mardi 29 mars 2016

L'érotisme noir de l'ére Showa


On aime dans le versant « noir » du roman-porno, les films de Konuma des années 70 comme La Vie secrète de madame Yoshino ou Femme à sacrifier, qui sont aussi des contes de terreur où les identités deviennent des masques et le monde un décor secrètement manipulé par des monstres sournois. On retrouve la même sexualité théâtralisée dans les revues érotiques de l’ère Showa. Des années 50 à l’orée des années 80, ces revues, parmi les plus belles du monde, étaient un incroyable champ d’expérimentations graphiques.
Les initiales SM que l’on retrouve sur certaines couvertures jouent sur l’ambigüité puisqu’elles désignent aussi les mots « Suspense & Mystery ». Confusion à peine hypocrite puisque dès les années 20 les récits policiers d’Edogawa Rampo comme La Proie et l’Ombre ou La Bête aveugle abondaient en éléments sadomasochistes. De même ceux du maître du roman SM Oniroku Dan, possèdent une dimension policière avec ces épouses bourgeoises contraintes à toutes les perversions par des maîtres-chanteurs, qui se révèlent in fine leur propre mari.  On retrouve cet alibi dans le magazine « Le lecteur moderne », consacré aux « femmes criminelles ». La veuve noire ou le couple criminel lesbien font bien sûr partie de l’imaginaire masochiste masculin. Les couvertures assemblent des portraits gouachés de femmes aux regards rusés, chuchotant on ne sait quelle machination.
De façon naïve, elles essayent de reproduire le style des pulps américains mais évoquent davantage l’érotisme lunaire des peintures de Picabia.

Au Japon comme en France, l’érotisme est intrinsèquement lié au surréalisme. Cette revue tout simplement nommée SM magazine (pour Suspense et Mystère bien entendu) a ainsi consacré une fascinante série de couverture à des mannequins que l’on croirait sortis d’un film de Mario Bava.


Des compositions hallucinées


L’une des revues les plus étranges se nomme裏窓 ou Uramado, traduction japonaise de Fenêtre sur cour d’Hitchcock. Les premières couvertures sont classiquement celles de récits policiers mais déjà les motifs du genre sont fétichisés à l’extrême, annonçant les giallos italiens. Le téléphone est rouge-sang et son fil, transformé en corde, s’enroule autour de l’héroïne, sans doute la proie d’un maître-chanteur.


Ici un personnage féminin décadré, dont seul l’œil est visible, un collier rouge à son cou et une broderie énigmatique en forme de rose ceignant son poignet. Un encart isole le fétiche principal : une corde qui entoure sensuellement une main aux ongles rouges.  L’influence graphique est celle des revues de mode de l’époque et signale qu’au Japon le SM est une forme particulière de glamour avec ses modèles vedettes et ses parures, entre la haute couture et le prêt à porter.
Edité entre 1956 et 1964, Uramado connait plusieurs périodes dont certaines plus classiquement SM, avec des femmes pulpeuses en kimono, telles que Naomi Tani en sera la vivante incarnation.
D’autres couvertures font référence ouvertement au surréalisme.


A l’intérieur, les récits et photos relèvent d’un SM plus traditionnel mais toujours légèrement décalé. Ainsi ces photos où le corps est porté à la lisière de l’abstraction.
C’est là où la revue justifie son titre et l’emprunt à Hitchcock. Ce qui est excité chez le lecteur est le voyeurisme et l’envie de faire la mise au point sur la figure féminine. Celle-ci est rendu désirable par l’impossibilité d’assouvir pleinement la pulsion scopique. Cette autre série datant de l’année 64 est peut-être l’une des plus belles de son époque. Dans ces images, qui semblent tirées d’un rêve, le corps féminin, inaccessible, devient un détail de la composition. C’est moins le désir de se rapprocher qui est mis en scène que le regard dominateur du spectateur, observant cette femme retenue captive d’un paysage.



