Il y a deux ans, je dénichais à
Taco-ché, la célèbre boutique underground de Nakano Broadway (Tokyo), un petit fascicule
nommé Eat it. Il s’agissait d’un malicieux mélange de gouaches, inspirées par
les affiches de cinéma et les magazines des années 70, et de plats japonais très
courants comme les ramen, le curry ou les sushis. Le résultat était drôle et
sexy. Je reconnaissais quelques clichés célèbres de Meiko Kaji ou Reiko Ike
mais les visages étaient légèrement modifiés : toutes ces femmes avaient
un air de famille.
La créatrice de cet étrange livret de gastronomie pink se
nomme Rina Yoshioka et son concept « Le monde de Naomi ». C’est une
fantaisie sur l’ère Showa et les années 60 et 70 qui sont considérées comme son
zénith et dont l’un des prénoms les plus populaires était Naomi, comme celui de
la chanteuse Naomi Chiaki ou de l’actrice SM Naomi Tani. Qu'elle soit yakuza, femme
au foyer, mama-san, hôtesse, office lady ou paysanne, Naomi est l’unique héroïne
de ses peintures, version ultra pop et ironique des bijin, ces « belles
personnes » des estampes de l’ère Edo.
C’est comme si la peintre évoquait l’ère Showa, qu’elle est un peu trop jeune pour avoir connue, à travers ses
artefacts pop, parmi lesquels les films tiennent une place importante. Rina est diplômée de cinéma et de photographie,
ce qui explique sans doute la dimension narrative de sa peinture et sa
connaissance des codes visuels des affiches et photos d’exploitation. Mais ce n’est
pas tout : Naomi se retrouve sur des couvertures de magazines, des programmes
télévisés, des pochettes de 33t, d’anciens mangas et des affiches de misemono
(spectacles forains) en charmeuse de serpent. Elle appartient à ce monde de
papier qui dégorge des boutiques de livres et de revues d’occasion de Jimbocho,
le quartier des bouquinistes de Tokyo. Souvenirs
d’une époque bariolée, hédoniste, mais aussi rêveuse et mélancolique.
Dans le
monde de Naomi, on trouve des garçons aux chemises multicolores, les cheveux en
banane comme les chanteurs Tatsuya Watari et Akira Kobayashi, mais le plus souvent
ce sont des quinquagénaires chauves et ventripotents qui poursuivent l’héroïne de
leurs assiduités, la soumettent à d’odieux chantages, s’ils ne la ligotent pas
comme dans les récits érotiques d’Oniroku Dan. Une peinture est des plus intrigantes :
Naomi, version femme au foyer, est assise sur le carrelage de sa cuisine, le
chemisier légèrement déboutonné, et son panier à provision renversé, des
courgettes et des concombres jonchant le sol. Par la fenêtre, derrière elle, un
homme l’observe. Naomi, es-tu la Justine ou la Juliette de l’ère Showa ?
Es-tu une housewife perverse ou une innocente prostituée ? « Je veux juste
peindre des femmes avec une vie intéressante » répond Rina Yoshioka.
Une interview en anglais de Rina
Yoshioka ici
Sa Web Page ici
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