30 octobre
The Yakuza (1974) de Sydney Pollack
Revoir Yakuza après mon immersion dans le ninkyo eiga est évidemment une étrange expérience. Ce qui paraissait exotique m’est désormais familier, tout comme Ken Takakura dont je connais désormais par cœur les expressions et la voix.
Et pourtant, Yakuza reste un film exceptionnel. D’abord par le projet fou de mixer le polar américain et un genre absolument inconnu en Occident, avec en vedette une de ses stars historiques. Dès les premières images, c’est Kyosuke Machida, une des icones du ninkyo-eiga, qui se présente devant nous de façon rituelle.
Comme une preuve du sérieux et du respect de Sidney Pollack et des frères Schrader, alors scénaristes, envers les codes d’un pays et d’un cinéma dont ils vont s’inspirer.
Paul Schrader reprend ses deux thématiques préférées. La Prisonnière du désert avec la fille (ici celle d’un gangster américain) enlevée dans un monde mystérieux et archaïque, et un vieux cowboy devant la retrouver. Mais aussi Pickpocket. « Pour aller jusqu'à toi, quel drôle de chemin il m'a fallu prendre, mon ami » est la phrase que pourrait prononcer Mitchum à Ken Takakura qui est ici comme un labyrinthe de silences, d’honneur et de douleur.
3 novembre
The Japanese Yakuza / Nihon kyôkaku-den (1964) de Masahiro
Makino
Un des premiers films de la série tentaculaire de la Toei
consacrée à la chevalerie yakuza. La belle mise en scène classique de Makino
pose les canons du genre mais permet aussi de mesurer les variations entre
social, mélodrame et baroque qu’insuffleront Yamashita, Tai Kato ou Furuhata. L’une
des surprises est l’absence de « marche vers le destin » pour une
série de règlements de compte et de morts héroïques des hommes du clan dans
différents lieux de la ville. Takakura semble par ailleurs étrangement exalté
par son sacrifice à venir. Comme il le dit à son clan : « Un homme
n’a pas plus qu’un vrai combat dans sa vie entière. S’il risque sa vie, vous
devez lui pardonner. A noter aussi la présence de Kinnosuke Nakamura qui
s’illustrera davantage dans le Jidai-geki et la série des Musashi que dans le
Ninkyo eiga. Ce qui est sans doute dommage à la vue de sa présence singulière,
son visage lunaire et sa sensibilité à fleur de peau.
Victory Without Death / Bakuchi-uchi: Fujimi no shôbu
(1967) de Shigehiro Ozawa
L’un des intérêts du film est d’avoir réellement la passion
du jeu comme sujet. Si le jeu est présent dans la plupart des ninkyo, bien peu
traite de son aspect maladif. C’est ce que parvient à retranscrire Ozawa avec
deux étonnantes parties de jeu de dé. J’avoue ne pas en avoir saisi les règles
mais comme souvent ce n’est pas si important, d’autant que les jeux japonais
sont à ce point ritualisés avec des gestes et exclamations récurrentes, qu’on
est emporté par le rythme. Ce jeu simple où les deux participants sont face à
face permet justement à Ozawa une superbe rythmique sur les visages et les dés
dans le gobelet. Dans l’une le vieux chef va perdre sa mine de charbon contre
un yakuza interprété par Tomisaburo Wakayama (pour une fois dans un vrai rôle
de méchant). Dans l’autre Koji Tsuruta met sa vie en jeu, toujours contre
Tomisaburo Wakayama, pour récupérer justement cette mine. Wakayama sera mauvais
perdant, ce qui provoquera sa mort. Mais en réalité ce qui semble importer
Ozawa c’est que les hommes dévorés par la passion du jeu sont tous égaux. Ils
ont le même visage possédé, qu’ils soient de bons ou de mauvais yakuzas.