dimanche 20 mars 2016

Lafcadio Hearn et la littérature insecte



Il y a bientôt 10 ans lors de mon premier voyage à Tokyo, j’entendais dans la nuit d’août une sorte de grésillement ininterrompu, un peu métallique, que j’attribuais naïvement aux lignes électriques apparentes. Tout me semblait tellement irréel qu’au fond Tokyo pouvait avoir un son n’appartenant qu’à lui. Lorsque j’ai appris qu’il s’agissait du chant des cigales, j’ai trouvé la réalité encore plus étrange. Des cigales en plein cœur de Tokyo… 
Aout 2016. Une cigale à Shinjuku.
Le recueil de textes de Lafcadio Hearn consacrés aux insectes m’apprend qu’on dénombre au Japon sept variétés de cigales ou « sémi ». En été, j’entendais probablement  la « Mimmin-zémi » qui « se met à chanter au moment des grandes chaleurs » ou bien la « Tsuku-Tsuku-Bôshi » qui apparaît au « lendemain de la fête des morts » donc au mois d’août. Ces listes d’insectes avec leurs noms et leurs particularités font toute la poésie du livre et nous renvoient à ce Japon magique, toujours présent même au cœur des mégalopoles. On connait bien sûr Hearn pour ses kaidan ou histoires de l’au-delà, qui sont la base des récits de fantômes japonais. Hearn était un « folkloriste » mais il rajoutait une dramaturgie et des descriptions terrifiantes héritées de son Irlande natale, berceau de la littérature fantastique du XIXe siècle (Bram Stoker, Oscar Wilde, Sheridan Le Fanu). 
On comprend bien vite qu’Insectes est un nouveau recueil d’histoires de fantômes. Comme les spectres, les insectes cohabitent avec les hommes tout en demeurant la plupart du temps invisibles. J’en avais fait l’expérience avec mes cigales dont je n’entendais qu’une manifestation. Près du sanctuaire Meiji du parc de Yoyogi, je trouvais quelques cadavres sur le sol. Ce n’étaient que des enveloppes fragiles, vides et desséchées par la chaleur, comme si quelque chose qui était la cigale avait quitté  sa forme terrestre. 
L’autre correspondance entre les insectes et les fantômes est leur faculté à héberger les âmes des défunts. Ainsi ce grand papillon blanc, fantôme d’une adolescente, qui vient cueillir l’âme de son fiancé au moment de sa mort, cinquante ans plus tard.  Cet homme qui revient sous l’apparence d’une mouche pour demander un service bouddhiste et accéder à une réincarnation plus correcte. Et bien sûr il y a les lucioles, dont une variété se nomme « yurei-otaru » ou luciole fantôme. L’intérêt du texte est davantage ici économique que fantastique, Hearn nous relatant un véritable commerce des lucioles, enfermés dans des lanternes et servant à décorer les restaurants ou les banquets. La libellule est bien sûr toute désignée pour être dotée de facultés fantastiques : la « shôrai-tombô » ou « libellule des morts » servirait ainsi de montures ailée aux esprits. 
Comme il y a une littérature des fantômes, il y a une littérature des insectes, souvent sous la forme de poèmes, des hokku (première forme des haïkus) ou tanka. Ces quelques vers recèlent souvent une énigme dont Lafcadio Hearn nous donne la clé. Ainsi, pour exprimer l’amour caché d’une femme : « Quand tombe le soir, mon âme brûle plus ardemment que la luciole ; mais ce feu ne peut se voir et l’aimé reste insensible ».
Le moment le plus poétique du livre revient à Hearn lui-même dans le chapitre consacré aux moustiques. Il relate une polémique de son temps sur la forte affluence de moustiques dans les cimetières à cause des bols d’eaux laissés en offrande aux défunts. Mais peu à peu, comme si la mélancolie du mois d’août le gagnait, les moustiques sont oubliés, et Hearn pense à sa propre sépulture et au repos de son âme.
« D’ailleurs lorsque sonnera l’heure de mon départ définitif, j’aimerai être déposé dans l’un de ces vieux cimetières bouddhistes. Ainsi les fantômes qui me tiendront compagnie seront anciens et ne se préoccuperont ni des modes, ni des changements, ni des désintégrations de l’ère Meiji.  Le vieux cimetière au fond de mon jardin conviendra très bien. Tout y est beau, d’une beauté presque effrayante ; chaque arbre, chaque pierre y a été formé par un idéal si antique que nul cerveau moderne ne saurait le concevoir… et les ombres qui s’y cachent n’appartiennent ni à ce temps-ci, ni à ce soleil. »



