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jeudi 14 juillet 2022

Shohei Imamura, la révolte de la chair (conférence à la Cinémathèque française)

Alors que le Japon de l'après-guerre se convertissait au capitalisme, Imamura en dévoila le lumpen : yakuzas, prostituées, pornographes clandestins, hôtesses de bar, Coréens discriminés... 



Pour ces damnés, une seule loi, scandaleuse et amorale, celle de la chair. Le Japon que met en scène l'«anthropologue» Imamura est un territoire effrayant, à la fois réaliste et mythique, où les êtres sont d'abord mus par l'instinct de survie.

Conférence du 21 avril à la Cinémathèque française


Shohei Imamura, la révolte de la chair. Conférence de Stéphane du Mesnildot from La Cinémathèque française on Vimeo.

mardi 8 décembre 2020

Shôhei Imamura, le sombre empire du désir



Dans les années 60, Imamura est le plus noir des cinéastes de la nouvelle vague japonaise. D’abord au sens propre puisqu’il plonge ses images dans une encre épaisse qui est celle de désirs enfouis bien au-delà de la conscience.

Dans Désirs meurtriers, Imamura ne fait pas le portrait psychologique d’une femme violée ni de son agresseur. Le viol dans le foyer révèle à Sadako sa fonction d’objet, d’abord à l’usage de sa belle-mère chez qui l’employait comme bonne, puis de son mari qui ne voit en elle qu’un rapide exutoire sexuel. Littéralement « domestiquée » depuis l’enfance, passant d’un maître à l’autre au sein de la même famille, Sadako prend conscience de sa condition et entretient un lien fatal avec son violeur, sorte de damné dostoïevskien. 



S’apercevant qu’elle n’a même pas sa place comme épouse puisque son mari n’a pas déclaré leur mariage, Sadako glisse avec son amant maudit dans un monde abstrait de neige et de ténèbres. La caméra d’Imamura possède cette force térébrante d’aller sonder les profondeurs, là où flottent des désirs invertébrés dont le symbole serait ce ver à soie qui rampe sur la cuisse nue de Sadako.

Dans La Femme insecte, il entretient une intimité dérangeante avec des corps convulsifs, transpirants et comme trempés dans la suie, ce qui l’éloigne d’Oshima, cinéaste tout aussi cruel mais cependant solaire. L’autre point de divergence avec l’auteur du Petit Garçon est l’évitement des idéologies dominantes. Le projet d’Imamura est cependant l’un des plus structuré de la nouvelle vague. Sous l’ironie docte de ses sous-titres (« Chronique ethnologique du Japon » pour La Femme Insecte, « Une introduction à l'anthropologie » pour Les Pornographes), il ausculte l’inconscient du pays pour en dévoiler les structures archaïques. Le village pauvre et reculé où naît la femme insecte en 1918, est l’occasion pour Imamura, comme plus tard avec Le Profond désir des dieux et La Ballade de Narayama, de revenir à une préhistoire du Japon, à son système tribal et ses cultes primitifs. Dans ce village ténébreux, fait de baraques, de paille et de boue, Tome entretient une relation incestueuse avec un père un peu attardé qui est aussi une force d’amour brute. Ce monde absolument amoral de la fusion des êtres et des éléments va être brisé par la guerre et le passage du Japon de l’impérialisme martial au capitalisme. 



Pourtant, à Tokyo où elle vient habiter, Tome reproduit le schéma clanique en devenant la mère maquerelle d’une bande de prostituées et la maîtresse d’un homme d’affaire véreux. Le naturalisme d’Imamura ne vise pas à mettre au jour un quelconque déterminisme : ses personnages, tour à tour victimes et bourreaux, sont des êtres de survie mais toujours imprévisibles. Lorsque Imamura raconte 50 ans de l’histoire du pays, les images d’archive sont livrées sans date ni explication : la guerre, la reddition de l’empereur, l’occupation américaine, les manifestations, sont des évènements que traverse Tome avec la même persévérance que cette fourmi qui, pendant le générique, gravit des monticules de terre. Mais comme l’insecte, Tome est aussi complètement aveugle au monde qui l’entoure et à ses bouleversements. 



