vendredi 3 avril 2020

Trois films imaginaires de Rina Yoshioka



J’ai déjà parlé de Rina Yoshioka, ici et ici.
Une de ces dernières peintures est un triptyque de films imaginaires, ayant pour titres, de gauche à droite : Sukeban Gang, La Plongeuse sauvage (Yasei no Ama) et La Reine du quartier des plaisirs (Rakucho no Jōō). La force d’incarnation des personnages et la sensualité des couleurs font de ce triptyque une des plus belles œuvres de Rina.
Si les films sont imaginaires, ils appartiennent en revanche à trois catégories du cinéma d’exploitation japonais.
Sukeban Gang, est un film de jeunes délinquantes comme il s’en tournait début 70 avec Reiko Ike et Miki Sugimoto (Girl Boss Guerilla, et Sex & Fury de Norifumi Suzuki). Des gangs de lycéennes en uniformes se livraient une guerre sans merci avant de s’allier contre un ennemi commun, généralement le directeur sadique du lycée ou des yakuzas pervers. L’érotisme, le SM, et le fétichisme des uniformes, n’empêchaient pas ses films d’être subversifs, et de prôner une anarchie héritée des années rouges japonaises, rebelle à toute forme d’autorité surtout lorsque celle-ci est incarnée par des figures machistes. La sororité des héroïnes, la reprise des codes des yakuzas, comme le salut paume ouverte où les loubardes déclinent leur identité, ont rendu cette série très populaire chez les jeunes féministes rocks et les lesbiennes japonaises.
La Plongeuse sauvage rend hommage aux films de pêcheuses de perles qui plongent dans le pacifique parfois seulement vêtues d'un pagne. En Occident on les connait surtout grâce aux splendides photographies de Fosco Maraini. Les premiers films comme Revenge of the Pearl Queen de Toshio Shimura datent de 1954 et exploitent l’exotisme du Pacifique sud (décor d’Anatahan de Josef von Sternberg) et des ballets aquatiques. Naturellement, le genre deviendra une branche du cinéma pink dans les années 60, puis intégrera le Roman Porno Nikkatsu dans les années 70 avec des films comme Clam-Diving Ama (1979) de Shinichi Shiratori. On peut le rattacher aux films de gangs par l’unité des costumes (mêmes réduits) des pêcheuses regroupées en « tribus ».
La Reine du quartier des plaisirs ne se rattache pas à un genre particulier mais à un type de personnage et d’environnement très populaires dans le cinéma japonais. Mizoguchi par exemple offrit leurs chefs-d’œuvre aux figures de prostituées avec Les Femmes de la nuit (1948) où l’on croise par ailleurs un gang de jeunes délinquantes et La Rue de la honte (1956). La femme peinte par Rina, appuyée à une gouttière et observée par un soldat américain est typique de l’ère Showa avec ses cheveux bouclés et son chemisier à fleurs.
Qu’elle soit une délinquante adolescente, une chasseuse de perles ou une prostituée, aucune de ces héroïnes n’est soumise et chacune regarde le « spectateurs » dans les yeux. Rebelles à la société du miracle économique, paysannes luttant contre les éléments ou prostituées vendant leurs corps pour survivre dans l’après-guerre, le film imaginaire de Rina Yoshioka raconte avant tout les combats des femmes japonaises.




jeudi 26 mars 2020

Golden Gay


Il n’y a qu’à voir Les Funérailles des roses ou les photos de Katsumi Watanabe : Shinjuku était gay à la fin des années 60. Les Gay Boys étaient si populaires qu’ils commençaient à remplacer les mama-san et les clubs de travestis se multipliaient à Kabukicho. Si l’on regarde La Truite de Losey, les patronnes qui attendent les clients à la porte des bars de Golden Gai sont tous des travestis. Dans les années 80, régnait sur les nuits de Tokyo une star nommée Elle. Cette reine a par exemple baptisé Vivienne Sato, fabuleuse drag-queen et mémoire vivante du quartier, du nom quelle porte encore aujourd’hui. 
Si l'on veut s'éloigner de quelques centaines de mètres de la Ville dorée, on peut aller faire un tour à Nichome, le quartier gay attitré de Tokyo.  Le bar ouvert Advocate (désormais sous un autre nom) brasse sur sa terrasse Japonais et gaijin, et le Campy est le territoire de drag-queens exubérantes. Les filles ne sont pas oubliées et de nombreux club affichent "ladys only". Si l’on pousse la porte de certains établissements de Kabukicho, il n’est pas rare d’y trouver des yakuzas en train de boire avec les hôtesses travestis. Créatures de la nuit, participants aux mêmes économies clandestines, yakuzas et travestis ont curieusement noué un pacte tacite auquel le cinéma pourrait bien s’intéresser. Peut-être la peau tatouée, avec ses fleurs et ses ornements, est-elle une forme féminisation ? 
Les mama-san travestis sont désormais minoritaires à Golden Gai. Il y a quelques années, au bout de la rue où se trouvent le Baltimore et Uramado, trois bars formaient une petite enclave gay. Un des plus fascinants, maintenant fermé, était tenu par un travesti âgé, aux cheveux courts, que je voyais monter et descendre la rue perpétuellement. Parfois il ramenait un client en costard-cravate qui repartait aussitôt en compagnie d’un gay boy. L’activité de cette dame et de son bar me semblait assez claire. Juste en-dessous du Cambiare (le bar décoré à la façon du Suspiria de Dario Argento) : le fameux Jan June (prononciation japonaise pour Jean Genet), tenu par de jeunes travestis délurés.