Insectes de Lafcadio Hearn (Les Éditions du Sonneur), Traduction de l’anglais et préface d’Anne-Sylvie Homassel.
Le site des éditions du Sonneur ici

(illustration d'ouverture Keisai Eisen, période Edo)

samedi 12 mars 2016

La Fille de Fukushima

Je l’ai rencontrée l’an dernier, un soir d'octobre à Golden Gai. Elle aurait pu être belle mais son visage était émacié, un peu grêlé, et sa peau trop bronzée presque brûlée. Très vite, elle m’a parlé de Fukushima et de toute façon il n’y avait pas d’autre sujet de conversation possible.
Elle travaillait dans une agence de ventes de programmes audiovisuels et un jour un collègue lui  a dit : « Tu es Japonaise et pourtant tu fais comme si Fukushima n’existait pas. » Alors, elle est allée à Fukushima. Elle m’a montrée des photos sur son téléphone : les ruines que plus personne ne filme, les maisons abandonnées et les intérieurs détruits, non par le tremblement de terre mais par les animaux sauvages qui s’y introduisent. Elle m’a aussi parlé de ce petit commerce de la mort : les paysans qui malgré le danger des radiations restent à la lisière de la zone interdite pour percevoir des primes.  
Peu à peu, malgré l’intérêt de son témoignage, je voyais se dessiner son rapport personnel à Fukushima. Cela faisait moins de deux ans qu’elle avait eu cette révélation et depuis multipliait les voyages. Son corps avait emmagasiné les radiations et par deux fois elle avait dépassé la limite. « Je crois que je n’en ai plus pour très longtemps, et l’an prochain je serai peut-être morte d’un cancer. » Sur l’écran du bar, passait Mad Max Fury Road. « Je l’ai vu 16 fois » m’a-t-elle dit en montrant l’écran. Pour elle ce monde complètement ravagé existait déjà à Fukushima. « Au début, je voulais m’informer, Maintenant ce n’est même plus le Japon mais le monde entier que veux mettre en garde. » 
J’ai essayé de lui parler de Land of Hope de Sono Sion mais je me suis rendu compte qu’elle ne m’écoutait pas, et répétait son discours en boucle. Peut-être depuis le début me voyait-elle à peine. Bien sûr, elle devait être soule mais plus profondément c’étaient les radiations qui étaient devenues sa drogue. Dès le lendemain elle repartait là-bas, comme aimantée. Au fond, elle était aussi la proie d’une addiction plus ancienne, celle de Tokyo à l’électricité. La drogue est un mode de vie, écrivait Burroughs et l’électricité implique aussi un mode de vie, dans ces quartiers où la nuit est éclairée comme le jour et où la palpitation des néons efface la fatigue. Et ces fils électriques découverts qui sont comme les veines visibles de la ville où circule son énergie vitale. Fukushima Daiichi représentait alors pour la jeune femme la source la plus puissante d’électricité du Japon, et elle allait là-bas s’en charger jusqu’à l’overdose.














samedi 27 février 2016

Œdipe Queer (sur Funeral Parade of Roses - 薔薇の葬列)

