mercredi 6 avril 2022

Le printemps des fantômes : le musée hanté





Pour l’exposition Enfers et fantômes d’Asie en 2018 au Musée du Quai Branly, avec Julien Rousseau, nous avions choisis des estampes, des kakemonos, des affiches de cinéma, des mangas, des sculptures, des masques pour évoquer l’art spectral… de grands écrans présentaient des extraits des films les plus lugubres du cinéma japonais comme le terrifiant Onibaba de Kaneto Shindo ou le Yotsuya Kaidan de Nakagawa. 




Pourtant il nous semblait qu’il manquait quelque chose : offrir au visiteur la sensation de véritablement rencontrer un fantôme. Lui faire toucher du doigt la fine ligne de la croyance, si imperméable à la pensée occidentale. Pour cela nous devions créer nos propres spectres. Nous devions immerger les visiteurs dans ce monde d’humidité et d’étouffante chaleur, allant des étangs et des lanternes de l’ère Edo jusqu’aux ascenseurs et néons grésillant de la J-horror.  Bien sûr nous assumions totalement le côté forain de l’entreprise. A Tokyo en 2016, nous avions visité la « scary house » d’Hanayashiki, la fête foraine derrière le grand temple d’Asakusa, avec ses yurei traditionnels et ses poupées votives ricanantes. 


Nous avions frôlé l’arrêt cardiaque dans celle aux pieds de la tour de Tokyo et sa succession de couloirs métalliques, de locaux désaffectés et d’écrans de surveillance nous permettant de voir que derrière nous s’avançait une forme rampante. Nous avions plaint les étudiants passant leur été dans ces maisons hantés, grimés en fantômes, et bien plus terrifiés par les visiteurs que l’inverse. Il fallait les voir ouvrir subrepticement une trappe, pousser un cri et disparaître, toujours à une distance raisonnable pour ne pas risquer un coup de poing incontrôlé.



Il n’était bien sûr pas question de recourir à des figurants dans l’exposition. C’est pour cela que nous avons demandé à la danseuse Yôko Higashi d’interpréter Oiwa la mère des fantômes japonais, l’ombre d’une femme chat et une écolière apparaissant pendue, désarticulée où observant à la dérobée derrière une cloison. Le spectre d’Oiwa fut le plus complexe à concevoir mais aussi le plus passionnant puisqu’il s’agissait d’un hologramme, ou plutôt d’une projection sur toile de lin, avec des objets comme une lanterne et le panorama d’un étang donnant l’impression de la tridimensionnalité.



Tournés en studio, des effets spéciaux faisaient sortir un filet de brume d’une lanterne et Oiwa se matérialisait, la moitié du visage comme, il se doit, lépreuse.  Comme dans la légende, elle appelait son mari, le samouraï l’ayant trompée, défigurée et poussée au suicide en une sinistre mélopée : « Iemon.. Iemon.. »



L’autre espace d’immersion était consacrée à la J-horror : Sadako se dressait au fond d’un couloir et la femme en noir de Kairo s’avançait vers nous, trébuchant infiniment. Mais la pièce dont j’étais le plus fier avait été conçue à partir de quelques secondes de la fin de Ju-on 2 (version vidéo) et montrait la cour d’une école envahie de doubles de Kayako. En robe blanche, les cheveux tombant sur le visage, elles se balançaient sous la pluie en un étrange ballet. 



J’étais heureux de consacrer un espace à un de ces films « sans qualité », tournés pour le marché de la vidéo et qui contiennent les germes de la J-horror. Les « kayako » couraient sur les quatre murs de la pièce et j’ai pu remarquer comme les visiteurs ne s’y attardaient jamais. Ceux venant en groupe plaisantaient et se prenaient parfois en photo, mais les visiteurs solitaires n’y passaient qu’un instant, regardant anxieusement autour d’eux avec un visage tendu. 






Pendant quelques secondes, ils étaient passés dans le monde des spectres japonais. Vous souvenez-vous que quiconque pénètre dans la maison de Kayako en ressort maudit ?



Le catlogue de l'exposition peut être commandé ici


Séances de maquillage de Yôko Higashi. 

























 


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