Me documentant sur les renardes magiques au Japon, je découvre le peintre Sayume Tachibana et son érotisme vénéneux.
La période allant de l’ère Taisho jusqu’aux premières années de l’ère Showa est l’un des berceaux de l’art fantastique japonais. On connait bien sûr l’ero-guro mené par Edogawa Ranpo, mais à côté de ce genre d’avant-garde faisait aussi flores un style plus traditionnel, folkloriste, revenant aux récits légendaires des ères Edo et Meiji. C’est à ce courant qu’appartient par exemple le dramaturge Kyoka Izumi dont Seijun Suzuki filma une vie imaginaire dans Brumes de chaleur (1981) et dont Shinoda adapta L’Etang du démon (1979) – voir ici.
Les héritiers de Lafcadio Earn et ses Kaidan (ou Kwaidan) revisitent les récits de fantômes et de yokaï, et leur donnent une dimension décadente typique des années folles japonaises. L’un des plus célèbres illustrateurs du genre est Sayume Tachibana (1892-1970) qui débute en 1915, d’abord dans le style des femmes mélancoliques, aux longs cous, de Yumeji, puis s’affirme dans des ambiances lunaires et mystiques. Sans qu’on en connaisse la raison exacte, il signe ses travaux « Komu ».
La femme chez Tachibana est envoûtante et maléfique : des yeux qui ne sont que des fentes, un visage effilé et une petite bouche rouge et carnassière. Son modèle est la femme-renard, geisha tentatrice appartenant à la mythologie du kami Inari et toujours prête à ensorceler les voyageurs égarés.
(1933)
On raconte que son goût du fantastique lui vint de son enfance passée dans le sanctuaire Suwa de Rokugo-machi, dans le comté de Senboku. Atteint d’un problème cardiaque, il y est envoyé à l’âge de six ans après la mort de sa mère et de sa sœur. Autant dire que l’enfant fit très tôt la connaissance de la mort et des spectres, ce qui plus tard lui valut le surnom de « peintre fantôme ».
Tachibana illustra dans un registre plus classique Madame Butterfly, et fut très prisé par les journaux, les fournissant en koma-e, des images n'ayant aucun lien avec les articles qui les entourent. Takehisa Yumeji était également un des chefs de file de ce domaine. Créant des décors et costumes de théâtre, et même des kimonos, Tachibana peut être considéré comme un équivalent japonais d’Aubrey Beardsley, et son art s’il est délicat peut également verser dans l’horreur comme ce dessin pour la nouvelle Le Tatouage de Tanizaki.
(1934) |
Rompant avec son style folklorique il a également illustré la nouvelle Mirage de Ranpo révélant un trait moderne rappelant celui du mangaka Kazuichi Hanawa, sans aucun doute un de ses admirateurs.
(1935)
Kazuichi Hanawa c.a. 1970 |
La production de Tachibana se ralentit pendant la militarisation et la guerre, son style féminin et décadent ne collant pas avec le Japon impérialiste de 1936 et plusieurs de ses travaux furent censurés. Après-guerre, il continue de peindre jusqu'à l'âge de 60 ans, mais sa maladie cardiaque lui imposant de longues périodes de convalescence, il cesse peu à peu de travailler dans les secteurs de l'édition et du théâtre. En 1970, il décède à l'âge de 77 ans, entouré par sa famille.