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vendredi 2 juin 2023

L’été cruel des yakuzas 2 : Fleur pâle de Masahiro Shinoda

Les feux follets

« On meurt mais rien ne change. »



Je me suis demandé à quoi ressemblerait une version yakuza du Feu follet. Ce film existe puisqu’il s’agit de Fleur pâle de Masahiro Shinoda, sorti en 1964, un an après l’adaptation du roman de Drieu la Rochelle par Louis Malle.

 

En France et au Japon, deux hommes rompaient les amarres avec une société où ils ne se reconnaissaient plus, et choisissaient le néant à un simulacre d’existence. 

Muraki a passé trois ans en prison, pour avoir assassiné un chef rival sur ordre de son clan. Lorsqu’il sort, le monde lui est désormais étranger. Les ennemis d’autrefois se sont alliés contre un troisième clan menaçant leur pouvoir. Ce n’est plus l’honneur qui les guide mais le profit, et les chefs apparaissent pour ce qu’ils sont : des vieillards ridicules qui mangent leur soupe ensemble, sous une reproduction de la Joconde, dans une imitation de maison occidentale.  



Muraki est entré en prison en 1961 et en est sorti en 1964, soit l’année des jeux olympiques de Tokyo, symbole du pardon international et symbole du miracle économique du pays. Ces adversaires réconciliés ce pourraient être le Japon et les USA, contre le bloc soviétique. Muraki qui est allé en prison pour de vieilles valeurs, n’a plus sa place dans ce Japon en train de brader ses traditions. 



Saeko est une jeune fille d’une vingtaine d’année. Elle ressemble à une poupée malade dont les immenses yeux noirs dévorent le visage. Elle passe ses nuits dans les tripots des yakuzas et mise des sommes folles. Personne ne sait qui elle est ni d’où elle vient mais on murmure que sa famille est richissime. Est-elle fille d’industriels, d’aristocrates, d’hommes politiques ? Que cherche Saeko dans le jeu, en compagnie de ces hommes tatouées, comme elle étourdis par la litanie des croupiers et le bruissement d’insecte des cartes hanafuda de bois ? 



Muraki et Saeko, qui tous deux viennent de mondes différents,  vont croiser leurs destins pendant un bref intervalle de quelques nuits, et construire un étrange amour à la fois chaste et dangereux.  Lui va se diriger vers la seule société dont il comprend encore les règles : la prison. Saeko choisira la mort, qui était là, disponible pour elle, sous la forme de Yoh l’ange des ténèbres qui l’attendait patiemment depuis le début dans l’ombre des tripots. Le titre du roman d’Ishihara pouvait aussi se traduire par la fleur asséchée. Cette fleur assoiffée, déjà fanée, c’est Saeko, à la dérive comme les épaves des Fleurs du mal de Baudelaire que Shinoda lisait pendant le tournage, où ces belles phtisiques au seuil de la mort que les énervés de Jean Lorrain traquaient dans les bordels. 



Qu’est-il arrivé à la « tribu du soleil » (voir ici) célébrée par Ishihara ? Ces garçons et filles trop jeunes pour avoir vraiment connu la guerre et qui, dans la seconde moitié des années 50, expérimentaient un nouvel l’hédonisme, la libération des corps, et une sexualité moins entravée. Cette génération perdue de l’après-guerre, avait vu ses parents vénérer les Américains comme autrefois l’Empereur, et si elle vivait au présent et profitait des plaisirs et du confort matériel sentait un vide grandir en elle. 1964 est aussi l’année la lisière de l’embrasement politique du Japon, des grandes manifestations étudiantes, et de la lutte armée. Quelques années plus tard, Saeko aurait peut-être fait partie de l’armée rouge japonaise. Muraki appartient quant à lui à la génération précédente. Il a combattu pendant la guerre et le monde des yakuzas est le dernier refuge des valeurs traditionnelles de l’ancien Japon et du code de l’honneur. Seuls les yakuzas croient encore aux rituels, disait Shinoda. 



Mariko Kaga qui n’avait que 20 ans lors du tournage, allait devenir l’actrice fétiche de la nouvelle vague, sorte d’Anna Karina japonaise tournant chez Oshima (Les plaisirs de la chair), Kazuo Kuroki (Le Silence sans aile), Ko Nakahira (Les lundis de Yuka), ou Seijun Suzuki (Mélodie Tzigane). 



