30 juillet
Bakuchi-uchi: socho tobaku /Le jeu présidentiel (1968) de Kōsaku Yamashita
Le jeu présidentiel était le film de yakuzas préféré de Yukio Mishima et Paul Schrader, moins pour sa mise en scène, par ailleurs très belle, que pour la complexité morale des situations. Par fidélité au clan Koji Tsuruta se retrouve à servir un jeune oyabun qui n’est que l’homme de paille d’industriels, et rompre avec son kyodai, l’indispensable Tomisaburō Wakayama, porteur des origines populaires des gangs. Tsuruta va sacrifier l’amour et l’amitié mais pourquoi ? Pour une bande d’escroc. La défaite du yakuza face au capitalisme ne pouvait que toucher Mishima, voyant Tsuruta devenir un personnage authentiquement tragique. Ce qui marque Mishima et Schrader est de voir l’incarnation du Ninkyo perdre tout ses idéaux et après la mort du frère de sang se définir comme un simple criminel, alors que défile sa sentence : condamné à la prison à vie ; une telle critique du giri (le devoir) est en effet une rupture majeure dans le genre, et mènera à la vision noire de Kinji Fukasaku. Ce qui a pu également enchanter Mishima, passionné par les personnages féminins intenses aux décisions radicales, est le suicide de la femme de Koji Tsuruta, ayant « trahi » son mari pour sauver un jeune gangster.
31 juillet
The Red Cherry Blossom Family/Le Clan des cerisiers (1972) de Masahiro Makino
Lorsqu’elle tourne le clan des cerisiers, Junko Fuji n’est déjà plus la compagne de Ken Takakura ou Koji Tsuruta, condamnée à voir s’entretuer les kyodai. Elle a déjà gagné ses galons de femme d’action grâce à la série de la Pivoine rouge, et se livre à de beaux combats au sabre ou, plus originale, à l’épingle à cheveux. Son visage d’adolescente s’est aussi affiné pour en faire cette fascinante renarde guerrière. 1972, c’est aussi l’année où elle s’éloignera pour 17 ans des plateaux, (à l'exception en 81 de Bokan Mezame de Yû Yoshino). A cet égard le film est un ultime hommage à la beauté de Junko Fuji. The Red Cherry Blossom Family aurait pu être tourné en 1965 puisqu’il reprend la figure classique des gangs de quartier, l’un honorable, l’autre dévoyé voulant ouvrir un tripot pour endetter les habitants. Le trio Tsuruta/Takakura/ Wakayama reprend ses rôles classiques (même Hiroyuki Nagato réapparaît en conducteur de pousse-pousse gouailleur) et si le combat final est somptueux, le scénario est un peu embrouillé avec des épisodes presque inutiles comme l’apparition de la femme du méchant et de son jeune fils. Bunta Sugawura interprète un personnage secondaire et 1972 est aussi l’année d’un de ses rôles mythique : Okita le pourfendeur de Kinji Fukasaku. Le visage du yakuza eiga allait radicalement se métamorphoser. Une particularité cependant : le gang honorable n’est pas défini comme yakuza (bien qu’il se conduise comme tel) puisqu’il s’agit d’une équipe de pompier. On peut ainsi voir l’importance historique des corporations de métiers dans la formation des gangs.
1er aout
Otoko no shobu kantô arashî/Showdown of Men 3 : Storm in Kanto (1967) de Kosaku Yamashita
Je me demandais s’il était possible de voir un film de yakuza sans Ken Takakura, Koji Tsurutu ou Tomisaburō Wakayama. Dans Showdown of Men 3, c’est Hideo Murata et Ryo Ikebe qui tiennent les rôles principaux. Murata interprète Ryuhei, un jeune homme sans le sou se rendant à Tokyo et croisant dans le train le boss d’une équipe de bucherons possédant une forêt. Là encore la frontière entre corps de métier et yakuza est assez floue. Engagé comme saisonnier, son sens de l’honneur et son dévouement à la « famille » Kajima lui fait gravir les échelons et il connait un véritable destin de yakuza. Le film est d’autant plus intéressant par l’évocation, assez rare dans le genre (du moins les films que j’ai vus) du tremblement de terre du Kantô le 1er septembre 1923. Un beau personnage aussi : Oko, une ancienne joueuse, tatouée, maniant le pistolet et tenant tête au fourbe gang adverse. Malheureusement, son amour pour Ryuhei la transforme en femme de yakuza acceptant avec abnégation le destin de son mari. C’est sans un regard pour elle qu’il se rend aux policiers avec son « bro » Ryo Ikebe. Le yakuza eiga est un genre viril, mais pas misogyne et respectueux, surtout des prostituées. On peut dire que les hommes et les femmes n’ont tout simplement pas le même destin.