12 novembre
The Flower and the Dragon / Hana to Ryu (1965) de Kosaku
Yamashita
Première partie d’un diptyque adapté d’Hinoa Shihei connu pour ses romans autobiographiques de guerre mais aussi pour ce récit de yakuza devenu un classique plusieurs fois adapté. Le film, qui se déroule vers 1905, reprend une trame de chanbara : à savoir un homme possédé par la lame brillante d’un couteau, auquel il a même donné un nom et qui est l’incarnation de ses pulsions violentes.
Le rapport avec le chanbara vient aussi de son interprète Kinnosuke Nakamura (la série Musashi de Tomu Uchida), aussi fiévreux que Tatsuya Nakadai. Le récit va donc suivre la métamorphose en yakuza de Tamei voulant mener une vie d'honnête homme. Des tentatives pour domestiquer sa violence, comme se faire tatouer un dragon et un chrysanthème sur le torse ne font que le rapprocher de son destin. Sa violence culmine en une incroyable scène de bagarre sur le pont d’un navire où sa bestialité prend le dessus.
Visuellement, il s’agit d’un film de série A,
riche en crépuscule grandioses et superbe décor comme celui du port avec ses
gigantesques bateaux. Magnifique casting aussi avec Kei Sato en yakuza aussi
fourbe que séduisant, et surtout la sublime Keiko Awaji (Chien enragé) en
tatoueuse méphistophélique qui apparaît dans un onsen comme une femme serpent
et dirige le destin du héros.
14 novembre
Silk Hat Boss / Shirukuhatto no Ohoyabun (1970) de
Norifumi Suzuki
Premier des deux épisodes du spin-off de la Pivoine rouge consacré à l'oyabun haut en couleur Kumatora, ici affublé de taches de rousseur écarlates. Le ton est forcément plus picaresque que la série principale et offre à Tomisaburo Wakayama l’occasion d’exprimer sa veine comique, tour à tout enfantin et orgueilleux, mais retrouvant toute son agilité et sa maîtrise du sabre lors des scènes de combat. Certaines variations sont particulièrement hilarantes : lors de la marche vers le destin, Wakamaya tire un gigantesque canon pour aller faire exploser la maison du clan rival.
Junko Fuji apparaît dans quelques scènes avec toute la grâce et la violence de son personnage et l’on retrouve également la fabuleuse boss O’Taka du clan Dojima.
En second rôle, Masumi Harukawa (Désir meurtrier
d’Imamura) en geisha amoureuse de Kumatora est irrésistible de sensualité
gourmande.
15 novembre
Internal Sleuth / Sakura no Daimon (1973) de Misumi Kenji
Polar ultraviolent de Kenji Misumi avec Tomisaburo Wakayama en flic vengeur. Je connaissais surtout son frère Shintaro Katsu mais j’ai désormais une vénération sans borne pour Tomisaburo, colosse au regard d’enfant, pouvant être paillard et comique dans La Pivoine rouge ou ici aussi sombre et nihiliste que dans les Baby Cart.
Misumi s’inscrit dans le style
documentaire mit à la mode par Fukasaku, promène ses acteurs dans les rues de
Shinjuku, et filme les fusillades « sur le vif ». Avec cette histoire
de 150 armes volées par un clan yakuza à une base américaine et de corruption
dans la police, il se rapproche d’un style américain pas loin de Friedkin mais
conserve les jets de sang du chanbara. En chien fou tueur de flics, Renji
Ishibashi annonce les yakuzas survoltés de Miike. Internal Sleuth apparaît
d’ailleurs, autant que les films de Fukasaku, comme l’origine des polars de
Miike et de The Blood of Wolves (2018) de Kazuya Shiraishi.
Un champ-contrechamp génial entre Wakayama et Ishibashi.
16 novembre
An Outlaw/ Narazumono (1964) de Teruo Ishii
Un film grotesque, tragique, jazzy mais aussi envoûtant et d’une sidérante beauté. Ce n’est pas un yakuza-eiga malgré la présence de Ken Takakura et du génial méchant Toru Abe, mais un film de « hitman » ce qui est presque un genre en soi au Japon (et plus tard à Hong Kong). Voir par exemple le célèbre Golgo 13.
