jeudi 29 septembre 2016
mercredi 28 septembre 2016
Shuji Terayama parle des Fruits de la passion
«La prochaine fois, je ferai un film
que
je projetterai sur vos visages».
Shuji Terayama (1972)
Qu'est-ce que le sexe pour vous, Shuji Terayama ? Vous inscrivez-vous
dans cette tradition japonaise à laquelle nous devons les plus belles
manifestations érotiques de l'art universel ? Ou, sollicité par l'Occident,
est-ce l'héritage de Georges Bataille que vous entendez recueillir dans Les
Fruits de la passion ?
Laissons de côté cette immense
question que soulève Bataille. Cela nous conduirait à parler trop longuement de
la tradition occidentale de l'érotisme. Pour moi, le sexe est un mode de
communication, une forme de jeu, une méthode pour organiser le hasard des
rencontres et dévoiler l'être le plus obscur. C'est un des rares paris qui
n'ait pas nécessaire- ment l'argent pour enjeu. C'est aussi ce qui s'oppose
radicalement à la science ou au sport : l'érotisme n'existe que dans
l'imaginaire.
Quelle réponse énigmatique, l'imaginaire ! Disons très simplement que
dans l'iconographie des Fruits de la passion, vous conjuguez les signes
érotiques de l'Orient et de l'Occident.
Je ne ressens pas, pour ma part,
cette dichotomie de l'Orient et de l'Occident. Leur interpénétration stimule
mon érotisme bien davantage que les estampes d'Utamaro ou de Hokusai, par
exemple. Je me suis efforcé de créer un mode de représentation qui me soit
propre. A vous de décider si je suis davantage dépendant des codes réputés
japonais ou occidentaux. Dans Les Fruits de la passion, l'érotisme est associé
à l'incomplétude ou à la maladie. Voyez les pensionnaires de la maison de
fleurs : l'une est mythomane, la seconde est autistique, une troisième est
phtisique...
Ces multiples représentations d'un «manque» composent-elles, ensemble, la
psyché féminine ?
En tout cas, elles se complètent. Ce
que l'une des pensionnaires n'a pas, l'autre l'a. Elles cohabitent parce
qu'elles sont les effigies d'un monde où tout a valeur d'échange, le sexe comme
l'argent, les objets comme les symboles. C'est ce que O comprend à la fin du
film : peut-être peut-elle commencer à vivre dès lors qu'elle n'est plus
soumise aux lois de l'échange.
Dans le décor de la maison de fleurs, vous avez placé des compositions
monochromes qui nous paraissent renvoyer à un imaginaire spécifiquement
cinématographique. Etait-ce une façon de désigner, ou de dénoncer, l'illusion
que vous instituez ? Qu'attendez-vous des techniques du collage ?
Depuis l'enfance, je suis attiré par
Lautréamont, par les rencontres inattendues qu'il suscitait en rapprochant des
éléments parfaitement hétérogènes, tels qu'un parapluie et une machine à coudre
sur une table de dissection. Sawako Goda et moi-même nous sommes; inspirés de
vieilles photos pour peindre des panneaux que nous avons intégrés dans le décor
en fonction des personnages qui les côtoieraient.
La figure de la Mère, récurrente dans votre œuvre passée, est ici
supplantée par celle du Père. Dans le fantasme de O, le Père dessine une prison
en traçant autour de l'enfant un carré de craie. Byakuran, une des prostituées,
retrouve sous les traits d'un client le père qui exigeait d'elle toute sorte...
de chienneries !
Notre monde contemporain est placé
sous le signe de cette absence. Qu'il s'agisse de politique, de religion ou
d'érotisme, nous sommes tous à la recherche du père absent. O bien sûr, mais
les révolutionnaires aussi, qui attendent de Sir Stephen qu'il soit leur
protecteur.
Mais par rapport à l'univers d'échanges que symbolise la maison de
fleurs, quelle place assignez-vous donc à la Révolution ?
Mes révolutionnaires ne sont que les
clowns de cet univers. Ils ne savent pas encore que la Révolution politique
n'est qu'un aspect de la Révolution. Ils ne voient que la réalité matérielle,
là où les filles, enfermées dans leur subjectivité, ne connaissent, elles, que
ce qu'elles ressentent. Le monde des prostituées est traité en couleurs, celui
des émeutiers est monochrome, du moins au début du film. C'est le jeune garçon
qui fait la liaison entre les deux mondes. Lorsqu'il pénètre dans celui de O,
le film devient entièrement en couleurs. Nous parlons de «clowns», mais
n'oubliez pas que ces clowns ont bien souvent contribué à changer le cours de
l'histoire. Sans leur révolte, sans la «folie» de mes filles, l'humanité
pourrait-elle progresser ?
