mardi 9 mai 2023

A new springtime of yakuza 6 : la rage au ventre



Pour ce nouvel épisode, je me suis plongé dans les films de gurentai (gangsters) de Kihachi Okamoto pour la Toho, merveilles pop et bariolées où l’on a le plaisir de retrouver rien moins que Toshiro Mifune en tough guy. Ces reprises décontractées du polar hardboiled américain font passer le film de gurentai à la couleur, ce qui signifie dans le cinéma japonais le livrer à la fantaisie la plus totale. J’ai aussi revisité quelques films de Kinji Fukasaku, en me disant qu’il était probablement avec Kurosawa, le plus important des cinéastes japonais modernes.



Fukasaku traverse à toute vitesse les années 70, et fait de ses figures de yakuza les grands témoins de l’époque comme avaient pu l’être les samouraïs. Bunta Sugawara anticipe le Scarface de Brian De Palma et incarne le yakuza moderne, nihiliste, agité de troubles mentaux, et dépassé par sa propre violence.



 18 mars

Cérémonie de dissolution du clan / Ceremony of Disbanding / Kaisanshiki (1967) de Kinji Fukasaku



Dans la lignée de Bloodstained Clan Honor, la lutte entre les habitants d’un bidonville et les yakuzas qui veulent les exproprier. Pour l’honneur de son clan, Koji Tsuruta a passé huit ans en prison. Lorsque qu’il sort, le monde a changé :  le Kyōdai d’autrefois (Fumio Watanabe) est devenu un yakuza affairiste qui a renoncé aux principes du ninkyo.



Quant à l’adversaire (Tetsuro Tanba) à qui il a tranché un bras et qui a juré de se venger, il est le dernier à partager les mêmes valeurs. La véritable cérémonie de dissolution se fera entre les deux hommes, Tanba renonçant à sa vengeance en brûlant le blason de son clan. Mais c’est aussi une cérémonie qui marque la fin du ninkyo et peut-être aussi du genre lui-même. 



Pour une fois un rôle complexe est confié au grand Fumio Watanabe, qui porte sur lui toute la faillite des valeurs originelles, mais garde un reste d’affection pour son frère de sang, ce qui causera finalement sa perte. Alors qu’auparavant, les yakuzas se recueillait face à la mer, celle-ci est désormais bouchées par les usines recrachant leur fumée noire. Place désormais aux combats sans code d’honneur. 




15 avril

Joueurs contre camelots / Bakuto tai tekiya (1964) de Shigehiro Ozawa



Le décor est l’un des plus beaux du ninkyo eiga : le quartier coloré des théâtres d’Asakusa, équivalent de Shinjuku pour les années 20-30. Affiches, banderoles, cinémas, et… tekiya, les camelots dont l’organisation est si proche des yakuzas qu’on les confonds parfois. Les tekiya appartiennent davantage à la légalité mais ils forment un milieu à part, un monde aussi parallèle que celui des yakuzas. C’est aussi un petit peuple pauvre, gouailleur et débrouillard. Le fameux Tora-san en fait partie, et il n’y a qu’au Japon qu’on peut voir une catégorie de métier ayant généré une telle mythologie, preuve aussi de son importance dans la société. 




Dans Joueurs contre camelots, les tekiya d’Asakusa sont menacés par l’ouverture d’un grand magasin risquant de les mettre sur la paille. Les négociations avec un homme d’affaire sont ruinées par le chef véreux d’un clan tekiya qui ne songe qu’à s’enrichir. Il accepte par exemple une contrepartie sans la redistribuer aux marchands. Il lance aussi des attentats contre le bon oyabun, qui lui est prêt à mourir pour son peuple. L’opposition bon père/mauvais père est ainsi respectée. La question paternelle est aussi ce qui hante  Koji Tsuruta dans un rôle moins lisse l’accoutumée. 