Agé de 46 ans,  son partenaire, Ryo Ikebe était un ancien jeune premier des films de Naruse, Imai et Kinoshita, à la gloire finissante. Fleur Pâle relance sa carrière et il devient le héros tragique des ninkyo-eiga de la Toei. Il conservera toujours quelque chose de la noirceur et de la fragilité de Muraki. Parfois tuberculeux et crachant du sang, toujours taiseux et les yeux fardés de noir, il accompagne comme son ombre Ken Takakura lorsque celui-ci marche vers son destin. 



Fleur pâle, autant qu’un yakuza-eiga est un opéra. Le sublime assassinat final du chef du clan ennemi qu’exécute Muraki sous les yeux avides de Saeko, est accompagné par Didon et Enée de Purcell.  Shinoda avait également en tête Tristan et Yseult comme trame secrète de l’amour absolu de la joueuse et du yakuza. Eternel retour de Muraki en prison ; descente au tombeau où, il pourra revivre, tel un rêve sans fin, sa rencontre avec Saeko. Fleur pâle est ce récit raconté depuis les ténèbres par un homme désormais hors du temps.

Fleur pâle est sorti en France pour la première fois au cinéma le 31 mai 2023 grâce à Carlotta Films.


 

Pour écouter l'émission de France Culture "Sans oser le demander", consacrée à Fleur pâle, dans laquelle j'interviens, cliquer ici



lundi 29 mai 2023

L’été cruel des yakuzas : Go Mishima et les roses de la pègre



Dans Kubi, présenté au dernier festival de Cannes, Takeshi Kitano expose frontalement l’homosexualité chez les samouraïs. Une réalité historique très peu abordée, excepté dans Taboo, l’ultime film d’Oshima où d’ailleurs jouait Kitano. Qu’en serait-il chez les yakuzas tout autant perclus de valeurs viriles ? Certains yakuzas sont évidemment homosexuels mais on peut supposer que, comme tout ce qui touche au domaine privé au Japon, cela n’est ni affiché ni une source d’opprobe. Les rituels de fraternité entre yakuzas se rapprochent de ceux des sociétés viriles et guerrières tels évidement les samouraïs mais aussi les Spartes, et les films transpirent leur amour bien qu’il soit platonique. 



De façon moins symbolique, les yakuzas appartiennent au monde de la nuit et règnent sur les quartiers de plaisir.  Dans la seconde moitié des années 60, ceux-ci furent dominés par la culture gay et énormément de mama-san (patronnes) et leurs hôtesses étaient des travestis. Ce monde est celui qu’a fixé le photographe Watanabe Katsumi (voir ici), et aux garçons maquillés se mêlent naturellement les hommes tatoués. Moi-même, prenant un verre dans un « gay bar » de Tokyo, je pouvais y observer un yakuza et sa petite amie entourés de jeunes travestis. On peut supposer qu’un semblable « mélange des genres » était à l’œuvre en France, et que la pègre fréquentait aussi le milieu des cabarets et des bars pour travestis. 



Que les yakuzas aient été un objet de fantasme pour la scène gays japonaise est une évidence. Il n’y avait pas que les femmes qui frissonnaient lorsque Ken Takakura faisait tomber son kimono, dévoilant un corps tatoué à la musculature parfaite. Le tatouage lui-même, avec son raffinement, ses fleurs éclatantes, et son narcissisme, possède une forte dimension homoérotique. Il fallait un artiste pour exalter la sexualité équivoque des yakuzas. Ce fut Go Mishima (1924-1988). 



Deux évènements vont contribuer à forger l’art du dessinateur. Le premier est sa découverte du dessinateur américain Tom of Finland, célèbre pour ses hommes en cuir baraqués, marines et policemen usant de leurs matraques. Rien d’efféminé chez Tom of Finland mais une virilité poussée jusqu’au délire. La seconde est sa rencontre avec Yukio Mishima dans une salle de musculation. Mishima pousse Tsuyoshi Yoshida à radicaliser son art, et celui-ci prend en hommage le pseudonyme de son mentor. 



Go Mishima commence sa carrière dans Fuzokukitan et Bara, deux des premiers magazines gays japonais en 1964 avant d’intégrer Barazoku (la tribu des roses) en 1971, première revue ouvertement communautaire, faisant par exemple paraître des petites annonces de rencontres. Barazoku étant trop tourné vers les bishonen (éphèbes), Mishima fonda Sabu où il pouvait exprimer sa passion pour le muscle. 