Si votre tête leur revient, il est possible d’y passer un moment très agréable et découvrir un Tokyo underground : celui des employés de bureau qui le soir enfilent un tailleur et une perruque, se maquillent et deviennent quelqu’un d’autre. C’est une façon pour eux de tenir le coup qui vaut bien nos anti-dépresseurs. La jolie Mari, jeune serveuse y travaillant deux fois par mois, est banquier dans sa vie de tous les jours. Elle préfère les filles mais n’a pas eu de girl-friend depuis cinq ans. L’an dernier, je leur ai offert un exemplaire de Notre-Dame des Roses
En face, se trouvait le Pura-Pura, en haut d’un escalier éclairé de bleu, décoré de photos d’une femme glamoureuse à la perruque noire. 

J’ai quelque fois monté ces escaliers et invariablement me suis retrouvé dans un bar vide, avec derrière le comptoir un très grand travesti, rigide comme un mannequin de cire, et souriant de façon aguichante. J’ai toujours tourné les talons tant l’ambiance était glaçante. Il y a deux ans, je parlais d’elle avec Mami-chan au bar Buster. Elle m’a raconté cette anecdote : un de ses clients était allé prendre un verre au Pura-Pura, bien entendu désert. A un moment la patronne avait essayé de l’embrasser. Elle avait ensuite facturé ce baiser 10.000 yens comme un « service ». Pour plaisanter, j’ai dit à Mami-chan : « Je vais aller prendre un verre là-bas et si je ne suis pas revenu demain soir, tu devras me délivrer des griffes de la patronne. » L’an dernier, le Pura-Pura était fermé. Qu’est donc devenu le travesti-vampire qui y officiait ? 


dimanche 23 février 2020

Prisonnier de la rue Daido. Moriyama, New Shinjuku



C’est un de mes livres de photos préférés : "New Shinjuku" de Daido Moriyama, publié en 2014, et qui compte plus de 700 pages et 600 photos en noir et blanc. La jaquette est la vue abstraite d’une femme filée devant un mur mais sur la vraie couverture c’est un bar dont les murs sont couverts de photos de centaines d’yeux. 

Ces Tausend Augen sont ceux de Daido Moriyama, l’homme qui depuis 50 ans marche dans ce quartier, homme des foules, des gares et des ruelles. S’il entre dans les petits bars de Golden Gai, il reste à l’extérieur des clubs érotiques de Kabukicho, pour y pénétrer, il faudra aller voir du côté de son complice Araki.

C’est une vertigineuse énumération d’instantanés, principalement d’East Shinjuku, entre la gare, Kabukicho, Nichome, et Golden Gai… mes quartiers. C’est un ballet d’ombres où les hommes et les femmes, salarymen, office ladys, lycéennes, travestis et prostituées, se confondent avec les mannequins des vitrines, les affiches du dernier cinéma porno et les portraits en devanture des clubs à hôtesses. 

C’est aussi une collecte de murs en crépis, de carrelage, de goudron scintillant, de pavés, de grillages… de toutes les matières qui font Shinjuku.  Sur certaines pages, on peut sentir du bout des doigts le satiné de l’encre noire. Le sol est toujours ce qui semble attirer le regard de Daido : mégots, bouteilles en plastique, poubelles, clochards effondrés dans un amas de tissus, chats de gouttière, jambes de femmes chaussées de stilettos... Tokyo est aussi une ville qui sombre et Shinjuku sa dernière fête qui se poursuit nuit après nuit et les photos de Daido sont sa mémoire. Il y a aussi les multiplications et les empilements, dont le livre se fait l’écho dans ses dimensions-mêmes : perspective d'enseignes de clubs, cagettes de bouteilles de Coca, boîtes de conserves dans un konbini, photos de garçons nus sur les portes des bars de Nichome, étals de poissons, groupes d’office ladys, usagers du métro, vélos, autocollants sur les téléphones publics, centaines de bars de Golden Gai. 
La plupart sont sans qualité et valent pour leur multiplicité, l’effet de collection, retranscrivant la sensation exacte de traverser le quartier. 


Surtout en été, lorsque Daido photographie cette fille, la tête contre le comptoir du bar, la peau humide et les cheveux emmêlés et collés de sueur. 

Et dans cette suite minimaliste et fragmentaire, soudain un visage dans la nuit.



samedi 1 février 2020

15 Days de Suzuki Shiroyasu, un journal filmé à la fin des années 70

Suzuki Shiroyasu (né en 1935) est un poète et cinéaste relativement inconnu en France (par moi en tout cas). Le festival de Rotterdam projetait cette année 15 Days, un journal filmé à la fin de l’année 1979 et sorti en 1980. Suzuki semble très lié avec Image Forum, la salle mythique d’art et essais de Shibuya, et avec une cinéaste du nom de Wada Shinko réalisatrice de Song of the Earth (je n’ai pas réussi à retrouver sa trace). L’écrivain se fixe comme contrainte de se filmer lui-même, à raison d'une bobine de 16mm (à peu près cinq minutes) quotidienne pendant quinze jours. Il déclare ne pas savoir où le mènera cette expérience mais est certain qu’il en ressortira quelque chose. Sa problématique est d’abord d’être le sujet de son propre film, l’œil de la caméra devenant celui des futurs spectateurs, qui ne sont alors que des fantômes. Lui-même se considère comme un yurei en devenir ; ce qui n’est pas encore le cas puisque Suzuki, âgé de 85 ans est toujours vivant. 