En 1970, Imamura tournera sous une forme documentaire un quasi remake de La Femme insecte : L'Histoire du Japon racontée par une hôtesse de bar, sidérante épopée d’une force de la nature s’adaptant et se reconstruisant au-delà de toute raison. Le formalisme d’Imamura est également bien moins balisé que celui de ses confrères. Ainsi les arrêts sur image qui surviennent à l’improviste, sont comme des moments prélevés dans l’existence de Tome, mais dépourvus de sens immédiat. La Femme insecte est aussi l’un des grands rôles de Sachiko Hidari, remarquable actrice de la nouvelle vague (le chef-d’œuvre méconnu Elle et lui de son mari Susumu Hani) passant ici de l’adolescence à la cinquantaine. Marquant une rupture totale avec ses ainées Setsuko Hara ou Hideko Takamine, elle ne laisse passer aucun sentimentalisme. 

Librement adapté du roman d’Akiyuki Nosaka (Le Tombeau des lucioles), Le Pornographe est un des films les sarcastiques d’Imamura. Créatures avides et parasites, le pornographe et ses acolytes, sont un peu comme les « monstres » de Dino Risi jetés dans le miracle économique des sixties. 



Si Deleuze avait connu le cinéma d’Imamura, il y aurait sans aucun doute vu, autant que chez Stroheim et Buñuel, l’expression exacte de l’image-pulsion : dans ce monde en pleine déliquescence, gorgé d’une humidité noire, s’agitent des désirs sauvages et se construisent des systèmes de prédation. Image-pulsion au carré puisque Yoshimoto, le pornographe du titre, est aussi cinéaste. Il ne filme pas des pinku eiga politiques et sophistiqués comme ceux de Wakamatsu, mais des productions hard en 8mm dont les quelques copies sont vendues sous le manteau. C’est un cinéma illégal, dénué de toute valeur esthétique, dans lequel Imamura voit une matière fantasmatique brute. C’est dans une de ces salles interlopes que débute le film : ces images 8mm dans lesquelles va plonger la caméra sont déjà celles du Pornographe. Ainsi Imamura confond son film avec une de ces productions clandestines et se définit lui-aussi comme un pornographe. Comme le souligne l’ironique sous-titre « Introduction à l'anthropologie », il se fait également l’observateur amoral de ses contemporains. Ce principe de cadre dans le cadre se poursuit tout au long du film, Imamura filmant ses personnages derrière des fenêtres, des vitrines ou des aquariums ou nagent des poissons.  Ce sont des sujets d’expériences qu’il isole et dont il étudie les perversions. 



Il y a par exemple ce bourgeois impuissant qui, faute d’assouvir son désir de viol d’une collégienne, en commande la fiction au pornographe. Lors du tournage, celui-ci découvre que ses acteurs, un vieil homme et une adolescente attardée sont en réalité père et fille. A travers ces personnages sordides, Yoshimoto met en scène son propre inceste puisqu’il abuse de sa belle-fille de quinze ans qui fournit d’ailleurs son uniforme au tournage. Grotesque, idiot et bestial, le naturalisme d’Imamura met en scène des créatures humaines dont les pulsions, aussi abjectes soient elles, sont une source d’énergie et survie. Alors qu’il est frappé d’impuissance et que son corps est « comme un poisson mort », le pornographe trouve encore la force de construire un automate sexuel. Rebut de l’humanité, ermite ravagé à moitié fou, Yoshimoto devient le pionnier d’un monde fossilisé de poupées, de fétiches et de fragments anatomiques. Comme tous les grands naturalistes, Imamura est aussi un visionnaire : le pornographe vogue sur une mer de solitude qui est celle, à venir, du sexe virtuel.