(Dossier de presse, 1981)
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jeudi 22 septembre 2016
Provoke, Rivette, Henry Miller : un jour tranquile à Clichy
Il y a presque un an, en allant à l’expo
Daido Moriyama de la fondation Cartier, j’avais un détour par le cimetière de Montparnasse
pour passer un moment avec Chris Marker (voir ici). Ensuite, Jacques Rivette
est mort et ensuite David Bowie est mort, et ça on ne s’en remettra
jamais. Par hasard, l’expo Provoke au BAL se trouve à quelques minutes du
cimetière de Montmartre où repose Rivette. C’est une tombe en pierre blanche
juste à côté de celle de Truffaut en marbre noir et de celle de Dominique
Laffin. Un pont métallique surplombe le cimetière ce qui en fait un décor tout
à fait rivettien. On s’attendrait à y voir déambuler Bulle Ogier ou Clémenti ou
à voir passer Céline et Julie, Musidoras en patins à roulettes .
En sortant, je croisais un chat au moins
centenaire.
L’exposition Provoke est consacrée à
la revue du même nom qui, en 1968-1969, révolutionna la photographie japonaise.
A la même époque, Oshima, Wakamatsu ou Matsumoto tournent leurs chefs-d’œuvre
qui eux-aussi documentent le Japon des années rouges. Pourtant, si les films de
la nouvelle vague étaient pour la plupart désabusés, les photos de Provoke
tirent leur énergie de moments bruts d’insurrection. Flous, sous-exposés, pas
de cadrage, peu importe. Les jeunes sont casquées, les bouches recouvertes de
mouchoir, les regards brûlants. Il y a aussi du sang, des voitures qui brûlent,
des barricades, et les longues lances des
policiers qui rappellent les combats de samouraïs des films de Kurosawa. Ces
images sont celles de la guerre de Tokyo, celles que Wakamatsu mettait en
ouverture de ses films (tournées par les étudiants eux-mêmes) et que le héros d’Il
est mort après la guerre d’Oshima échouait à capturer. Certaines sont signées
Tomatsu Shomei, Takuma Nakahira, d’autres sont anonymes.
« La seule chose qui compte est
ce qui a été photographié et comment. Je veux que la photographie tombe d’abord
très bas, à ce niveau, puis je ramasserai ce qu’il en reste. » (Takuma
Nakahira, 1969)
Il y a aussi les paysans de
Narita, luttant contre la construction de l’aéroport. Ce mouvement, l’un des
plus importants de l’époque, a donné lieu à plusieurs films dont The Battle for
the Liberation of Japan: Summer in
Sanrizuka (Shinsuke
Ogawa, 1968), diffusé dans l’exposition, et Kashima
Paradise (Yann Le Masson, 1973). Pour les photographes, c’est aussi une
façon de saisir la vie paysanne, celle que l’on veut détruire aux
alentours de Tokyo. Il faut penser que les vieilles paysannes photographiées
par Mitome Tadao entre 1966 et 1971 sont parfois nées à la fin du XIXe siècle
et que dans le bétonnage de leurs terres, c’est un ethnocide qui est à l’œuvre.
Mais l’insurrection est aussi intime,
c’est celle qui pendant les années 60 secoue les corps et les désirs. A l’ère
du verseau de la Californie solaire, Daido Moriyama l’un des fondateurs de
Provoke, oppose des chambres closes sur les ténèbres, des peaux de suie, des yeux et des lèvres
noirs. Heiko Osoe consacre l’album Kamaitachi (1969) au danseur buto
Tatsumi Hijikata, et le replonge dans cette paysannerie mystique dont il est un
enfant.Araki, alors à ses débuts, travaille
la photocopie dans la série Xerox Photo
Album : 70 faces (1969) et Adam
& Eve (1970), pâlissant ses clichés à l’extrême, presque jusqu’au
négatif. Comment atteindre l’envers d’une image ?
Au sortir de l’expo, j’allais prendre
un verre au Wepler, place de Clichy, en relisant quelques pages d’Henry Miller.
« Par une journée grise, quand
il faisait froid partout sauf dans les grands cafés, je goûtais à l’avance le
plaisir de passer une heure ou deux au Wepler
avant d’aller dîner. La lueur rose qui nimbait toute la salle émanait des
putains qui se rassemblaient d’ordinaire près de l’entrée. A mesure qu’elles
s’égaillaient parmi les clients, la salle devenait non seulement chaude et
rose, mais parfumée. »
C’était une journée belle et tranquille.
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