Lors des premières journées, on le voit dans une posture étrange, tournant le dos à la caméra et ne se retournant que pour vérifier le minutage, comme s’il était lui-même angoissé par le dispositif qu’il avait mis en place. Une grande partie de ses monologues concerne sa production d’articles pour divers périodiques, dont le magazine féminin New Woman :  globalement, à part ses quelques sorties mondaines où il rencontre ses pairs, et le visionnage assidu de la série Les Incorruptibles, il écrit du matin au soir et ne dort que quelques heures. « Ce n’est pas une vie », lâche-t-il un moment. Mais bien vite, vient s’ajouter une autre angoisse : un auteur du nom d’Horikawa, lors d’un vernissage lui reproche de ne pas être dans la vie et finalement de n’être qu’un écrivain de chambre. « Lorsqu’il a bu, Horikawa peut se montrer acerbe et méchant » confie Suzuki. Le dispositif filmique, très claustrophobe, lui semble alors le révélateur de la réflexion de son collègue. La première faille dans le dispositif est un problème d’enregistrement du son de la caméra, qui l’oblige pendant quelques jours à utiliser à magnétophone. 
Peu à peu, Suzuki va installer sa caméra dans différents endroits de son appartement, insérer des plans d’objets, filmer des expositions de photos, faire le portait de son épouse Mari, et pointer sa caméra sur un miroir. 

L’écrivain se montre aussi de plus en plus à l’aise face à la caméra, abandonnant sa posture complexée. Ce qui apparaît au fil des quinze jours de tournage est le plaisir de l’expérimentation cinématographique. 
Les plans finaux de son quartier en hiver démontreraient alors qu’il a réussi à dépasser la critique d’Horikawa, accordant son travail artistique au monde extérieur. 15 Days, grâce à la personnalité drôle et volubile de son auteur, est à la fois un témoignage sur la vie littéraire de la fin des années 70 et l’autoportrait sincère d’un écrivain.

On peut lire un exemple de la poésie de  Suzuki Shiroyasu sur ce blog ici

lundi 27 janvier 2020

Benzaiten, protectrice de Kabukicho



Il y a au Japon sept divinités associées au bonheur ou Shichifukujin : Ebisu (protecteur des pêcheurs et des marchands), Daikokuten (la richesse, le commerce et les échanges), Bishamonten (les guerriers, et la loi bouddhique), Fukurokuju (la longévité, la virilité et la sagesse), Hotei (l'abondance et la bonne santé), Jurōjin (la prospérité). Fardée et apprêtée, Benzaiten, seule femme de ce panthéon, est la protectrice de l'art et de la beauté, de l'éloquence, de la musique, de la littérature, des sciences et de la vertu. A l’exception d’Ebisu issu du Shintô, tous sont des dieux indous ayant transité par la Chine et qui, selon les chercheurs, auraient étés regroupés artificiellement sous l’ère Muromachi (1392-1568) avant de trouver leur forme définitive au 17e siècle. L’origine de Benzaiten est Saravasti, épouse, demi-sœur et fille de Brahma, possédant les mêmes dons artistiques. Sa monture, un cygne blanc, est remplacée au Japon par un serpent de mer car Benzaiten est une déesse maritime, dont le culte est rendu dans les îles et sa guitare devient un biwa. Divinité des arts et de la séduction féminine, elle est naturellement devenue la protectrice des geishas dont le luth est également l’instrument de prédilection.
Benzaiten par Aoigaoka Keisei (1832) Metropolitan Museum
 Dans un recoin de Kabukicho, entre les pachinkos les clubs érotiques et les love hotel, se trouve un minuscule temple dédié à la belle Benzaiten. Devant l'autel est inscrit : « En l’honneur de notre respect éternel pour Benzaiten, la protectrice du quartier ». 
Si l’on cherche l’esprit du lieu, la sainte du quartier, c’est ici qu’il faut aller. Kabukicho n’était jusqu’à l’après-guerre qu’une terre marécageuse où de nombreux dieux étaient célébrés. En avril 1945, sous les bombardements, les temples furent dévastés. Seule la statue de Benzaiten put être sauvée par un de ses fidèles. Kihei Suzuki, le chef de l’association de la reconstruction de Shinjuku de l’après-guerre, l’homme qui voulu faire du quartier le centre de la vie théâtrale de Tokyo (d’où l’appellation Kabukicho) fit construire ce petit temple pour héberger Benzaiten. Il s’agit d’un des premiers actes de la restauration de Shinjuku. Son projet théâtral échoua mais finalement Benzaiten, patronne des geishas, est tout à fait à sa place au cœur du quartier rouge. Nul doute que bien des filles de Kabukicho viennent faire leurs dévotions à Benzaiten au cœur de la nuit électrique.