Le yakuza est la figure centrale de son univers graphique. L’anatomie est bien sûr parfaite chez Go Mishima, tracée de façon ligne claire. Seuls les poils sur le torse, les cuisses et le pubis, échappent à ce trait rappelant aussi l’estampe. Les seules touches de couleur sont le tissu rouge du fundoshi (pagne) et de la bande enroulée sur le ventre. 



Et bien sûr les tatouages rouges, bleus et verts. Ses yakuzas à la nuque rasée et aux cheveux en brosse se rapprochent des acteurs Akira Kobayashi et surtout Hideki Takahashi le héros de L’Emblème de l’homme (voir ici) . Si leurs regards sont noirs et leurs visages concentrés, ils possèdent aussi un calme souverain et des gestes cérémoniaux, même lorsqu’ils sont ligotés en vue d’une série de tortures. Go Mishima ne dessine pas de scènes d’amour hard entre yakuzas : son univers est fétichiste, sadomasochiste mais pas pornographique. 



Le yakuza est isolé dans le dessin, le plus souvent sans partenaire excepté parfois son tortionnaire. Il est un objet d’amour exclusif pour le dessinateur et ses admirateurs. Du reste, si les yakuzas s’étaient trouvé choqués par ces représentations, nul doute qu’ils y auraient mis bon ordre ne serait-ce que par l’intimidation. On peut supposer qu’eux-aussi y trouvaient leur compte. 





mardi 9 mai 2023

A new springtime of yakuza 6 : la rage au ventre



Pour ce nouvel épisode, je me suis plongé dans les films de gurentai (gangsters) de Kihachi Okamoto pour la Toho, merveilles pop et bariolées où l’on a le plaisir de retrouver rien moins que Toshiro Mifune en tough guy. Ces reprises décontractées du polar hardboiled américain font passer le film de gurentai à la couleur, ce qui signifie dans le cinéma japonais le livrer à la fantaisie la plus totale. J’ai aussi revisité quelques films de Kinji Fukasaku, en me disant qu’il était probablement avec Kurosawa, le plus important des cinéastes japonais modernes.



Fukasaku traverse à toute vitesse les années 70, et fait de ses figures de yakuza les grands témoins de l’époque comme avaient pu l’être les samouraïs. Bunta Sugawara anticipe le Scarface de Brian De Palma et incarne le yakuza moderne, nihiliste, agité de troubles mentaux, et dépassé par sa propre violence.



 18 mars

Cérémonie de dissolution du clan / Ceremony of Disbanding / Kaisanshiki (1967) de Kinji Fukasaku



Dans la lignée de Bloodstained Clan Honor, la lutte entre les habitants d’un bidonville et les yakuzas qui veulent les exproprier. Pour l’honneur de son clan, Koji Tsuruta a passé huit ans en prison. Lorsque qu’il sort, le monde a changé :  le Kyōdai d’autrefois (Fumio Watanabe) est devenu un yakuza affairiste qui a renoncé aux principes du ninkyo.



Quant à l’adversaire (Tetsuro Tanba) à qui il a tranché un bras et qui a juré de se venger, il est le dernier à partager les mêmes valeurs. La véritable cérémonie de dissolution se fera entre les deux hommes, Tanba renonçant à sa vengeance en brûlant le blason de son clan. Mais c’est aussi une cérémonie qui marque la fin du ninkyo et peut-être aussi du genre lui-même. 



Pour une fois un rôle complexe est confié au grand Fumio Watanabe, qui porte sur lui toute la faillite des valeurs originelles, mais garde un reste d’affection pour son frère de sang, ce qui causera finalement sa perte. Alors qu’auparavant, les yakuzas se recueillait face à la mer, celle-ci est désormais bouchées par les usines recrachant leur fumée noire. Place désormais aux combats sans code d’honneur. 




15 avril

Joueurs contre camelots / Bakuto tai tekiya (1964) de Shigehiro Ozawa



Le décor est l’un des plus beaux du ninkyo eiga : le quartier coloré des théâtres d’Asakusa, équivalent de Shinjuku pour les années 20-30. Affiches, banderoles, cinémas, et… tekiya, les camelots dont l’organisation est si proche des yakuzas qu’on les confonds parfois. Les tekiya appartiennent davantage à la légalité mais ils forment un milieu à part, un monde aussi parallèle que celui des yakuzas. C’est aussi un petit peuple pauvre, gouailleur et débrouillard. Le fameux Tora-san en fait partie, et il n’y a qu’au Japon qu’on peut voir une catégorie de métier ayant généré une telle mythologie, preuve aussi de son importance dans la société. 




