mercredi 13 avril 2022
mardi 12 avril 2022
Le printemps des fantômes : les trois visages de la peur
Demain ressortent au cinéma Ring, Dark Water et Audition.
Une femme désarticulée qui sort
d’une télévision, une mystérieuse fillette en ciré jaune, une femme fatale qui découpe
ses amants : au tournant du millénaire, la peur avait de longs cheveux
noirs et était japonaise.
C’est Sadako qui ouvrit le bal
des fantômes. Simple série B conçue pour sortir pendant O-bon,
l’halloween japonais, Ring (1998) devint un phénomène japonais puis
asiatique et enfin mondial.
Ring : Sadako, le fantôme
dans la machine
Où en était le cinéma d’horreur à
la fin des années 90 ? Les grands noms se mettaient en retrait comme John
Carpenter, survivaient dans la série B comme Tobe Hooper et George Romero,
peinaient à se renouveler comme Dario Argento, ou avaient changé de catégorie
comme David Cronenberg. Seul Wes Craven avait connu le succès, mais son Scream
(1996) n’avait entraîné que des slashers pour adolescents dont le public
s’était rapidement lassé. Au contraire, Ring était un film sérieux, sans
la moindre goutte de sang et travaillait la terreur avec une précision
d’horloger. Adaptant un roman de de Koji Suzuki, Hideo Nakata revenait aux principes
de l’épouvante tel que son maître Jacques Tourneur les avait définis : dans
le hors-champ, les reflets, et les ombres planait une menace surnaturelle. Ring
inventait un monstre inédit, féminin de surcroit, à l’apparence
immédiatement identifiable. Avec sa robe blanche et ses longs cheveux tombant
sur le visage, Sadako entrait au panthéon du fantastique aux côtés de Michael
Myers (Halloween) ou Freddy Krueger (Les Griffes de la nuit). Si
aux yeux des Japonais elle reprenait les codes des fantômes classiques comme la
Femme des neiges du Kwaidan de Kobayashi, pour l’Occident elle était
absolument énigmatique et terrorisante. Son modus operandi était inédit et
particulièrement efficace : le visionnage d’une cassette vidéo frappait
son spectateur d’une malédiction ne lui laissant que sept jours à vivre. La
scène où Sadako sortait d’une télévision pour pétrifier sa victime devint le
manifeste de la terreur moderne. A sa suite, les fantômes japonais hantèrent les
téléphones portables (One missed Call de Takashi Miike), les ordinateurs
et sites internet (Kairo de Kiyoshi Kurosawa), les caméras de
surveillance et même les photocopieuses (Ju-on the Grudge, de Takashi
Shimizu). Autrefois, dans les récits fantastiques classiques, les spectres
flottaient au-dessus des marais aux alentours de temples baignés de clarté
lunaire. Ce cliché, équivalent du manoir gothique des récits anglo-saxons,
laisse place aux minuscules appartements des grandes cités, aux ascenseurs et
aux parkings.
Dark Water : âmes à la
dérive
Dans Dark Water (2002),
seconde adaptation de Koji Suzuki par Hideo Nakata, Tokyo n’est pas la
mégalopole électrique du Lost in Translation de Sofia Coppola mais une
cité de béton lugubre peuplée d’âmes perdues. L’impressionnant décor principal
est un immeuble vétuste, sinistre bloc de béton se dressant dans une banlieue
baignée par une pluie sans fin. C’est dans ce monde gris et délavé qu’emménagent
Yoshimi, une femme en instance de divorce, et Ikuko, sa fille de cinq ans. Alors qu’elles tentent de s’acclimater à leur
nouvelle vie des phénomènes mystérieux se produisent. Qui est cette fillette en
ciré jaune qui se promène dans les couloirs ? Pourquoi un petit sac pour enfant
rouge ne cesse d’apparaître entre les mains d’Ikuko ? Une menace venue de
l’au-delà va tenter de séparer la mère et la fille. Dark Water est
autant un film de terreur qu’un mélodrame : à la haine de Sadako se
substitue le chagrin d’une enfant abandonnée. Errant dans les couloirs de
l’immeuble, Mitsuko Kawai se cherche une mère pour l’éternité, et pour cela
tente d’évincer la fille légitime. L’eau est la substance maudite du film,
s’infiltrant partout, inondant les appartements, et faisant circuler dans les
tuyauteries des matières insalubres. C’est aussi la matière de la folie puisque
dans la lignée de la « trilogie des appartements » de Roman Polanski
(Répulsion, Rosemary’s Baby, Le Locataire), le fantastique
est trouble et pourrait aussi exprimer la névrose d’une mère se croyant inapte à
tenir ce rôle. Dans un pays de salarymen éreintés par le rythme des entreprises,
rien n’est adapté aux mères qui souvent doivent renoncer à la vie active. Quitter
son travail pour aller chercher Ikuko à la sortie de l’école devient une source
d’angoisse pour Yoshimi. Dans cette oppression impalpable réside la vraie
malédiction qui l’emprisonne et se transmet de mère en fille. On ne s’étonnera
pas que le public privilégié des mangas et films d’horreur soit les femmes qui y
trouvent une forme de catharsis. Sadako est une jeune fille violée et jetée
dans un puits. Mitsuko, une fillette dont la mort a été oubliée. Dans une
société où leur voix peine encore à se faire entendre, les femmes viennent
réclamer justice depuis l’au-delà. Asami dans Audition est une autre
victime de ces inégalités, mais aussi la plus vindicative.