Fils du bon oyabun, il a assassiné un chef rival avant d’apprendre que celui-ci était son véritable père. Il devient donc un maudit, hanté par le parricide et se tient à l’écart de son clan. Tout le film va être un chemin le menant vers ce père qui bien qu’adoptif l’aime comme son propre fils. Leur relation père-fils passera évidemment par le sacrifice et la mort. La tragédie yakuza est ici un peu plus complexe que de coutume. Shigehiro Ozawa, retranscrit l’ambiance Taisho avec soin, avec par exemple ces bars capiteux où l’on danse à l’occidentale. Moment émouvant et rare également où l’on assiste à une séance de cinéma muet commentée par un benshi. 




23 avril

Yakuza Hooligans / Yakuza Gurentai (1966) de Sadao Nakajima



En 1966, le genre « gurentai » a été éclipsé par les ninkyo-eiga en couleur, ce qui fait du film de Nakajima la queue de comète de ces films noirs nerveux où des gangs à l’américaine braquaient des fourgons. On y retrouve le côté néo-réaliste tourné dans les rues (ici de Kyoto), la musique jazzy et les gangsters avec leurs lunettes noires et leurs petits chapeaux. Mais la nouvelle vague japonaise est aussi passée par là, et Yakuza Gurentai possède une réelle beauté photographique et surtout un discours politique. 




Les « gurentai » ou voyous, se définissent comme des démocrates qui partagent leurs butins en parts égales, tandis que les yakuzas sont encore dans un mode de vie féodal et travaillent pour leur oyabun. Pour les jeunes gurentai, les yakuzas font partie de la génération qui s’est engagée dans une guerre ingagnable, entraînant le pays dans sa chute.



Nakajima n’idéalise pas les gurentai, qui n’hésitent pas à violer les filles qu’ils veulent mettre sur le trottoir, mais il leur laisse tout de même le dernier mot dans un final très ironique. Le casting est impeccable avec entre autres Hiroki Matsukata, très drôle et à l’aise en gangster « démocrate », Shigeru Amachi (le samouraï hanté des films d’horreur de Nobuo Nakagawa), Hideo Takamatsu (Le géant et les jouets de Masumura), et l’acteur métis Ken  Sanders (Massacre Gun, Stray Cat Rock Delinquant Girl Boss).




25 avril

Hokuriku Proxy War / Hokuriku dairi sensō (1977) de Kinji Fukasaku



« La mer du Japon présente deux visages. Elle est froide et agitée l'hiver, chaude et calme l'été. Les habitants de Hokuriku possèdent les mêmes particularités, ce que l'on ne soupçonnerait pas au vu de leur apparence. Fukui, une des trois préfectures de Hokuriku avec Ishikawa et Toyama est le centre du commerce et de l'industrie. Cette ville a depuis toujours donné naissance à de nombreux yakuza. Les conflits les impliquant étaient si violents, que même un yakuza d'Hiroshima ou de Kyushu aurait changé de trottoir en croisant les gars d’Hokuriku. »



Ainsi s’ouvre Hokuriku Proxy War, ultime variation sur les Combats sans code d’honneur de Fukasaku. Nous sommes donc au nord du Japon, dans un paysage de neige, décor inhabituel pour un film de yakuza, et les malfrats ont donc troqué leurs chemises hawaiiennes pour des pulls à cols roulés, et des manteaux de fourrure. Ce qui nous vaut une introduction rappelant Goyokin, avec des masques démoniaques battant du tambour, et un combat au sabre d’ Hiroki Matsukata contre un gang, dans une forêt sous la neige.  Ce sont des ours (la façon qu’a Hiroki Matsukata de se balancer), et des loups, et Fukasaku les décrits comme les plus violents du Japon, un peu l’équivalent de la 'Ndrangheta calabraise. Le ton est donné dès le début avec un chef yakuza (le très drôle Kô Nishimura) enterré dans la neige. 



Hiroki Matsukata, trahit par une alliance entre clans, laissé pour mort et envoyé en prison, va peu à peu remonter la pente, et à force de ruse faire s’entretuer les clans adverses pour devenir le boss de la région. Ces stratégies guerrières amusent Fukasaku mais ce qui l’intéresse réellement est le moment où la bestialité et le gout du sang fait craquer ce qu’il reste du vernis du code d’honneur des yakuzas. Ces territoires sont bien plus dictés par l’instinct animal que par une réelle raison matérielle.

