samedi 2 janvier 2016

Tokyo 2015 #5. Les sourires de Kabukicho.

A l’origine, Kabukicho a été construit après-guerre sur un quartier de Shinjuku rasé par les bombardements. Il devait accueillir, un grand théâtre Kabuki qui ne fut jamais construit. Mais le nom est resté, et au fond il lui va à merveille, comme si l’esprit sulfureux du vieux kabuki, la pratique du travestissement et la prostitution des jeunes actrices et acteurs avaient implicitement décidé de l’orientation du quartier. Lorsque je me rends à Golden Gai, j’aime toujours le traverser pour en sentir l’électricité presque palpable, au sens propre d’abord puisque les néons des boîtes en font sans doute l’une des plus grandes dépenses de Tokyo. J’aime regarder les hosts, ces jeunes garçons travaillant dans les clubs pour femmes esseulés, mince et habillés de noir, les cheveux oranges ébouriffés comme des chats de gouttières. Je suis toujours intrigué par la façon dont les rabatteurs sénégalais s’arrêtent à la lisière de Golden Gai, devant le bar karaoké philippin Champion, comme si une barrière magnétique de science-fiction séparait les deux mondes. Ce soir-là, la veille de mon retour en France, j’ai voulu emporter avec moi les sourires de Kabukicho.




Balthus, version japonaise



Balthus a de longue date noué des liens avec la culture japonaise. Envoyé par Malraux en mission au Japon en 1961, il y rencontra son épouse, Setsuko Ikeda, qui deviendra le modèle de plusieurs de ses œuvres (La Japonaise au miroir, par exemple). Le photographe Shinoyama Kishin fit le voyage jusqu’à Genève pour mettre en scène le peintre avec une jeune fille blonde très «alicienne». On comprend ce qui attire les Japonais chez Balthus, en premier lieu cette représentation féminine juvénile, où l’érotisme nait d’une série de contraintes du corps. Nous ne sommes pas dans le shibari mais le corps est néanmoins dominé par les lignes dures des décors ou des meubles. Il y a aussi les chats aux traits presque humains, compagnons des jeunes filles, ironiques et un peu voyeurs.
L’imaginaire balthusien a imprégné la culture japonaise, au même titre que celui de Bellmer ou de Bataille, et on en retrouve la trace chez Suehiro Maruo, l’illustrateur eroguro, dont les adolescentes se retrouvent brisées en des postures douloureuses. 
L’une des dernières variations japonaises sur l’œuvre de Balthus est l’une des plus spectaculaires. Le photographe Hisaji Hara s’est livré à une série de relectures de peintures et dessins célèbres, en mettant en scène un couple de lycéens. C'est d'ailleurs lui-même qui interprète, de façon assez médusante, le garçon, l'autoportrait de Balthus devenant ainsi le sien. Quant à la jeune fille, c'est la compagne du photographe, Natsumi Hayashi (connue pour ses autoportraits en suspension) qui tient son rôle. Si les décors et mobilier ne sont pas reproduits à l’identique, la dureté persiste dans les contrastes du noir et blanc, sa finesse comme découpée au scalpel. Hara s’autorise aussi d’étranges libertés, comme de transposer les personnages de «La Montagne» dans l’intérieur glacé et carrelé d’une salle d’opération chirurgicale. Si leurs regards sont parfois lointain, des sourires amusés flottent légèrement sur les visages de ses modèles. Ces déplacements ironiques, font des photographies d’Hara bien autre chose que de simples «tableaux vivants». En traversant le miroir balthusien, les jeunes filles - et les jeunes garçons - en uniformes entrent dans le monde qui leur convient le mieux, celui d’une théâtralité des sentiments où l’émotion affleure sous la froideur et la cruauté. 








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Le site de Hisaji Hara ici

Romain Slocombe, illustrations japonaises

Des illustrations de Romain Slocombe pour Folio, ma préférée est sans doute celle du Marin rejeté par la mer de Mishima, avec ses couleurs incroyablement vivantes et sa ligne claire. L’avantage de ces illustrations est bien sûr qu’on peut les «saisir» et qu’elles sont chargées de la dimension du texte.  Aujourd’hui, je me rends compte combien ces illustrations furent une première approche du cinéma japonais et constituaient les affiches idéales d’ adaptations rêvées.


 

 
 

Au début des années 90,  je découvrais au Studio Keaton, un petit cinéma d'Aix-en-Provence, la première vague de Roman Porno Nikkatsu. C'est Romain Slocombe qui avait conçu les premières pages du dossier de presse. En feuilletant des celluloïds, on pouvait déshabiller sa propre actrice pink .









Cette première save de Romans Pornos comprenait trois films de Noboru Tanaka, 
Confidentiel : Marché sexuel des filles (1974), La Maison des perversités (1976) et La Véritable histoire d’Abe Sada (1975).
Il y avait aussi la Rue de la joie (1974) de Tatsumi Kumashiro et la La Barrière de chair (1964) de Seijun Suzuki (qui n’est cependant pas un Roman Porno).
La collection ne connut pas un grand succès et il fallut attendre 20 ans pour découvrir, en DVD, d’autres films de Noburo Tanaka. Le très noir Confidentiel : Marché sexuel des filles n’a cependant pas été réédité. Tanaka quittait pour un temps ses univers décadents pour filmer un Japon contemporain en ruine : une adolescente prostituée couchait avec son frère attardé et se suicidait en faisant exploser une poupée gonflable remplie de gaz.