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lundi 19 février 2018

Ouvert de minuit à sept heures du matin

La Cantine de minuit de Yarô Abe

Où se trouve la Cantine de minuit à Tokyo ? Tout près de Kabukichô puisque c’est là où travaille Marilyn la stripteaseuse (les œufs de colin, vol.1), pas loin non plus de Nichome, le quartier gay ou se trouve le bar du travesti Jun (le nattô, vol.1), et à quelques minutes du sanctuaire Hanazono (Les Inarizushi, vol.2) d’où sortent certaines clientes qui sont peut-être des femmes-renards. Il ne fait donc guère de doute que la cantine se trouve à Golden Gai. Ce n'est qu'une gargote comme les autres, qui ne paye pas de mine. On remarque qu’Abe dessine rarement l’extérieur du bar, excepté la première planche de la première histoire. Pour le reste nous ne quittons presque jamais les quelques mètres carrés de ce petit théâtre des nuits de Shinjuku. Si Ozu, selon l’expression consacrée, filmait à hauteur de tatami, Abe dessine à hauteur de comptoir.
Les personnages sont coupés à la taille et les cadrages alternent le point de vue du patron et ceux des clients. Cet art minimaliste repose sur le talent de portraitiste de Abe qui en quelques traits fait exister ce petit peuple noctambule de yakuzas, boxeurs, livreurs, hôtesses de bars, bohèmes et surtout d’oyaji-san, ces quinquagénaires à lunettes, en costard-cravates et dégarnis, salarymen ou patrons de petits commerces, qui viennent oublier leur célibat ou retarder le moment de rentrer au foyer. C’est ce qui prouve que la Cantine est très loin de la nouvelle vague des bars, plus rock et exubérants, de Golden Gai. L’autre talent d’Abe est bien sûr de donner une âme aux plats que sert le patron à la demande de ses clients : les fils de nattô, l’algue grillée qu’on entoure sur une boule de riz, la tranche de porc frémissant dans le ramen, le bacon croustillant… Et le curry de la veille est toujours meilleur, bien sûr. La cuisine de nuit fait partie de l’esthétique de ces bars, au même titre que les chansons pop de l’ère Showa. C’est bien souvent par la commande d’un de ces plats qu’Âbe commence son récit, qui va mener à une peine de cœur, une idylle inattendue, des retrouvailles ou une histoire d’amitié. 
Mais il y a autre chose, indéfinissable et émouvant, qui montre combien Abe est parvenu à saisir l’atmosphère particulière de Golden Gai. Il s’agit de l’entrée en scène des clients qui, ouvrant le rideau, apparaissent dans l’encadrement de la porte du bar.

Cela provoque, si l’on est un nouveau client un instant d’étonnement chez le patron ou la mama-san, et si l’on est un habitué, un salut chaleureux qui est comme un retour à la maison. On n’a alors besoin que d’un bol de soupe et d’un verre de saké, pour atteindre un bonheur doux et complet. Et s’il pleut sur Golden Gai, la nuit pourrait bien durer un million d’années.

Sinon, la Cantine de minuit fait désormais partie de la culture de Golden Gai puisqu’on la retrouve sur le guide qui recense les centaines de bars.





La Cantine de minuit est bien sûr édité par Le Lézard noir



Quelques vues de Golden Gai