Après des décennies de geishas souffrant de l’avidité des hommes, de filles dévouées à leurs parents vieillissants, d’épouses dociles et d’institutrices sacrifiant tout à leurs élèves, il fallait au cinéma japonais une héroïne sans foi ni loi, rejetant les modèles d’abnégation, et prête à régler son compte à la morale confucéenne, autre nom de la domination masculine. Cette justicière surgissant du brouillard, dandy jusqu’au bout du fouet, fut Meiko Kaji qui, dans une série de films d’action tournés à bride abattue, se fit l’incarnation de l’urami, le ressentiment des femmes japonaises. Dans Lady Snowblood et Elle s'appelait Scorpion, muette, le regard vitrifié par une haine glacée, elle ne connaissait ni la pitié ni le pardon et passait au fil du sabre ses tortionnaires : yakuzas, flics, violeurs, matons, politiciens.
Ces figures abjectes du pouvoir étaient impuissants devant cette fleur du mal que rien ne pouvait soumettre, ni la prison ni la torture ni les sévices sexuels. Cheffe de gang aux épaules recouvertes de tatouages écarlates, tueuse en kimono dissimulant une lame dans son ombrelle, femme-scorpion éborgnant ses ennemis avec la rapidité de l’éclair, elle devint l’idole des étudiantes, délinquantes et fugueuses qui, en ces jours de révolution, arboraient la même chevelure corbeau.
Reflet d’une jeunesse hédoniste, la série Stray Cat Rock (1970-1971) est centrée sur des loubardes chevaleresques en lutte contre les normes sexuelles et raciales. On y croise des motardes androgynes, des garçons fleurs, des métis nippo-afro-américains et des chanteuses d’acid-rock ; tout pour révulser une société encore prisonnière des mythes du foyer, de la pureté du sang et de la virilité samouraï. L’arme de Meiko Kaji contre ces gangsters grimaçants, portant Ray-Ban et chemises trop voyantes était d’abord son élégance absolue.
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