Dans Joueurs contre camelots, les tekiya d’Asakusa sont menacés par l’ouverture d’un grand magasin risquant de les mettre sur la paille. Les négociations avec un homme d’affaire sont ruinées par le chef véreux d’un clan tekiya qui ne songe qu’à s’enrichir. Il accepte par exemple une contrepartie sans la redistribuer aux marchands. Il lance aussi des attentats contre le bon oyabun, qui lui est prêt à mourir pour son peuple. L’opposition bon père/mauvais père est ainsi respectée. La question paternelle est aussi ce qui hante  Koji Tsuruta dans un rôle moins lisse l’accoutumée. 



Fils du bon oyabun, il a assassiné un chef rival avant d’apprendre que celui-ci était son véritable père. Il devient donc un maudit, hanté par le parricide et se tient à l’écart de son clan. Tout le film va être un chemin le menant vers ce père qui bien qu’adoptif l’aime comme son propre fils. Leur relation père-fils passera évidemment par le sacrifice et la mort. La tragédie yakuza est ici un peu plus complexe que de coutume. Shigehiro Ozawa, retranscrit l’ambiance Taisho avec soin, avec par exemple ces bars capiteux où l’on danse à l’occidentale. Moment émouvant et rare également où l’on assiste à une séance de cinéma muet commentée par un benshi. 




23 avril

Yakuza Hooligans / Yakuza Gurentai (1966) de Sadao Nakajima



En 1966, le genre « gurentai » a été éclipsé par les ninkyo-eiga en couleur, ce qui fait du film de Nakajima la queue de comète de ces films noirs nerveux où des gangs à l’américaine braquaient des fourgons. On y retrouve le côté néo-réaliste tourné dans les rues (ici de Kyoto), la musique jazzy et les gangsters avec leurs lunettes noires et leurs petits chapeaux. Mais la nouvelle vague japonaise est aussi passée par là, et Yakuza Gurentai possède une réelle beauté photographique et surtout un discours politique. 




Les « gurentai » ou voyous, se définissent comme des démocrates qui partagent leurs butins en parts égales, tandis que les yakuzas sont encore dans un mode de vie féodal et travaillent pour leur oyabun. Pour les jeunes gurentai, les yakuzas font partie de la génération qui s’est engagée dans une guerre ingagnable, entraînant le pays dans sa chute.



Nakajima n’idéalise pas les gurentai, qui n’hésitent pas à violer les filles qu’ils veulent mettre sur le trottoir, mais il leur laisse tout de même le dernier mot dans un final très ironique. Le casting est impeccable avec entre autres Hiroki Matsukata, très drôle et à l’aise en gangster « démocrate », Shigeru Amachi (le samouraï hanté des films d’horreur de Nobuo Nakagawa), Hideo Takamatsu (Le géant et les jouets de Masumura), et l’acteur métis Ken  Sanders (Massacre Gun, Stray Cat Rock Delinquant Girl Boss).




25 avril

Hokuriku Proxy War / Hokuriku dairi sensō (1977) de Kinji Fukasaku



« La mer du Japon présente deux visages. Elle est froide et agitée l'hiver, chaude et calme l'été. Les habitants de Hokuriku possèdent les mêmes particularités, ce que l'on ne soupçonnerait pas au vu de leur apparence. Fukui, une des trois préfectures de Hokuriku avec Ishikawa et Toyama est le centre du commerce et de l'industrie. Cette ville a depuis toujours donné naissance à de nombreux yakuza. Les conflits les impliquant étaient si violents, que même un yakuza d'Hiroshima ou de Kyushu aurait changé de trottoir en croisant les gars d’Hokuriku. »



Ainsi s’ouvre Hokuriku Proxy War, ultime variation sur les Combats sans code d’honneur de Fukasaku. Nous sommes donc au nord du Japon, dans un paysage de neige, décor inhabituel pour un film de yakuza, et les malfrats ont donc troqué leurs chemises hawaiiennes pour des pulls à cols roulés, et des manteaux de fourrure. Ce qui nous vaut une introduction rappelant Goyokin, avec des masques démoniaques battant du tambour, et un combat au sabre d’ Hiroki Matsukata contre un gang, dans une forêt sous la neige.  Ce sont des ours (la façon qu’a Hiroki Matsukata de se balancer), et des loups, et Fukasaku les décrits comme les plus violents du Japon, un peu l’équivalent de la 'Ndrangheta calabraise. Le ton est donné dès le début avec un chef yakuza (le très drôle Kô Nishimura) enterré dans la neige. 