mardi 21 janvier 2020

Koji Wakamatsu et Masao Adachi, jusqu'à la victoire, toujours

« Moi j'étais plutôt dans la résistance et Wakamatsu dans la vengeance. »
Masao Adachi

Sex Game de Masao Adachi (1968)

J’ai rencontré une dernière fois Koji Wakamatsu lorsqu’il est venu à Paris faire la promotion du Soldat Dieu en 2010. C’était l’occasion pour Les Cahiers du cinéma de revenir sur le cinéma politique japonais des années 60 et 70, et de tracer en lien entre ses films pink et ses dernières œuvres qui le replaçait à la place qui avait toujours été la sienne : un des plus grands cinéastes japonais. Je profitais d’un voyage à Tokyo, en août 2010, pour rencontrer son complice Masao Adachi, de retour derrière la caméra après des années de prison. En l’attendant dans ce café de Shinjuku, j’étais bien sûr très intimidé. Je pensais au morceau de cinéma et d’histoire qu’Adachi représentait, aux conflits qu’il avait traversé et tout simplement à son courage. De façon cocasse, il sortait du dentiste car il s’était cassé une dent en jouant avec sa petite-fille. Un révolutionnaire vit toujours dangereusement. Shoko Takahashi était l’interprète de l’entretien avec Koji Wakamatsu et la rencontre avec Masao Adachi a été rendue possible par Terutaro Osanaï. Le dossier des Cahiers du cinéma « Tokyo, années 60 », est paru dans le numéro 662, en décembre 2010.




Koji Wakamatsu : " Pour moi, les films pink étaient des armes"

La nouvelle d'Edogawa Ranpo La Chenille a été interdite pendant la seconde guerre mondiale car trop antimilitariste.
Le roman se passe à l'époque de la guerre nippo-russe. Et, en effet il a été interdit pendant la seconde guerre mondiale. Mais j'étais trop jeune à cette époque pour m'en souvenir.

Vous semblez avoir délibérément gommé tout l'aspect fantastique du récit.
J'ai écrit toute l'histoire du film moi-même et, excepté le personnage du soldat amputé, je n'ai utilisé aucun élément du livre. On trouve également un personnage très proche dans Johnny Got his Gun de Dalton Trumbo.

Au début du film le soleil rouge du drapeau japonais se superpose à la pupille d'une chinoise violée et assassinée. C'est une image très forte.
A l'époque, le drapeau était le symbole de l'oppression japonaise. Cette femme a vu l'invasion de ses propres yeux et cette image est restée gravée dans son cerveau.

A la différence du héros de Johnny Got his Gun, le soldat japonais était un bourreau domestique avant même son retour du front.
C'était un homme japonais typique de son époque. Je ne peux pas dire que tous les hommes japonais étaient comme lui mais à mon avis 90% étaient un peu comme lui. 

La domination politique et sexuelle est l'un de vos thèmes favoris.
Oui la relation dominant/dominé revient souvent dans ma filmographie. Je ne sais pas pourquoi. Lorsqu'il perd sa virilité il se voit à la place de la femme qu'il a violée. Les rôles sont inversés. Un peu comme dans Quand l’embryon part braconner. Le soldat réalise l'horreur de tous les viols qu'il a commis. Il comprend enfin le sentiment des femmes qu'il a violées.

Votre actrice joue avec un partenaire qui ne peut ni bouger ni parlé, comment avez-vous travaillé avec elle ?
Je ne lui donnais pas vraiment d'explication. De plus nous tournions sans répéter. Mon équipe m'a aidé à créer le meilleur environnement autour d'elle. Avant de la connaître, j'étais sûr qu'elle accepterait de jouer sans aucun maquillage. Grâce à elle, le film a une vraie présence.

Vos trois derniers films remontent le cours de l'histoire du Japon. Il y a Le paysage d'un garçon de 17 ans qui traite de la jeunesse actuelle, United Red Army sur les années 60 et 70 et Le Soldat Dieu qui sur la seconde guerre mondiale.
En fait, je voulais faire une trilogie des films sur les garçons de 16 à 17 ans. Dans le premier film, le personnage a 17 ans et dans United Red Army, il y a un garçon de 16 ans. C'est tiré d'un fait divers : un garçon, dans le département de Okayama a tué sa mère et s'est enfui vers le nord en vélo. Il a roulé presque 100 km par jours et a été arrêté dans le département d'Akita. En lisant ce fait divers j'ai été stupéfait par son acte : comment peut-on tuer sa mère ? Et j'ai commencé à faire des recherches. Cette affaire a été très analysée à la télévision par des journalistes. J'étais complètement en désaccord avec toutes leurs interprétations. Ce garçon était complètement brimé, il fallait qu'il se comporte bien, qu'il soit poli, etc. Il a eu tellement de contraintes pendant son enfance qu'il a fini par exploser. Évidemment, le garçon a été obligé de signer un rapport rédigé par la police mais il n'avait pas de raison particulière de tuer sa mère. Il était juste arrivé au bout de ce qu'il pouvait supporter.

Le film est un très beau et énigmatique road-movie.
Le garçon ne peut rouler que vers le nord car il a les montagnes d'un côté et la mer de l'autre. Je voulais que le garçon ait des conversations avec les paysages. Et dans ces paysages j'ai inséré le passé du pays avec le vétéran de la seconde guerre mondiale et la vielle dame coréenne "femme de réconfort" des soldats japonais. 