Sinon, le magnifique Ryo Ikebe est peut-être le Gary Cooper du yakuza-eiga.
Le destin de la femme de yakuza
2 août
Tokyo année zéro (2007) de David Peace.
Le Tokyo en ruines de l’après-guerre, une enquête laborieuse par des flics épuisés en plein cœur d’un été de sueur et de poussière. Soit le décor de Chien enragé de Kurosawa. L'inspecteur Minami est à la poursuite d’un tueur en série mais doit aussi résister à sa propre folie et au souvenir de ses propres crimes. Les identités sont floues, et les criminels de guerre commencent à se fondre dans le décor. Comme dans les Combats sans code d’honneur, les yakuzas commencent à asseoir leur empire sur les décombres : trafic de viande, de médicaments, de sommeil et de filles. Le tueur a réellement existé, lui-aussi un parasite abusant de femme affamées. Il s’agit de Yoshio Kodaira dont Teruo Ishii a raconté les méfaits dans un sketch de Déviances et Passions (1967)
4 août
The Chivalrous Life/The Kyokotsu ichidai(1967) de Masahiro Makino.
Il y a peut-être ici un écho du célèbre Ma mère dans mes paupières, tourné par Hiroshi Inagaki (1931) puis Tai Kato (1962) et son yakuza à la recherche de sa mère. Le thème du film de Makino est aussi étrangement œdipien puisque Ken Takakura, confié à 8 ans à un bonze, rencontre, une fois devenu yakuza, le sosie de sa mère sous les traits d’une jeune prostituée interprétée par Junko Fuji. Tombée amoureuse de lui, la prostituée va étouffer ses sentiments et assumer ce rôle maternel. Alors que se joue par ailleurs une intrigue rabattue de guerre des gangs, tout le film est une apologie de la beauté de Junko Fuji, qui incarne l’absolu inaccessible du yakuza. Ce thème sentimental très original dégage The Chivalrous Life du tout venant du Ninkyo eiga et est comme à son habitude superbement mis en scène par le vétéran Masahiro Makino.
Abashiri Prison 3 (1965) de Teruo Ishii
Sans raison particulière, je commence la série des Abashiri Prison par cet épisode. Le thème de la série est motivé par le fait que Ken Takakura sort de la fameuse prison où sont envoyés les détenus purgeant des peines de moins de dix ans. Sachant (si l’on a suivi les Combats sans code d’honneur) qu’un yakuza est condamné en moyenne à huit ans de prison, on ne s’étonnera pas qu’ils soient majoritaires parmi les détenus. Ken Takakura revient donc à Nagasaki et reprend sa place dans son clan mais tente de ne pas commettre d’acte de violence qui le renverrai derrière les verrous. Comme d’habitude, ils doivent défendre leur activité, ici de dockers, contre un mauvais clan. Cette trame simple, plus que déjà vue, est pourtant embrouillée par ce fou de Teruo Ishii. Le cinéaste a l’air de se contenir pendant la moitié du film avant de lâcher la bride à sa fantaisie lorsque débarque, pour lui prêter main forte, des compagnons de cellule de Takakura menés par Kunie Tanaka ; sociétaire de la série Abashiri Prison et génial acteur de second rôle.
Avec ses vêtements criards et sa gueule à la Gainsbourg, Tanaka ressemble à une sorte de gitan japonais. Autre personnage génial Jôji Shirayama alias Killer Joe, interprété par Naoki Sugiura : vêtu de blanc, portant des lunettes noires, émacié et souffreteux, mais aussi chevaleresque, on le croirait sorti d’un manga de Tezuka. Le style justement manga et carnavalesque de Ishii extrait les yakuzas de leur univers compassé pour en faire des figures pop.
