


Dans l’immense bordel de néon de Kabukichô, une disparition notable : le Robot Restaurant. Ce palace kitsch de miroirs et de gigantesques amazones dorées a été fermé pendant le covid. Sa musique entêtante faisait partie du décor sonore du quartier. Peut-être rouvrira-t-il mais en attendant, il abrite un luxuriant club de showgirls.





La petite boutique d’uniformes d’écolières d'occasion de Nakanao Broadway, à côté de la librairie underground Taco-ché était introuvable. Je sais que tout le monde se moque de cette disparition mais j’y passais rituellement pour ramasser les derniers dépliants d’Olive des Olive, Hiromichi Nakano School, Benetton (qui fabrique des uniformes spécialement pour le japon), Candy Sugar ou Roco Nails petit gals school. Mon inutile collection s’arrête donc ici. Dans l’immeuble jouxtant le Mandarake de Shibuya, RecoFan le disquaire où je glanais des 33t d’Asakawa Maki ou Hako Yamasaki, a lui-aussi fermé (mais serait, m’a-t-on dit,  bientôt relocalisé). 

Sur les vitres du koban (commissariat) rond qui fait un peu office de point de rendez-vous à Udagawa-cho , les membres de l’Armée rouge japonaise sont toujours recherchés plus de cinquante après. Dans d’autres commissariat, une affiche signée du mangaka d’horreur Hideshi Hino, met en garde contre les arnaques téléphoniques.



Disparue : la Smoking Area de la sortie Est d’où je regardais l’écran géant de Studio Alta. A côté, l’immense affiche du garçon efféminé aux cheveux longs, avec sa chemise à carreaux rouges, avait été décrochée. J’oublie toujours de qui il s’agissait mais j’aimais cette présence immuable.

La sortie Est s’est cependant doté d’un nouvel habitant : un chat géant en hologramme qui miaule des comptines électriques, s’étire, et coiffé d’une casquette de policier délivre toute une série de consignes. 



C’est une nouvelle divinité qui règne sur le quartier en concurrence avec l’immense Godzilla  du cinéma Toho de Kabukichô. Je suis resté planté trente minutes à la regarder, fasciné, me disant que Chris Marker lui aurait à coup sûr réservé une place dans Sans soleil. Ce chat a-t-il un nom ? 

Ce félin « kaiju » est bien plus réjouissant que le Shibuya Scramble Square qui se dresse au-dessus de Shibuya Station. Sur 229 mètres de haut, ces 32.000m² de galeries commerciales furent inutilement érigées pour les JO de 2020.Malgré sa beauté architecturale, la tour achève d’enfermer la gare entre les gratte-ciels. Une sorcière plus sympathique survolait Shibuya : Yayoi Kusama pour son association avec Louis Vuiton.

 



Shibuya demeure cependant un haut lieu du dandysme tokyoïte et il suffit de traîner autour d’une smoking area pour observer des créatures à faire crever de jalousie les wannabes des fashion week parisiennes.



Ce n’est pas un réel changement mais il m’a semblé qu’il y avait toujours plus de boutiques Mandarake à Nakano Broadway et il est bien possible que la galerie marchande se nomme un jour « Nakano Mandarake ». Comme de coutume, avant de me perdre dans le labyrinthe des boutiques, j’ai déjeuné au Freshness Burger d’un délicieux burger avocado et d’un fantastique crispy chicken burger.




L’endroit où les changements sont imperceptibles demeure le Golden Gai.



Le bar Bali où j’avais rencontré Chiemi s’est déplacé dans une des rues parallèles. La vielle mama-san en kimono a été remplacée par une plus jeune, en kimono elle-aussi, qui ressemble à une affiche des années 30. 



Les touristes n’étant pas vraiment revenus et même certains habitués semblaient s’être évaporés pendant l’épidémie. Le quartier retrouvait l’allure de ville fantôme qui était la sienne lors de mes premières visites. 






Comme toujours je prenais quelques photos à travers les lucarnes, photos spirites de présences peu à peu estompées. Mais n’est-ce pas surtout moi qui à Tokyo me sent un peu irréel ?



J’allais faire un tour au Sea & Sun, tenu par l’exubérante Taru. Il s’agit d’un bar Pink ou burlesque et le « sex » qui manque à son nom est partout présent en peintures et colifichets, et dans les plaisanteries de la mama. Un client arborait un superbe T-shirt « Horrors of Malformed Men de Teruo Ishii.






Au bar Ace, le tout premier où je suis entré il y a  14 ans, je saluais bien entendu Tsuyoshi qui est presque le témoin de ma vie dans le quartier.  



Yuya, que je considère un peu comme le maire de Golden Gai, tient toujours le Darling, repère des cinéastes indépendants les plus délurés. 


Surtout, je retrouve Mami-chan à l’écarlate Bar Buster. Elle est l’une des âmes les plus généreuses de Golden Gai et la seule patronne que j’appelle de temps en temps « mama ». 

Je n’avais jamais pensé à lui demander l’origine du nom de son bar. Cette fan absolue des Runaways l’a tiré de Light of Days de Paul Schrader : The Barbusters est le nom du groupe où jouent Joan Jett et son frère Michael J. Fox.

C’est au Bar Buster que commença l'une de mes  plus étranges aventures à Tokyo.



J’ai traversé Kabukichô en compagnie d'une écolière fantôme.










(photos Constant Voisin. Yurei: Yuka)