C'est comme si le garçon retrouvait la mémoire du pays.
Dans une gare il rencontre un vieil homme qui lui parle de sa vision de l'empereur et de la mobilisation des soldats pendant la guerre. Plus tard, il est hébergé par cette vieille dame coréenne qui lui raconte sa jeunesse et pourquoi elle n'a pas pu avoir d'enfants parce qu'on la prostituait aux soldats japonais.

La jeunesse vous semble-t-elle amnésique sur l'histoire du pays.
Ce n'est pas seulement le problème des jeunes c'est aussi celui des adultes qui n'essayaient pas d'enseigner l'histoire.

Dans United Red Army vous relatez des événements très proches de vous.
J'étais tellement très en colère quand j'ai vu le film de Masato Harada, The Choice of Hercules que je voulais absolument filmer ce qui s'est vraiment passé dans le chalet d'Asama. Je voulais le léguer aux générations futures. Par exemple, j'ai réellement connu la fille qui s'appelle Toyama, qui est victime d'une purge et que l'on oblige à frapper son propre visage. Elle m'a beaucoup aidé pour le documentaire que j'ai filmé en Palestine.

Les jeunes acteurs se sentaient-il eux-aussi chargés d'un devoir historique ?
Je n'ai pas demandé aux jeunes acteurs d'étudier quoique ce soit. Ils ont eux-mêmes compris qu'il fallait étudier et faire un effort pour capturer l’esprit des jeunes de l'époque.

A la même époque, Masao Adachi tournait Prisoner/Terrorist, l'histoire de l'Armée rouge japonaise au Liban.
J'y ai participé comme figurant mais j'avoue que je n'ai pas compris grand-chose au film. C'est sans doute trop intellectuel pour moi. Lorsqu’Adachi est sorti de prison, il n'était plus du tout considéré comme un révolutionnaire et un cinéaste. Il avait très peur qu'on ne voit en lui qu'un criminel. C'est pour ça qu'il a décidé de tourner l'histoire de Kozo Okamoto. Mais je crois tout de même qu'il aurait dû rendre son film plus compréhensible pour qu'il soit vu par un plus grand nombre de personnes.

Perfect Education 6, Le paysage d'un garçon de 17 ans et United Red Army semblent tournés dans la même région montagneuse.
Oui, j'ai tourné les deux premiers presque en même temps, mais pas United Red Army.

Dans les années 60 vous filmiez beaucoup l'océan, maintenant il semble que vous filmez davantage des paysages neigeux.
Je suis originaire d'une région où il y avait beaucoup de neige mais aussi la mer. Je crois que ces deux paysages m'ont influencé.

Le paysage d'un garçon de 17 ans est très libre dans sa narration, on a l'impression que le film se construit en même temps au gré de la route du personnage.
En effet, nous sommes montés dans une petite voiture avec une caméra et nous avons suivi le garçon qui faisait du vélo. Il parait que quand j'étais petit je discutais avec les poissons dans la rivière. Mes voisins pensaient que j'étais un peu fou. Depuis je crois que j'ai cette manie de parler avec les paysages. C'était vraiment le concept initial du film : des conversations avec les paysages, les montagnes, les brumes, la mer, les couchers de soleil... Quand j'ai parlé de ce projet, tout le monde m'a dit que ce serait incompréhensible. J'ai écouté leur conseil et ajouté les personnages du vétéran et de la femme coréenne.
La femme qui prête son ventre (Haragashi onna) de Koji Wakamatsu (1968)

Vous êtes le plus connu des cinéastes pink, vos films sont-ils représentatifs du genre ?
Pour moi les films pink étaient des armes. Ils m'ont permis de faire les films que je voulais faire. Avant, il n'y avait pour les jeunes que les films de la Nikkatsu avec des stars qui draguaient des filles sur des bateaux à voile. Avec mes films ils ont sans doute trouvé quelque chose qu'ils recherchaient. Ce sont ces étudiants et en particulier ceux qui participaient aux mouvements étudiants qui m'ont éduqué.

Vos films ont-il permis à d'autres cinéaste de se "libérer" ? Oshima semble influencé par votre cinéma lorsqu'il tourne sur un scénario d'Adachi, Journal d'un voleur de Shinjuku.
Je ne sais pas si je l'ai vraiment je l'ai influencé mais en tout cas on a bu beaucoup ensemble. Pour ce qui est du Journal d’un voleur de Shinjuku, mon assistant l'a aidé sur le tournage. Il lui a montré comment voler dans les magasins. Il s'agissait de Michio Akiyama qui interprète le jeune garçon de Va, va vierge pour la seconde fois.

Nagisa Oshima et Koji Wakamatsu

L'acteur de vos films des années 60, est souvent Ken Yoshizawa. D'où venait-il ?
Ken Yoshizawa était comédien dans la troupe de théâtre situationniste dirigée par Juro Kara, qui joue le tueur des Les Anges violés. J'allais souvent le voir jouer. Au départ il est un comédien de théâtre, c'est moi qui l'ai emmené dans le monde du cinéma. Il joue d'ailleurs le rôle du père dans Le Soldat-dieu. Après avoir longtemps arrêté de jouer, il recommence à travailler comme acteur.