L’intrigue est très étrange avec ce tueur (Takakura) errant dans Hong Kong puis Macao à la recherche des gangsters l’ayant trahi, et rencontrant plusieurs femmes mourant les unes après les autres plus ou moins par sa faute. Pourtant, pruderie oblige de Takakura, il ne fera l’amour avec aucune. Une scène folle où, pour soigner une prostituée malade en train d’étouffer car son sang s’est accumulé dans la gorge, il l’aspire avec la bouche et recrache des jets d’hémoglobine. Une sorte de baiser ensanglanté qui est la malédiction du personnage. L’utilisation des décors de Macao par Ishii est magnifique, l’architecture portugaise, presque orientale, donnant une dimension wellesienne à la fuite de Takakura, petite silhouette noire coiffée d’un chapeau.
18 novembre
Lone Wolf Isazo / Hitori Okami (1968) de Kazuo Ikehiro
Isazo était autrefois au service d’un seigneur. Tombé amoureux de Yoshino la fille de celui-ci, il a un enfant avec elle mais la famille les sépare. Isazo part donc sur les routes et devient un yakuza mythique. Revenant dans la région où vit Yoshino désormais ruinée, il retrouve son fils à qui on a fait croire que son père était un samouraï mort au combat. On retrouve les thèmes fétiches de l’univers de Raizo Ichikawa : la paternité, l’orphelin, même si cette fois c’est lui qui devient un père tragique.
Le film est très beau et atmosphérique avec ses paysages de neige rappelant Goyokin ou Le grand Silence, et une scène splendide où, immobile sous la pluie devant une roue à eau, Isazo se souvient de sa séparation avec Yoshino.
A l’inverse des furieux et
parfois cabotins Mifune et Nakadai, l’art de Nakadai est l’introspection, le
souvenir, et les douleurs muettes. Le film par ailleurs revient aux origines
des yakuzas pendant l’ère Edo : des joueurs vagabondant à travers le
Japon, d’extraction pauvre et sans autre revenu que les dés ou les cartes. A la
fin de son aventure, qu’aura gagné Isazo ? Quelques instants avec son
fils, une cicatrice sur le visage et les tombes de ses adversaires venant
hanter ses cauchemars.
22 novembre
The Symbol of a Man: The Rule for a Vagabond / Otoko no monsho - ruten no okite (1965) d’ Eisuke
Takizawa
The Symbol of a Man est une série yakuza de la Nikkatsu mettant en vedette Hideki Takahashi dans le rôle d’un jeune chef devant parfaire son apprentissage. The Rule for a Vagabond se déroule pendant O-bon, la fête des morts et dans sa première partie est dédié à cette pratique japonaise du voyage et du vagabondage, qu’il soit professionnel comme pour les troupes de théâtres itinérantes et pour les forains et colporteurs dressant leurs tréteaux à l’entrée des temples.
Il peut être aussi existentiel comme pour le héros et bien d’autres yakuzas allant de clans en clans et demandant l’hébergements. C’est donc tout un peuple nomade que représente le film de façon colorée et finalement assez joyeuse. L’autre thème est assez classique puisque le héros, au cours d’une embuscade a tué un homme, provoquant incidemment la déroute d’une famille, et livrant leur territoire à un clan sans scrupule.
Il va donc prendre la place de son adversaire et se racheter en
combattant les mauvais yakuzas. Hideki Takahashi est un acteur d’une grande
beauté et au regard intense, que l’on pourrait classer dans les « Alain Delon »
japonais. Les splendides décors naturels de villes e l’ère Meiji, de temples et
de forêts, permettent de s’aérer avant de retourner dans le monde clos du ninkyo
eiga de la Toei.
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