A l’origine, Kabukicho a été construit après-guerre sur un quartier de Shinjuku rasé par les bombardements. Il devait accueillir, un grand théâtre Kabuki qui ne fut jamais construit. Mais le nom est resté, et au fond il lui va à merveille, comme si l’esprit sulfureux du vieux kabuki, la pratique du travestissement et la prostitution des jeunes actrices et acteurs avaient implicitement décidé de l’orientation du quartier. Lorsque je me rends à Golden Gai, j’aime toujours le traverser pour en sentir l’électricité presque palpable, au sens propre d’abord puisque les néons des boîtes en font sans doute l’une des plus grandes dépenses de Tokyo. J’aime regarder les hosts, ces jeunes garçons travaillant dans les clubs pour femmes esseulés, mince et habillés de noir, les cheveux oranges ébouriffés comme des chats de gouttières. Je suis toujours intrigué par la façon dont les rabatteurs sénégalais s’arrêtent à la lisière de Golden Gai, devant le bar karaoké philippin Champion, comme si une barrière magnétique de science-fiction séparait les deux mondes. Ce soir-là, la veille de mon retour en France, j’ai voulu emporter avec moi les sourires de Kabukicho.
samedi 2 janvier 2016
Balthus, version japonaise
Balthus
a de longue date noué des liens avec la culture japonaise. Envoyé par Malraux
en mission au Japon en 1961, il y rencontra son épouse, Setsuko Ikeda, qui
deviendra le modèle de plusieurs de ses œuvres (La Japonaise au miroir, par
exemple). Le photographe Shinoyama Kishin fit le voyage jusqu’à Genève pour
mettre en scène le peintre avec une jeune fille blonde très «alicienne». On
comprend ce qui attire les Japonais chez Balthus, en premier lieu cette
représentation féminine juvénile, où l’érotisme nait d’une série de contraintes
du corps. Nous ne sommes pas dans le shibari mais le corps est néanmoins dominé
par les lignes dures des décors ou des meubles. Il y a aussi les chats aux
traits presque humains, compagnons des jeunes filles, ironiques et un peu
voyeurs.
L’imaginaire
balthusien a imprégné la culture japonaise, au même titre que celui de Bellmer
ou de Bataille, et on en retrouve la trace chez Suehiro Maruo, l’illustrateur
eroguro, dont les adolescentes se retrouvent brisées en des postures
douloureuses.
L’une
des dernières variations japonaises sur l’œuvre de Balthus est l’une des plus
spectaculaires. Le photographe Hisaji Hara s’est livré à une série de
relectures de peintures et dessins célèbres, en mettant en scène un couple de
lycéens. C'est d'ailleurs lui-même qui interprète, de façon assez médusante, le garçon, l'autoportrait de Balthus devenant ainsi le sien. Quant à la jeune fille, c'est la compagne du photographe, Natsumi Hayashi (connue pour ses autoportraits en suspension) qui tient son rôle. Si les décors et mobilier ne sont pas reproduits à l’identique, la
dureté persiste dans les contrastes du noir et blanc, sa finesse comme découpée
au scalpel. Hara s’autorise aussi d’étranges libertés, comme de transposer les
personnages de «La Montagne» dans l’intérieur glacé et carrelé d’une salle
d’opération chirurgicale. Si leurs regards sont parfois lointain, des sourires
amusés flottent légèrement sur les visages de ses modèles. Ces déplacements
ironiques, font des photographies d’Hara bien autre chose que de simples
«tableaux vivants». En traversant le miroir balthusien, les jeunes filles - et
les jeunes garçons - en uniformes entrent dans le monde qui leur convient le
mieux, celui d’une théâtralité des sentiments où l’émotion affleure sous la
froideur et la cruauté.
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Le site de Hisaji Hara ici
Romain Slocombe, illustrations japonaises
Des
illustrations de Romain Slocombe pour Folio, ma préférée est sans doute celle
du Marin rejeté par la mer de Mishima, avec ses couleurs incroyablement
vivantes et sa ligne claire. L’avantage de ces illustrations est bien sûr qu’on
peut les «saisir» et qu’elles sont chargées de la dimension du texte. Aujourd’hui, je me rends compte
combien ces illustrations furent une première approche du cinéma japonais et
constituaient les affiches idéales d’ adaptations rêvées.
Au
début des années 90, je découvrais au Studio Keaton, un petit cinéma
d'Aix-en-Provence, la première vague de Roman Porno Nikkatsu. C'est Romain Slocombe qui avait conçu les premières pages du dossier de presse. En feuilletant
des celluloïds, on pouvait déshabiller sa propre actrice pink .
Cette première save de Romans Pornos comprenait trois films de Noboru Tanaka, Confidentiel : Marché sexuel des filles (1974), La Maison des perversités (1976) et La Véritable histoire d’Abe Sada (1975).
Il y avait aussi la Rue
de la joie (1974) de Tatsumi
Kumashiro et la La Barrière de chair (1964)
de Seijun Suzuki (qui n’est cependant pas un Roman Porno).
La collection ne
connut pas un grand succès et il fallut attendre 20 ans pour découvrir, en DVD,
d’autres films de Noburo Tanaka. Le très noir Confidentiel
: Marché sexuel des filles n’a
cependant pas été réédité. Tanaka quittait pour un temps ses univers décadents
pour filmer un Japon contemporain en ruine : une adolescente prostituée
couchait avec son frère attardé et se suicidait en faisant exploser une poupée
gonflable remplie de gaz.
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