Et Mimi Kozakura, l'actrice de Va, va deux fois vierge qui impressionne tout le monde ?
Elle n'a rien fait après ce film. Elle a complètement disparu. Ce n'était pas une actrice, on l'a trouvée dans la rue à Shinjuku. Je crois que c'est le seul film dans lequel elle a joué. Je crois que j'ai un don pour bien utiliser les non professionnels. Je préfère d'ailleurs travailler avec eux.

Une légende veut que Takeshi Kitano apparaisse aussi parmi les figurants.
A un moment on voit des jeunes courir et Kitano serait parmi eux. Je ne le connaissais pas à l'époque, il n'était qu'un des nombreux jeunes qui vagabondaient à Shinjuku. En fait, la plupart des acteurs de mes films sont des gens que j'ai rencontrés dans des bars et qui se sont assis par hasard à côté de moi. Quand il me manquait des acteurs, je demandais à mes assistants d'aller en chercher dans la rue. Je sollicitais aussi les comédiens de théâtre underground.

Vos génériques comportent souvent des images de manifestations. Qui les filmait ?
Je les tournais moi-même en me disant qu'elles me servir un jour. Sinon, les étudiants eux-mêmes allaient les filmer et me les donnaient.

Koji Wakamatsu et Masao Adachi (en haut) sur le tournage de Shinjuku Mad (1970)

La fin de L'extase des anges est un incroyable moment cinématographique et musical. 
J’ai travaillé avec Yosuke Yamashita qui est maintenant considéré comme un très grand musicien de jazz. J'allais souvent l'écouter dans des petites salles de concert et je voulais absolument faire des films avec lui.
Pour l'extase des anges, j'ai demandé à Yosuke Yamashita et ses musiciens de se battre avec les images. C'est quelque chose que je fais de temps en temps. J'enlève complètement le son et je demande aux musiciens d'improviser devant l'écran. Je leur demande de se bagarrer avec mes images.

Vous avez également tourné en 1979, Ejiki, un film sur le reggae avec Yûya Uchida.
J'ai assisté au premier concert de Bob Marley au Japon, dans une salle de Shibuya. Toutes les stars de l'époque étaient là, des acteurs comme Yusaku Matsuda, des musiciens comme Joe Yamanaka (qui jouera plus tard avec les Wailers). Ils étaient tous très excités et ça m'a donné l'idée de faire un film sur le reggae. Comme le reggae n'était pas très connu au Japon, Yûya Uchida, qui est également producteur de musique, a pensé que le film pouvait en faire la promotion. C'est comme ça que nous avons pu négocier et avoir gratuitement des morceaux devenus célèbres depuis.

Il y avait une vraie interaction entre les cinéastes, les metteurs en scène de théâtre ou les peintres dans le quartier de Shinjuku ?
J'aime beaucoup Shinjuku parce qu'il n'y a pas de discrimination : il y a des Japonais, des Chinois, des Coréens. Tout le monde est libre de s'habiller comme il veut. Je rencontrai les cinéastes de la nouvelle vague mais aussi des gens comme Tatsumi Hijikata, l'inventeur du Butô qui était un ami. Partout, il y avait des artistes comme lui.

Retrouvez-vous le même climat maintenant à Shinjuku ?
En partie mais les jeunes ont changé. Autrefois, à Golden Gai, on parlait de politique, de cinéma, de théâtre. Maintenant presque plus personne ne parle de politique. On parle à peine de théâtre.


Masao Adachi : "la tragédie de la vie japonaise"


Votre intégrale aura lieu à la cinémathèque dans le cadre du cinéma d'avant-garde. Pourquoi ne pas avoir choisi à l'époque une forme narrative plus traditionnelle.
Mes premiers courts métrages ont été réalisés quand j'avais à peu près 20 ans. A cette époque, tous les films japonais étaient « narratifs », et voulaient simplement raconter une histoire. J’ai voulu décrire les sentiments d'une génération dont l’Histoire était en train de s’écrire. J'ai donc pensé que la forme narrative ne s'appliquait pas à eux. Je voulais montrer les images qui n'expliquaient rien et renoncer à des enchaînements narratifs trop simples.

Vos films décrivent une violence que les films commerciaux dissimulaient.
La violence était présente dans toutes les structures de la société. Je me demandais comment des êtres humains qui n'étaient ni des héros ni des héroïnes pouvaient survivre à cela. L'époque était vraiment coincée et tous les problèmes communiquaient. Mes films sont à l’image de la société à cette époque.

Comment avez-vous rencontré Koji Wakamatsu ?
A l'époque, je ne pensais pas du tout intégrer une vraie structure de production. Je travaillais dans un groupe underground et le cinéma commercial ne marchait déjà plus très bien. Cependant il se tournait beaucoup de films pink. Un ami qui appartenait à notre groupe et qui travaillait déjà dans le cinéma pink m'a conseillé d'intégrer ce milieu pour apprendre à faire des films plus traditionnels. Je suis donc devenu assistant-réalisateur.
Lorsque j'ai rencontré Wakamatsu, nous avons parlé de la société qui était fermée. Comment pouvait-on sortir de cette situation ? C'était à vrai dire notre seul point commun.
Wakamatsu était très actif. Moi j'étais plutôt dans la résistance et lui dans la vengeance. C'est une différence qui est encore réelle entre nous. Wakamatsu est toujours en guerre et il aime mettre en scène des criminels et des marginaux. Mes scénarios attaquaient le pouvoir, et ça lui a plu tout de suite.