5 août
Abashiri Prison 2 (1965) de Teruo Ishii
Plus qu’un classique ninkyo-eiga, le second épisode des aventures de Tachibana, l’ex détenu de la prison d’Abashiri, est une comédie policière dans la lignée de Sexy Line (1961), puisque l’on retrouve la pulpeuse Yōko Mihara. Il est question ici de pierres précieuses cachée dans une boule d’algue (une sorte de jouet pour enfants) que se disputent Takakura, des yakuzas, une pickpocket et des strip-teaseuses. Ken Takakura se fait torturer dans un caisson de bain de vapeur, probable reprise d’un film noir américain dont le titre m’échappe. Pour Teruo Ishii, comme pour Seijun Suzuki, le monde des yakuzas, loin de tout esprit chevaleresque, était surtout une galerie de créatures grimaçantes et grotesques.
Lien de sang/Mabuta no haha (1962) de Tai Kato
Remake de Ma mère dans les paupières (1931) d’Hiroshi Inagaki. Classique du mélodrame yakuza avec ce fils recherchant sa mère dont il a été séparé à cinq ans. Le héros passe par plusieurs figures conformes à l’image qu’il se fait de sa mère : une musicienne aveugle et une prostituée de rue. Mais lorsqu’il la retrouve enfin, loin d’être une femme pauvre, c’est une bourgeoise prête à marier sa fille et qui le rejette. Le film prend toute son envergure lors de ces retrouvailles ratées puisque la mère est interprétée par Michiyo Kogure, l’actrice de Mizoguchi (Les Musiciens de Gion, La Rue de la honte), reconnaissable à son grain de beauté sur le menton. Cette femme pétrifiée par le fard blanc qui est comme une frontière avec son passé, va peu à peu se laisser envahir par l’amour de son fils. Ce fils cherche-t-il d’ailleurs à reprendre sa place où à restaurer une image perdue, celle de sa mère qui, sous ses paupières, commençait à s’effacer ?
6 août
True Account of Hikashaku: A Wolf’s Honour / Jitsuroku hishyakaku ôkami domo no jingi (1974) de Shinji Murayama
Shinji Murayama redonne un sang neuf au personnage mythique de Hikashaku en n’adaptant pas le livre Theater of Life de Shiro Ozaki, mais le travail d’un journaliste, Koichi Iiboshi, remontant à ses origines. Même si l’on retrouve certains éléments, comme Okimi, la femme du héros, ancienne prostituée fuyant son amour en Mandchourie, les films de Tadashi Sawashima et celui de Shinji Murayama sont radicalement opposés. True Account of Hikashaku se situe entre Kinji Fukasaku pour l’aspect documentaire et Hideo Gosha (Les Loups) pour la véracité de la reconstitution et la splendide direction artistique. De très beaux effets formels comme la répétition du flash-forward en noir et blanc de la mort de Ishikuro en 1942. Bunta Sugawara montre combien il a incarné la modernité des personnages de yakuza, par sa nervosité et sa sexualité bien plus franche que celle de Takakura et Tsuruta. Ishikuro Hikoichi est un personnage finalement peu présent dans le ninkyo eiga : le loup et sa meute, n’appartenant pas directement à un clan, et moins à cheval sur le protocole. Shinji Murayama se passe ainsi des multiples présentations, échanges de coupes et cérémonies, qui font aussi le charme du ninkyo eiga. Ce qui ne veut pas dire que certains motifs ne sont pas respectés comme l’amitié conflictuelle entre Ishikuro Hikoichi et (Muraoka) Akira Kobayashi, la rendant d’autant plus émouvante.
Bien plus qu’au code d’honneur, Ishikuro Hikoichi se fie à une morale individuelle.
« Mes relations avec chaque homme est la vie ou la mort, tuer ou être tué (…). J’aime un homme véritable. Je veux avoir une relation véritable. (…) Peut importe ce que j’ai fait, je mets me vie en jeux. C’est ma façon de vivre. Vous ne pouvez pas changer votre façon de vivre si facilement. »
Notons aussi l’inscription franche du personnage de Muraoka dans l’extrême droite (dojo de kendo inclus), tandis que Ishikuro et sa bande conserve un statut prolétaire.