« -Vous n'êtes pas frères de sang ?

-Patron, la fraternité dépend de la situation. Être chez soi est plus important. »



27 avril

The Last Gunfight / Ankokugai no taiketsu (1960) de Kihachi Okamoto



Ce film noir à la Hammett, où Mifune, drôle et charmeur, porte l’imper de Bogart débarque dans une ville en pleine guerre des gangs. Se faisant passer pour un policier corrompu, Mifune infiltre un clan yakuza régnant sur la drogue, les établissements de nuit et la prostitution. Okamoto se maintient avec finesse à la lisière de la parodie. On peut voir par exemple de vampiriques tueurs, tout de noir vêtus, se produire dans un club, et chanter de bizarres chansons de gangsters. 




Comme il est de coutume dans ces films noirs d’inspiration américaine, les yakuzas portent des costumes occidentaux, et se conduisent comme un gang classique. Lors du gunfigght final, de façon surprenante et gratuite, l’un d’entre eux dévoile ses tatouages. Il y a quelque chose d’assez subversif de soudain révéler le corps tatoué et traditionnel d’un yakuza. 



Koji Tsuruta joue un yakuza à la retraite après la mort de sa femme qui sera obligé de reprendre les armes, ce qui donne lieu à un savoureux duel aux pigeons d’argiles avec Mifune. La filmographie d’Okamoto est mal connue, lui-même ayant brouillé les pistes en abordant tous les genres, du polar au film de guerre, et au jidai-geki dont le fabuleux Sabre du mal avec Tatsuya Nakadai. 




Ces polars donnent l’impression d’anticiper de quelques années ceux de Seijun Suzuki avec leurs couleurs psychédéliques de nightclubs, leur montage syncopé, et leurs raccords ultra dynamiques. Pendant l’épilogue, nous est offert un plan subliminal de poitrine féminine dénudée. Un clin d’œil suffisant pour poursuivre l’exploration de la filmographie d’Okamoto. 



 

18 avril

Big Shots Die at Dawn / Kaoyaku Akatsukini Shisu (1961) de Kihachi Okamoto



Encore un pastiche hammettien d’Okamoto, sur un scénario proche de The Last Gunfight, mettant en scène un gang de yakuza d’inspiration américaine. Cette fois c’est Yuzo Kayama, équivalent Toho des Diamond Guys de la Nikkatsu, qui débarque dans sa ville natale gangrénée par la corruption, peu de temps après l’assassinat de son père. 



L’intrigue est volontairement emberlificotée pour rester dans la tradition du roman noir américain, et on y croise une séduisante belle-mère (Yukiko Shimazaki), une jolie fille en quête de sugar daddy (Kumi Mizuno), des dandys gangsters (Mickey Curtis, Akihiko Hirata, Tadao Nakamaru) et même le toujours cartoonesque Kunie Tanaka et ses mimiques de Gainsbourg japonais. 



Si la mise en scène est un peu moins exubérante que The last Gunfight, le final est réjouissant puisqu’il se déroule la nuit dans un parc d’attraction au milieu des manèges. Les pistolets des yakuzas tirent toujours des petites flammes rouges, ce qui rajoute un côté feu d’artifice à ces polars décontractés.



4 mai 

The Glorious Asuka Gang! / Hana no asuka gumi! (1988) de Yôichi Sai 



Adapté de la mangaka Satosumi Takaguchi, il s’agit d’une version futuriste des films de jeunes délinquantes, dans un Tokyo livré aux gangs et à la violence. 




Yôichi Sai est surtout connu chez nous pour Blood and Bones (2004) ou Kitano interprète un terrifiant et bouleversant gangster d’origine coréenne.  The Glorious Asuka Gang! situé dans un proche avenir (pour 1988), raconte comment trois jeunes filles essayent de conquérir New Kabukitown (comprendre Kabukicho) partagé entre des dealers, des policiers violents (agissant come un gang) et la bande d’une élégante et muette femme yakuza. Le film est surtout intéressant pour son design sans doute inspiré des Rues de feu de Walter Hil, et ses gangs typés qui quant à eux rappellent The Warriors. 