Comment était votre travail de scénariste puisque les films de Wakamatsu étaient tournés en très peu de temps ?
En général, j'écrivais beaucoup plus de dialogue que ce que l'on retrouve dans les films. Wakamatsu coupait beaucoup, surtout les scènes qui étaient importantes pour moi ! Je voulais décrire la façon dont la société était bloquée, mais pour Wakamatsu, il était plus important de montrer l'action de ce déblocage et les sentiments que cela impliquait. Pour lui, il fallait aller au plus direct. 

La Guérilla des étudiantes (Jogakusei gerira) de Masao Adachi (1969

Comment décririez-vous le milieu artistique et politique de Tokyo dans les années 60 ?
Politiquement j'étais plutôt neutre. Je n’ai jamais appartenu aux mouvements étudiants mais l'époque était en elle-même déjà très politisée. Dans le quartier de Shinjuku, il y avait beaucoup de gens, beaucoup de personnes sans travail, qui étaient tous des activistes. La culture et la politique étaient mélangées. On faisait du cinéma dans cette ambiance.
Par exemple, je voyais souvent Terayama qui était dramaturge et metteur en scène de théâtre et de cinéma, Hijikata le danseur de Butô. Je voyais Oshima presque tous les soirs, on buvait ensemble. C'est comme ça que j'ai joué comme acteur dans La Pendaison et écris le scénario du Journal d’un voleur de Shinjuku. Les gens échangeaient de façons très panoramiques et énergiques. On se liait très facilement avec des photographes, des musiciens ou des peintres comme Tadanori Yokoo. C'était une des différences avec la génération précédente comme Yohida ou Shinoda qui se souciaient surtout de leur propre esthétique. Oshima est un cas à part, car bien qu'appartenant à la génération précédente, il a affronté directement l'esprit de son époque.

La Pendaison (Koshikei) de Nagisa Oshima (1968)

Vous sentiez-vous plus libres que les cinéastes de studios ?      
Des cinéastes plus traditionnels comme Kurosawa affrontaient aussi leur époque, mais c'étaient des gens comme Oshima, Wakamatsu ou Matsumoto qui le faisions de la façon la plus pointue. Nous pouvions travailler comme la nouvelle vague française en faisant des films avec nos camarades. Les cinéastes français ou quelqu’un comme Yasuzo Masumura, qui avait initié un nouveau cinéma à l’intérieur des studios, étaient aussi nos camarades d'une certaine manière. De 1969 à 1971, les mêmes événements se produisaient un peu partout dans le monde, dans chaque domaine. Oshima se trouvait par hasard à Paris pendant mai 68. Je lui ai demandé pourquoi il n'avait pas filmé, il m'a répondu que ça appartenait aux français de le faire. Pour Oshima c'est ce qui se passait au Japon, les émeutes à Shinjuku, par exemple, qui importait. Mais en tout cas, à cette époque, nous pensions partager les mêmes intérêts même si nous appartenions à des pays ou à des disciplines différentes.

Mishima était-il un ennemi pour vous et votre génération.
Nous partagions la vision du monde mais pas les mêmes conclusions. Mishima avait ses idées, sa philosophie et son esthétique, ce qui a déterminé sa fin tragique et triste. Mais on peut dire que c'était la tragédie de la vie japonaise, c'est la société qui était mauvaise. Malgré son groupe militaire, son coup d'état raté, il n'était en aucun cas notre ennemi. Après son suicide, Oshima a filmé La Cérémonie qui y fait directement référence. Cela veut dire qu'ils suivaient ensemble l'époque.

Dans Gushing Prayer la jeunesse semble filmée de l’intérieur, quelle était votre relation avec ces jeunes très engagés.
J'attendais beaucoup des générations suivantes. Dans les années 60, la société japonaise était en train de changer et nous étions coincés. Mais après 68, les jeunes générations ont vraiment essayé de s'en sortir. J'ai participé aux manifestations et aux barricades. J'ai beaucoup parlé avec eux pour les comprendre. Je voulais vraiment croire à ces jeunes générations.


Gushing Prayer de Masao Adachi (1971)

Gushing Prayer
conserve certains éléments du cinéma pink comme les passages à la couleur.
A l'époque, il y avait un statut du cinéma pink, des règles et un système. 90% des films étaient réalisés de cette façon. Les miens n'en faisaient pas partie et ils n'avaient pas beaucoup de succès. C'est pour ça que les gérants de salles étaient très critiques sur mes films. Pourtant, mon but n'était pas forcément de changer les règles du cinéma pink. J'étais conscient de faire un film pink mais à la fin mes films n’en faisaient pas vraiment partie. Au fond, je crois que j’avais tout de même envie de dépasser le simple cadre du cinéma pink.