Les Funérailles des roses (Bara no sôretsu, 1969) de Toshio Matsumoto

 En 1969, dans la frénésie artistique, politique mais aussi érotique qui électrisait alors le Japon, Toshio Matsumoto, cinéaste venu du documentaire et de l'expérimental, décide de réécrire l'histoire d'Œdipe dans le milieu des travestis et des bars gays. Les Funérailles des roses, c'est Œdipe à Shinjuku ou, si l'on veut, Œdipe Reine, sous forte influence de Notre-Dame des fleurs de Jean Genet. Son ascendance secrète se fera sentir aussi bien chez le Kubrick d'Orange Mécanique (qui en reprend les accélérés musicaux) que chez le Gus Van Sant de My Own Private Idaho qui transpose, dans un style tout aussi pop et éclaté, Falstaff de Shakespeare chez les prostitués homosexuels de Portland.
Produit par la mythique ATG, Les Funérailles des roses a pour héros Eddie, un jeune travesti d'une grande beauté, hanté par des souvenirs d'enfance cauchemardesques. Lorsqu'enfin Eddie croit avoir trouvé la paix, il s'aperçoit que son amant (interprété par Yoshio Tsuchiya, l'un des Sept samouraïs), patron d'une boîte de nuit, n'est autre que son propre père, qu'il n'a jamais connu.
Le premier travestissement, typiquement camp, est l'inversion du sexe des personnages du mythe. Malicieusement, Matsumoto oscille entre un univers de fantaisie baroque (le club se nomme le Bar Genet), et la description documentaire du milieu gay japonais. Bien que Mishima y ait situé plusieurs de ses ouvrages et que des figures cultes comme Carrousel Maki et Akihiro Miwa (le Lézard noir de Fukasaku) en aient émergées, pour la première fois, un cinéaste consacrait un long métrage à cet univers encore confidentiel. Matsumoto offre les premiers rôles de son film à des non-professionnels recrutés dans les clubs, mais il leur donne surtout la parole. Il recueille les témoignages d'êtres qui, bien que parfois suicidaires ou désespérés, affrontent la société avec courage.
La marginalité intense de ces Tokyo Dolls permet à Matsumoto de dessiner les contours d'une scène underground japonaise proche de celle des américains Jonas Mekas et surtout Andy Warhol. La vie nocturne tokyoïte où se brouillent les identités sexuelles et les désirs, devient une Factory à ciel ouvert, où brillent des Superstars comme le jeune travesti Peter. Matsumoto le rebaptise Eddie, jeu de mot sur Œdipe, mais aussi hommage à Eddie Sedgwick dont Peter possède les paupières noircies, le visage juvénile et la silhouette de nymphe. Matsumoto raconte comment, alors qu'il écumait les bars gays avec son équipe, Peter est apparu, irradiant de lumière, captant les regards et imposant le silence autour de lui. Cet éblouissement, Peter le conserve tout au long du film, jusqu'à la cécité qui, comme dans le mythe, achève son destin. Lors des scènes d'amour, Matsumoto irradie, parfois jusqu'au négatif, le corps du jeune homme, faisant de la lumière son premier travestissement. Cette ascension d'une figure aveuglante du désir renvoie à Jack Smith et à l'orgie blanche de Flaming Creatures, où, aussi bien que les ténèbres, la surexposition confondait et mêlait les corps et les identités.

Comme un feu-follet, Peter traverse tous les univers, qu’ils s’agissent des clubs gays, des plateaux de films pinks ou de l'appartement d'une communauté de cinéastes expérimentaux. Matsumoto filme avec humour ces jeunes révolutionnaires, qui tordent les images d'une télévision pour les refilmer en 16mm, et citent fièrement les théories de "Monas Jekass". Mais plus profondément, ni les travestis, ni les cinéastes ne répondent à la norme ; créatures paniques, ce sont les agents du désordre, qu'il soit sexuel, social ou  artistique. Même à Tokyo en 1969, l'androgyne reste une figure du chaos. Peter devient le réceptacle de visions que Matsumoto emprunte au pan psychédélique du cinéma expérimental : les flicker de Tony Conrad, les spasmes épileptiques de Paul Sharits, les danses stroboscopées de Ronald Nameth. La trajectoire d’Eddie est faite de moment de joie intense mais aussi d'errances somnambuliques dans un ténébreux musée des masques et de crises d'angoisses qui lui font perdre ses esprits.
Comme le Mike narcoleptique de My Own Private Idaho, Eddie est sujet à des absences qui fracturent le film. Il s'évanouit et reprend connaissance à des moments antérieurs du récit, comme s'il cherchait dans le temps un point précis. La perception d'Eddie est déréglée par un moment obscur, refoulé, de son passé (le meurtre de sa mère), à l'origine de sa transformation d'adolescent apeuré en jeune fille extravertie. Incognito, Eddie rejoue bien la tragédie d'Œdipe, même si à la place d'être sacré roi Thèbes, il devient la Mama-san d'un club gay. Tout en brodant sur le mythe sa fantaisie pop, Matsumoto ne le néglige pas pour autant : le fatum reprend toujours ses droits par surprise, et de la plus sanglante façon qui soit. Cette tragédie est celle de ces figures chatoyantes qui s'étourdissent dans la nuit tokyoïte mais n'ignorent pas que leur place n'est nulle part. Eddie, les yeux crevés, sort dans la rue et expose aux passants son visage ensanglanté. Ce qu'il dévoile alors en plein soleil est toute la violence de la société envers ceux qu'elle rejette dans la nuit.