7 août
Three Pretty Devils (1970) de Sadao Nakajima et Motohiro Torii
Une série B décontractée dans la mouvance d’autres productions Toei de jeunes délinquantes comme Delinquent Girl Boss avec Reiko Oshida ou les Stray Cat Rock de la Nikkatsu avec Meiko Kaji. Le film semble quasiment improvisé pour profiter du décor de l’exposition universelle d’Osaka dont on peut admirer la célèbre Tour du soleil de Tarō Okamoto.
Le trio de jeunes filles est tour à tour pickpocket, voleuses dans les grands magasins, prostituées, maquerelles, essayent de profiter de l’afflux de touristes causé par l’évènement. A noter deux caméos intéressant jouant sur la fluidité des genres : Peter, la queen des Funérailles des roses de Matsumoto, apparait à la télévision et chante dans un cabaret.
De même que la chanteuse de blues Akiko Wada qui joue quant à elle de sa grande taille et de sa voix grave. Son apparition est similaire à son rôle de motarde dans Stray Cat Rock: Female Boss.
Ce type de personnage est récurrent dans les films de Sukeban ou « Girl Boss », comme une allégorie de l’inversion des puissances masculines et féminines. Que les figures viriles des yakuzas se fassent systématiquement mater par les jeunes délinquantes font de ces séries B pop des films en avance sur leur temps.
8 août
By a Man's Face Shall You Know Him / Otokonokao wa Rirekisho (1966) de Tai Kato
Japonais et gangs coréens dans l’immédiate après-guerre s’affrontent pour la possession d’un territoire de bidonvilles nommé « Marché de la vie nouvelle ». C’est précisément l’appellation du quartier sur lequel règne le yakuza de Tokyo Année Zéro de David Peace. Il peut cependant s’agir d’une appellation générique pour plusieurs quartiers défavorisés. Noboru Ando incarne un chirurgien qui, écœuré par la guerre, est décidé à ne pas intervenir bien que le terrain lui appartienne.
Son frère (le futur réalisateur Juzo Itami) entend quant à lui ne rien céder devant les attaques du gang. Bien sûr, la représentation d’une minorité d’ex-colonisés violente est sujette à caution, mais peut-aussi expliquer la présence attestée de Nippo-Coréens parmi les yakuzas, certains parvenant même à la tête de « gumi » réputés. L’intérêt du film réside surtout la mise en scène de Tai Kato : couleurs flamboyantes, angles surprenants, et envolées mélodramatiques.
10 août
The Velvet Hustler/Kurenai no nagareboshi (1967) de Toshio Masuda
Je quitte la Toei pour la Nikkatsu. C’est évidemment un autre monde et le ninkyo tragique laisse place à la comédie policière pop et décontractée. Tatasuya Watari interprète un yakuza mais on ne verra ni ses tatouages ni le moindre rituel, même pas un autre gang à part le chef adverse qu’il abat au début du film. Le film s’inspire de Godard et duplique la fin d’About de souffle et les couleurs de Pierrot le Fou. Mais il emprunte également à Pépé le Moko et la casbah d’Alger devient le port de Kobe avec ses nightclubs et ses bordels.
Toshio Masuda a réalisé plusieurs films de yakuzas pour la Nikkatsu, en particulier la saga du Vaurien (Gangster VIP) avec Watari. Curieusement, celui-ci porte le même nom dans les deux films : Goro. La trame est assez relâchée pour permettre des séquences pops délicieuses comme le madison de Watari, le chapeau baissé sur les yeux, et surtout une série de portraits énamourés de Ruriko Asaoka. On regrette juste que la Nikkatsu n’ait pas osé un strict remake de Pépé le Moko, le personnage de gangster chevaleresque interprété par Gabin se prêtant à merveille à une relecture ninkyo.
(à noter la présence de Joe Shishido en tueur philosophe, et de Tatsuya Fuji, jeune et sans moustache, dans un rôle de policier)
11 août
Clan yakuza par Kishin Shinoyama.
Panorama publié dans Z00M n° 129, Spécial Japon, 1987
(à suivre)
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