A qui s’adressaient réellement vos films ?
Shuji Terayama a écrit un manifeste sur le cinéma pink en inventant le concept de "chômeur sexuel". Pour lui, le pinku eiga méritait d'exister pour les gens qui n'arrivent pas à faire l'amour et avoir des petites amies. C'est pour ça que Terayama voulait faire son propre film pink par ailleurs. J’insistais sur le fait que mes films s’adressaient eux-aussi aux "chômeurs sexuels", comme les autres films pink. Mais, les films de Wakamatsu dont j'ai écrit le scénario ne rentraient pas dans cette catégorie aux yeux des exploitants de salles et parfois ils refusaient de les montrer. Donc avec Wakamatsu, nous étions obligés de nous battre pour imposer nos films. On négociait directement avec eux. Comme certains ont remporté un grand succès, nous avons fini par être acceptés.

Où trouviez-vous vos actrices ?
Nous n'avions pas d'argent, c'est pour ça que nous allions dans la rue chercher des filles ordinaires. Lorsqu'on parle avec des filles et qu'on leur dit qu'il s'agit d'un film pink, la plupart s'enfuient mais il y a des filles qui restent. Même si elles ne sont pas très belles, ce sont elles qui vont jouer. Mais fondamentalement, je m'en foutais qu'elles soient belles ou non. C'est une des raisons pour laquelle les exploitants de salles râlaient : ils voulaient des films avec des belles filles. Wakamatsu m'engueulait aussi. Mais moi je voulais travailler avec des gens ordinaires qui apporteraient leur existence dans le film. Dans la plupart des films pink, les actrices sont belles mais elles n'ont aucune existence en dehors des scènes de sexe.

L'Extase des anges est très dur envers les mouvements de gauche.
Nous voulions les mettre en image de façon très réaliste et nous confronter à la jeunesse qui faisait partie des mouvements révolutionnaires. A cette époque, la limite de ce mouvement était déjà présente; ils enchaînaient des actions violentes pour faire survivre le mouvement, mais en même temps ça le détruisait. Je pensais que telle était la réalité de ce mouvement, et qu’il fallait le montrer. J’ai décrit ces gens comme des « blanquistes », d’après Auguste Blanqui : même si leur conviction était pure, ils la détruisaient aussi par eux-mêmes. C’était ma vision des mouvements révolutionnaires. A l'époque Wakamatsu ne croyait pas à la Nouvelle gauche. Il a critiqué l’Armée Rouge Unifiés jusqu’au bout, jusqu’au drame du chalet d’Asama. Avec L’Extase anges, pour la première fois il a quitté sa neutralité et a pris parti pour les révolutionnaires. C'était un tournant dans sa carrière et c’est devenu un tournant dans nos vies.

Avec AKA Serial Killer vous avez élaboré une théorie, la « Théorie du paysage ».
Au départ de ce projet il y avait un fait divers sur un garçon, qui n'avait pas 20 ans, et qui avait tué des gens avec un pistolet. J'ai fait des recherches sur son enfance et sur les petits boulots qu'il avait faits au Japon. La société japonaise moderne était en train de s'élaborer très rapidement. A la campagne, toutes les villes étaient des copies des autres villes, toutes construites en béton, tous les paysages se ressemblaient d'une région à l'autre. Dans ces paysages, le garçon souffrait. C'était un garçon sérieux : il travaillait bien, il n'a pas voulu devenir yakuza et vendre de la drogue... J'ai donc pensé que ce garçon en était arrivé à commettre ces crimes pour résister à ces paysages qui l'encerclaient et l'écrasaient. Pour faire ce film, j'ai essayé de vivre dans le même espace-temps que lui et de montrer simplement ces paysages-là.

AKA Serial Killer (1971)


Tourner ce film a-t-il été une motivation pour vous tourner Armée rouge : FPLP Déclaration de guerre mondiale ?
Oui, effectivement même si cette explication pourrait devenir trop symbolique. Ces paysages que le garçon avait vu toute sa vie, et dans lesquels il était emprisonné avaient été créés par le pouvoir et les structures économiques. Donc il ne pouvait pas les accepter. Pour FPLP, j'ai voulu faire la suite de ce projet dans le sens où le peuple qui habitait dans ces régions n'avait rien, étaient discriminé. J'ai voulu montrer ce peuple qui essayait de regagner leur monde et leur pays natal. Donc c'était bien la même chose que AKA serial Killer : des gens qui essayaient de regagner un paysage contrôlé par le pouvoir.

Alors que Wakamatsu tournait United Red Army, vous avez filmé l'histoire de l'Armée roue en Palestine dans Prisoner-Terrorist ?
Je voulais filmer comment j'avais ressenti intérieurement cette époque, en faisant la guérilla en Palestine. Wakamatsu a quant à lui ressenti le besoin de faire la synthèse de ce qu'il a vu et ressenti par rapport à la nouvelle gauche. C'est vrai que les thèmes étaient similaires. Nous avons essayé de décrire quelle volonté animait les jeunes à cette époque.


Quel sera votre prochain film ?
Le thème ressemblera un peu à celui de tous mes autres films. Il s'agit d'un jeune homme qui vit très mal dans la société japonaise. Il ne commet pas vraiment de crime mais finalement la société le traite comme un grand criminel mais aussi comme un héros. Il s'enfuit et se réfugie dans un hôtel, les gens dressent alors des barricades pour le défendre de la police. Le modèle de cette histoire est un événement très célèbre qui s'est passé il y a 40 ans, mais ce récit peut être adapté à l'époque présente. 

Prisoner / Terrorist de Masao Adachi (2007)