Hiroki Matsukata, trahit par une alliance entre clans, laissé pour mort et envoyé en prison, va peu à peu remonter la pente, et à force de ruse faire s’entretuer les clans adverses pour devenir le boss de la région. Ces stratégies guerrières amusent Fukasaku mais ce qui l’intéresse réellement est le moment où la bestialité et le gout du sang fait craquer ce qu’il reste du vernis du code d’honneur des yakuzas. Ces territoires sont bien plus dictés par l’instinct animal que par une réelle raison matérielle.

« -Vous n'êtes pas frères de sang ?

-Patron, la fraternité dépend de la situation. Être chez soi est plus important. »



27 avril

The Last Gunfight / Ankokugai no taiketsu (1960) de Kihachi Okamoto



Ce film noir à la Hammett, où Mifune, drôle et charmeur, porte l’imper de Bogart débarque dans une ville en pleine guerre des gangs. Se faisant passer pour un policier corrompu, Mifune infiltre un clan yakuza régnant sur la drogue, les établissements de nuit et la prostitution. Okamoto se maintient avec finesse à la lisière de la parodie. On peut voir par exemple de vampiriques tueurs, tout de noir vêtus, se produire dans un club, et chanter de bizarres chansons de gangsters. 




Comme il est de coutume dans ces films noirs d’inspiration américaine, les yakuzas portent des costumes occidentaux, et se conduisent comme un gang classique. Lors du gunfigght final, de façon surprenante et gratuite, l’un d’entre eux dévoile ses tatouages. Il y a quelque chose d’assez subversif de soudain révéler le corps tatoué et traditionnel d’un yakuza. 



Koji Tsuruta joue un yakuza à la retraite après la mort de sa femme qui sera obligé de reprendre les armes, ce qui donne lieu à un savoureux duel aux pigeons d’argiles avec Mifune. La filmographie d’Okamoto est mal connue, lui-même ayant brouillé les pistes en abordant tous les genres, du polar au film de guerre, et au jidai-geki dont le fabuleux Sabre du mal avec Tatsuya Nakadai. 




Ces polars donnent l’impression d’anticiper de quelques années ceux de Seijun Suzuki avec leurs couleurs psychédéliques de nightclubs, leur montage syncopé, et leurs raccords ultra dynamiques. Pendant l’épilogue, nous est offert un plan subliminal de poitrine féminine dénudée. Un clin d’œil suffisant pour poursuivre l’exploration de la filmographie d’Okamoto. 



 

18 avril

Big Shots Die at Dawn / Kaoyaku Akatsukini Shisu (1961) de Kihachi Okamoto



Encore un pastiche hammettien d’Okamoto, sur un scénario proche de The Last Gunfight, mettant en scène un gang de yakuza d’inspiration américaine. Cette fois c’est Yuzo Kayama, équivalent Toho des Diamond Guys de la Nikkatsu, qui débarque dans sa ville natale gangrénée par la corruption, peu de temps après l’assassinat de son père. 



L’intrigue est volontairement emberlificotée pour rester dans la tradition du roman noir américain, et on y croise une séduisante belle-mère (Yukiko Shimazaki), une jolie fille en quête de sugar daddy (Kumi Mizuno), des dandys gangsters (Mickey Curtis, Akihiko Hirata, Tadao Nakamaru) et même le toujours cartoonesque Kunie Tanaka et ses mimiques de Gainsbourg japonais. 



Si la mise en scène est un peu moins exubérante que The last Gunfight, le final est réjouissant puisqu’il se déroule la nuit dans un parc d’attraction au milieu des manèges. Les pistolets des yakuzas tirent toujours des petites flammes rouges, ce qui rajoute un côté feu d’artifice à ces polars décontractés.



4 mai 

The Glorious Asuka Gang! / Hana no asuka gumi! (1988) de Yôichi Sai 



Adapté de la mangaka Satosumi Takaguchi, il s’agit d’une version futuriste des films de jeunes délinquantes, dans un Tokyo livré aux gangs et à la violence. 




