Suzuki Shiroyasu (né en 1935) est un poète et cinéaste relativement inconnu en France (par moi en tout cas). Le festival de Rotterdam projetait cette année 15 Days, un journal filmé à la fin de l’année 1979 et sorti en 1980. Suzuki semble très lié avec Image Forum, la salle mythique d’art et essais de Shibuya, et avec une cinéaste du nom de Wada Shinko réalisatrice de Song of the Earth (je n’ai pas réussi à retrouver sa trace). L’écrivain se fixe comme contrainte de se filmer lui-même, à raison d'une bobine de 16mm (à peu près cinq minutes) quotidienne pendant quinze jours. Il déclare ne pas savoir où le mènera cette expérience mais est certain qu’il en ressortira quelque chose. Sa problématique est d’abord d’être le sujet de son propre film, l’œil de la caméra devenant celui des futurs spectateurs, qui ne sont alors que des fantômes. Lui-même se considère comme un yurei en devenir ; ce qui n’est pas encore le cas puisque Suzuki, âgé de 85 ans est toujours vivant.
Lors des premières journées, on le voit dans une posture étrange, tournant le dos à la caméra et ne se retournant que pour vérifier le minutage, comme s’il était lui-même angoissé par le dispositif qu’il avait mis en place. Une grande partie de ses monologues concerne sa production d’articles pour divers périodiques, dont le magazine féminin New Woman : globalement, à part ses quelques sorties mondaines où il rencontre ses pairs, et le visionnage assidu de la série Les Incorruptibles, il écrit du matin au soir et ne dort que quelques heures. « Ce n’est pas une vie », lâche-t-il un moment. Mais bien vite, vient s’ajouter une autre angoisse : un auteur du nom d’Horikawa, lors d’un vernissage lui reproche de ne pas être dans la vie et finalement de n’être qu’un écrivain de chambre. « Lorsqu’il a bu, Horikawa peut se montrer acerbe et méchant » confie Suzuki. Le dispositif filmique, très claustrophobe, lui semble alors le révélateur de la réflexion de son collègue. La première faille dans le dispositif est un problème d’enregistrement du son de la caméra, qui l’oblige pendant quelques jours à utiliser à magnétophone.
Peu à peu, Suzuki va installer sa caméra dans différents endroits de son appartement, insérer des plans d’objets, filmer des expositions de photos, faire le portait de son épouse Mari, et pointer sa caméra sur un miroir.
L’écrivain se montre aussi de plus en plus à l’aise face à la caméra, abandonnant sa posture complexée. Ce qui apparaît au fil des quinze jours de tournage est le plaisir de l’expérimentation cinématographique.
Les plans finaux de son quartier en hiver démontreraient alors qu’il a réussi à dépasser la critique d’Horikawa, accordant son travail artistique au monde extérieur. 15 Days, grâce à la personnalité drôle et volubile de son auteur, est à la fois un témoignage sur la vie littéraire de la fin des années 70 et l’autoportrait sincère d’un écrivain.