Audition : la malédiction
des femmes japonaises
Adapté d’un roman de Ryu Murakami
(Les Bébés de la consigne automatique), Audition (1999) est le
film qui révéla Takashi Miike en Occident. Stakhanoviste du V-cinema
(films distribués directement en vidéoclubs), Miike avait déjà une riche
filmographie derrière-lui, principalement dans le genre du film de yakuza. Audition
appartient quant à lui à l’eroguro, ce genre qui mêle l’érotisme à
l’horreur dont Tatouage de Masumura est un des fleurons. Asami n’est pas
un fantôme ou une créature surnaturelle mais une femme double : derrière son
physique de mannequin se dissimule une tueuse, véritable femme araignée qui
paralyse ses victimes et les mutile. Audition ne serait qu’une variation
sur la figure du serial killer, à la façon de Basic Instinct, si
Miike n’en faisait une parabole de la condition féminine japonaise. L’audition
du titre est celle que fait passer un producteur de cinéma à plusieurs dizaines
d’actrice. Ce n’est qu’un prétexte puisqu’il cherche en réalité une nouvelle
compagne. Asami va entrer dans les fantasmes de cet homme qui ne voit en elle
qu’une image. En situant le film dans le monde du cinéma, Miike anticipe le
séisme provoqué par l’affaire Weinstein. Si le personnage d’Audition est
bien moins pervers que l’ex-patron de Miramax, il use aussi de ses pouvoirs de
producteur et ne désire en Asami qu’une poupée à manipuler. Dès son plus jeune
âge, Asami est la victime d’hommes dominateurs qui veulent la contraindre et en
faire leur jouet, tel ce professeur de danse vicieux qui la martyrise. Malgré
sa réputation de cinéaste à la violence déchaînée, Miike a toujours été
attentif aux discriminations, qu’il s’agisse des minorités n’ayant que les
clans criminels pour s’insérer, ou les femmes, contraintes de répondre aux
critères sociaux de beauté et d’abnégation.
Tapies derrière le miroir obscur
de nos terreur contemporaines, Sadako, Mitsuko et Asami n’ont pas fini de
revenir nous hanter.
dimanche 10 avril 2022
Le printemps des fantômes : Dark Water (panfleto)
NB : un "panfleto" est un fascicule que les spectateurs peuvent acheter dans les salles de cinéma diffusant le film. On en trouve encore des milliers dans les librairies d'occasion japonaises et elles sont une source d'information et d'iconographie précieuses pour les cinéphiles.
mercredi 6 avril 2022
Le printemps des fantômes : le musée hanté
Pour l’exposition Enfers et fantômes d’Asie en 2018 au Musée du Quai Branly, avec Julien Rousseau, nous avions choisis des estampes, des kakemonos, des affiches de cinéma, des mangas, des sculptures, des masques pour évoquer l’art spectral… de grands écrans présentaient des extraits des films les plus lugubres du cinéma japonais comme le terrifiant Onibaba de Kaneto Shindo ou le Yotsuya Kaidan de Nakagawa.
Nous avions frôlé l’arrêt cardiaque dans celle aux pieds de la tour de Tokyo et sa succession de couloirs métalliques, de locaux désaffectés et d’écrans de surveillance nous permettant de voir que derrière nous s’avançait une forme rampante. Nous avions plaint les étudiants passant leur été dans ces maisons hantés, grimés en fantômes, et bien plus terrifiés par les visiteurs que l’inverse. Il fallait les voir ouvrir subrepticement une trappe, pousser un cri et disparaître, toujours à une distance raisonnable pour ne pas risquer un coup de poing incontrôlé.
Tournés en studio, des effets spéciaux faisaient sortir un filet de brume d’une lanterne et Oiwa se matérialisait, la moitié du visage comme, il se doit, lépreuse. Comme dans la légende, elle appelait son mari, le samouraï l’ayant trompée, défigurée et poussée au suicide en une sinistre mélopée : « Iemon.. Iemon.. »
L’autre espace d’immersion était consacrée à la J-horror : Sadako se dressait au fond d’un couloir et la femme en noir de Kairo s’avançait vers nous, trébuchant infiniment. Mais la pièce dont j’étais le plus fier avait été conçue à partir de quelques secondes de la fin de Ju-on 2 (version vidéo) et montrait la cour d’une école envahie de doubles de Kayako. En robe blanche, les cheveux tombant sur le visage, elles se balançaient sous la pluie en un étrange ballet.
J’étais heureux de consacrer un espace à un de ces films « sans qualité », tournés pour le marché de la vidéo et qui contiennent les germes de la J-horror. Les « kayako » couraient sur les quatre murs de la pièce et j’ai pu remarquer comme les visiteurs ne s’y attardaient jamais. Ceux venant en groupe plaisantaient et se prenaient parfois en photo, mais les visiteurs solitaires n’y passaient qu’un instant, regardant anxieusement autour d’eux avec un visage tendu.
Pendant quelques secondes, ils étaient passés dans le monde des spectres japonais. Vous souvenez-vous que quiconque pénètre dans la maison de Kayako en ressort maudit ?
Le catlogue de l'exposition peut être commandé ici
Séances de maquillage de Yôko Higashi.