Cet article fait partie du dossier « Tokyo, années 60, L’esprit de Shinjuku » paru dans les Cahiers du cinéma n° 662, décembre 2010.

Le dossier comprend également
Un panorama des sixties révolutionnaires japonaises
Cinéma pink et guérilla - entretien avec Masao Adachi (première interview française de Masao Adachi)
Citique du Soldat dieu de Koji Wakamatsu
Se battre avec les images - entretien avec Koji Wakamatsu
Mort aux artistes ! entretien avec Jim O’Rourke

Pour commander le numéro, ici




Sur Peter, un autre billet ici


Peter, onnagata pop


Ran (1985) de Kurosawa c’est bien sûr Nakadai dans le rôle d’Hidetora, démon kabuki furieux à la crinière blanche, mais c’est aussi Kyoami, le fou interprété par un étrange acteur nommé Peter ou Pitâ mais rarement de son vrai nom Shinnosuke Ikehata. Pour la plupart des spectateurs, même ceux féru du cinéma japonais classique, Peter est une apparition. D’où vient ce personnage androgyne, clownesque, à la sensibilité bouleversante ?



A la fin des années 60, Peter est une star des nuits gays tokyoïtes. Dans les boîtes de Nichome, c’est sa  silhouette de nymphe et ses collants qui lui ont donné son pseudonyme en référence à Peter pan. C’est là que le cinéaste Toshio Matsumoto le remarque et lui confie à 17 ans le premier rôle de son Œdipe Queen : le jeune travesti des Funérailles des roses (1969). 

Dans ce premier long métrage japonais prenant la communauté gay pour sujet, il est un corps somatisant les troubles identitaires et politiques de son temps. Evoluant parfaitement entre comédie camp et tragédie à la lisière du film d’horreur, Peter irradie, à la fois adolescent d’un type jamais vu auparavant et actrice plus rock que ses contemporaines. Même la grande Miwa semble soudain datée, comme une figure décadente et existentialiste des années 50, face à Peter qui est naturellement traversée par les énergies et les révoltes de son temps. 
On retrouvera peu après Peter dans Zatoichi at the Fire Festival (Kenji Misumi, 1970) où il est un éphèbe parvenant à troubler Shintaro Katsu et dans Les Fruits de la passion (1981) de Terayama où il joue la Madam d’un bordel chinois. Plus qu’un acteur, Peter est devenu une de ces « personnalités » extravagantes dont raffolent les Japonais, régulièrement invité à la télévision où il apparait d’ailleurs en femme, son identité affirmée de longue date.
Pourquoi Kurosawa a-t-il précisément choisi Peter pour jouer le rôle de Kyoami ? Le titre nous l’indique, Ran signifiant autant « chaos » qu’une période politiquement troublée. Kurosawa inverse les genres de la pièce de Shakespeare et transforme en fils les filles du Roi Lear. Peter en tant que fou et androgyne est une pure figure du chaos. Effigie des années 60, il représente aussi la lutte de la jeunesse, contre le pouvoir et ses normes sociales et sexuelles. Birdy Hilltop et Umeko, les jeunes héros du Journal du voleur de Shinjuku d’Oshima sont à cet égard les frères et les soeurs de Peter. Ce pouvoir vieillissant et sanglant, est représenté par Kurosawa par les clans samouraïs du XVIe siècle entraînant le Japon dans leur folie autodestructrice. Peter représente Edo, l’ère suivante, lorsqu’à la culture guerrière va succéder celle des arts et du plaisir.