Le générique montant les activités illicites de Kabukitown sur Satisfaction des Stones, est comme un shoot du Tokyo punk des années 80. Malheureusement, le récit est répétitif et les personnages peu attachants. Le décor de la rue principale de Kabukitown est utilisé jusqu’à épuisement mais les intérieurs rococos des clubs et du repère de Lady Hibari valent le coup d’œil. Cependant, malgré ses défauts, il est évident que le film est l’origine des mangas et films de gangs futuristes comme Tokyo Tribe de Sono Sion. 




5 mai

‎Gang vs. Gang/Gang tai gang (1963) de Teruo Ishii



Un yakuza sort de prison et se fait immédiatement mitraillé par… son propre gang. Il débarque en réalité en pleine guerre de succession pour régner sur le marché de la drogue. Il va s’allier à un gang adverse, composé d’un gentil oyabun, d’un playboy, et d’une jolie fille intrépide. Le film de Teruo Ishii est un gurentai-eiga, bien moins sérieux que ceux de Kinji Fukaskau bien qu’on y retrouve Koji Tsuruta, Tatsuo Umemiya, Ko Nishimura et Tetsuro Tanba.  





A vrai dire, il est presque incompréhensible, mais ce qui intéresse surtout Teruo Ishii poursuivant sa série Black Line, Sexy Line, Yellow Line sur les quartiers chauds de Tokyo, est de multiplier les angles insolites, les scènes légères et surtout les plans iconiques de films noirs, grâce à une superbe photographie. 



La scène finale de l’agonie de  Machiko Yashiro et Koji Tsuruta, est ainsi d’un romantisme totalement gratuit par rapport à ce qui précède mais  conclut joliment ce petit film noir. Au fond, Teruo Ishii n’a jamais été un cinéaste spécialement logique, mais toujours attiré vers une iconographie flamboyante. 




7 mai

Nouveau combat sans code d'honneur 2 : La Tête du boss / Shin jingi naki tatakai: Kumichō no kubi (1975) de Kinji Fukasaku



Second des trois « follow up » aux Combats sans code d’honneur de Fukasaku. Bunta, un yakuza vagabond, assassine un chef pour le compte du beau-fils d’un oyabun. Il est prêt à aller en prison (7 ans quand même) si cela peut lui assurer une bonne place dans le clan de son aniki. Lorsqu’il sort, il s’aperçoit que le beau-fils, un drogué, a été exclu du clan, et que personne n’est prêt à le payer en retour. 



Le film raconte sa progression à l’intérieur du clan où il parvient malgré tout à trouver sa place et sa vengeance lorsqu’à la suite d’une guerre de succession, il en est à nouveau exclu.  Bunta est encore génial et avec ses sourires ironiques du yakuza qui ne se fait aucune illusion sur les alliances et trahisons. Surtout lorsqu’elles sont orchestrées par Mikio Narita, habitué aux rôles de félons arrivistes. 



La distribution est toujours un plaisir avec Ko Nishimura en vieil oyabun qui, bien que Bunta ait tenté d’enterrer vivantes sa maîtresse, l’accueille dans son clan. Pour une fois, ce génial acteur dévoile une veine plus sensible que son habituelle couardise, et propose à sa fille  (Meiko Kaji) de revenir habiter avec lui lorsqu’il sera à la retraite.  Dans le rôle du beau-fils drogué, Tsutomu Yamazaki, émacié et le regard hanté, livre une interprétation fascinante, aussi intense que Tetsuya Nakadai, et parvient même à voler la vedette à Bunta. 





Dans le petit gang de Bunta, un acteur chanteur folk et enka avant-gardiste : Kan Mikami. Dans le livre que Benjamin Mouliets lui a consacré (voir ici) j’ai appris qu’Akira Kobayashi était l’idole de Kan Mikami. C’est précisément le nom que son personnage s’est choisi dans The Boss’s Head en hommage au « diamond guy », et grand acteur de yakuza-eiga. 





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