Yôichi Sai est surtout connu chez nous pour Blood and Bones (2004) ou Kitano interprète un terrifiant et bouleversant gangster d’origine coréenne.  The Glorious Asuka Gang! situé dans un proche avenir (pour 1988), raconte comment trois jeunes filles essayent de conquérir New Kabukitown (comprendre Kabukicho) partagé entre des dealers, des policiers violents (agissant come un gang) et la bande d’une élégante et muette femme yakuza. Le film est surtout intéressant pour son design sans doute inspiré des Rues de feu de Walter Hil, et ses gangs typés qui quant à eux rappellent The Warriors. 





Le générique montant les activités illicites de Kabukitown sur Satisfaction des Stones, est comme un shoot du Tokyo punk des années 80. Malheureusement, le récit est répétitif et les personnages peu attachants. Le décor de la rue principale de Kabukitown est utilisé jusqu’à épuisement mais les intérieurs rococos des clubs et du repère de Lady Hibari valent le coup d’œil. Cependant, malgré ses défauts, il est évident que le film est l’origine des mangas et films de gangs futuristes comme Tokyo Tribe de Sono Sion. 




5 mai

‎Gang vs. Gang/Gang tai gang (1963) de Teruo Ishii



Un yakuza sort de prison et se fait immédiatement mitraillé par… son propre gang. Il débarque en réalité en pleine guerre de succession pour régner sur le marché de la drogue. Il va s’allier à un gang adverse, composé d’un gentil oyabun, d’un playboy, et d’une jolie fille intrépide. Le film de Teruo Ishii est un gurentai-eiga, bien moins sérieux que ceux de Kinji Fukaskau bien qu’on y retrouve Koji Tsuruta, Tatsuo Umemiya, Ko Nishimura et Tetsuro Tanba.  





A vrai dire, il est presque incompréhensible, mais ce qui intéresse surtout Teruo Ishii poursuivant sa série Black Line, Sexy Line, Yellow Line sur les quartiers chauds de Tokyo, est de multiplier les angles insolites, les scènes légères et surtout les plans iconiques de films noirs, grâce à une superbe photographie. 



La scène finale de l’agonie de  Machiko Yashiro et Koji Tsuruta, est ainsi d’un romantisme totalement gratuit par rapport à ce qui précède mais  conclut joliment ce petit film noir. Au fond, Teruo Ishii n’a jamais été un cinéaste spécialement logique, mais toujours attiré vers une iconographie flamboyante. 




7 mai

Nouveau combat sans code d'honneur 2 : La Tête du boss / Shin jingi naki tatakai: Kumichō no kubi (1975) de Kinji Fukasaku



Second des trois « follow up » aux Combats sans code d’honneur de Fukasaku. Bunta, un yakuza vagabond, assassine un chef pour le compte du beau-fils d’un oyabun. Il est prêt à aller en prison (7 ans quand même) si cela peut lui assurer une bonne place dans le clan de son aniki. Lorsqu’il sort, il s’aperçoit que le beau-fils, un drogué, a été exclu du clan, et que personne n’est prêt à le payer en retour. 



Le film raconte sa progression à l’intérieur du clan où il parvient malgré tout à trouver sa place et sa vengeance lorsqu’à la suite d’une guerre de succession, il en est à nouveau exclu.  Bunta est encore génial et avec ses sourires ironiques du yakuza qui ne se fait aucune illusion sur les alliances et trahisons. Surtout lorsqu’elles sont orchestrées par Mikio Narita, habitué aux rôles de félons arrivistes. 



La distribution est toujours un plaisir avec Ko Nishimura en vieil oyabun qui, bien que Bunta ait tenté d’enterrer vivantes sa maîtresse, l’accueille dans son clan. Pour une fois, ce génial acteur dévoile une veine plus sensible que son habituelle couardise, et propose à sa fille  (Meiko Kaji) de revenir habiter avec lui lorsqu’il sera à la retraite.  Dans le rôle du beau-fils drogué, Tsutomu Yamazaki, émacié et le regard hanté, livre une interprétation fascinante, aussi intense que Tetsuya Nakadai, et parvient même à voler la vedette à Bunta. 





Dans le petit gang de Bunta, un acteur chanteur folk et enka avant-gardiste : Kan Mikami. Dans le livre que Benjamin Mouliets lui a consacré (voir ici) j’ai appris qu’Akira Kobayashi était l’idole de Kan Mikami. C’est précisément le nom que son personnage s’est choisi dans The Boss’s Head en hommage au « diamond guy », et grand acteur de yakuza-eiga.