Je n’en croyais pas mes oreilles en apprenant la parution de Box chez le Lézard noir. Depuis 2008 et Peur sur la ville, dernier tome la série Shiori et Shimiko, aucun manga de Daijiro Morohoshi n’avait été édité chez nous. Le plaisir est tout d’abord de retrouver intact le style drôle et émouvant de Morohoshi dans un manga datant de 2016. Les aventures de Shiori et Shimiko profitaient de la petite vague française du manga d’horreur des années 2000, qui nous apporta entre autres Tomie de Junji Ito, La Dame de la chambre close et Dragon Head de Mochizuki, ou encore Parasite de Hitoshi Iwaaki.
Face à ces récits de terreur parfois hardcore, La Tête décapitée ou Les Chevaux bleus relevaient d’un fantastique doux et fantaisiste évoquant davantage Philémon de Fred que Ring. Les deux lycéennes de la petite ville d’I-No-Atama parcouraient des univers parallèles étranges, peuplées de chevaux bleus, des fillettes possédées, de drolatiques chats humains ou de poissons dévoreurs de caractères d’imprimerie. Pour ces lectrices rêveuses, les bibliothèques étaient comme autant de mondes parallèles.
Box est lui-aussi un chef-d’œuvre d’étrangeté où sept inconnus se retrouvent piégés dans un bâtiment dont les portes, couloirs et dimension varient au gré des énigmes qu’ils doivent résoudre. L’étrange cube de béton est en soi une de ces boîtes, ancêtres du Rubik’s Cube et qui sont une spécialité japonaise. Il y a deux adolescents, dont l’un portant le prénom féminin de Megumi, une Lolita gothique douée d’un 6e sens, un couple de retraité, un expert en folklore et un architecte.
Il y a surtout Kyoko, jeune fille malicieuse, aventurière de l’occulte, et dont Morohoshi, dans la postface, nous apprend qu’elle change de personnalité selon les idéogrammes servant à écrire son prénom. Lorsque les participants résolvent une énigme, une part d’eux-mêmes devient invisible, comme le bout de crâne de la lolita gothique et, de façon plus burlesque, le pénis de Megumi. Au terme du premier tome (Box en comptera trois), rien n’indique comment les prisonniers de la boîte vont trouver une porte de sortie. Un thème sous-tend le récit : la bravoure des adolescents et la lâcheté des adultes, prêts à sauver leur vie coûte que coûte en abandonnant leurs compagnons.
Pour retracer la généalogie de la boîte, Morohoshi fait référence Kunio Yanagita (1875-1962), folkloriste dont les recueils de contes entraînèrent dans les années 60 et 70 un nouvel intérêt pour les légendes campagnardes. Le cinéma et le manga, avec le fameux yokaï-boom insufflé par Shigeru Mizuki, y trouvèrent leur inspiration. Au fond, ce que Yanagita a défriché sont les bases d’une folk-horror purement japonaise.Je ne sais pas si la légende d’une boîte apparaissant à divers endroits et époques du Japon appartient bien aux Contes de Tano (1910) de Yanagita, comme l’affirme un des personnages, mais la référence situe Morohoshi dans la tradition folkloriste. Le mangaka, son carnet de croquis à la main, parcourt les alentours de la capitale, pour en restituer amoureusement les sanctuaires shintô, les ruelles, les chats errants et les petits commerces désuets comme les librairies d’occasion.
Cette passion pour les croyances d’une Asie légendaire, autant japonaise que chinoise, constitue la base de l’art de Morohoshi. On pourrait rapprocher certains de ses mangas du grand courant archaïque et mystique des années 70, dont le fleuron au cinéma est Himiko (1974) de Masahiro Shinoda, portrait d’une chamane dans un Japon mythologique. Le visage blanc d’Himiko, ses vêtements également blancs, et ses yeux cernés de rouge pourraient avoir été dessinés par Morohoshi.
Le style faussement naïf du mangaka, ses personnages enfantins, son trait de plume fourmillant et ses fascinantes gouaches, sont ceux d’un chamane qui aurait le pouvoir de scruter l’invisible et de remonter jusqu’aux temps les plus primitifs.
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