Affichage des articles dont le libellé est Rina Yoshioka. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Rina Yoshioka. Afficher tous les articles

samedi 7 mai 2022

Les panneaux de films fantômes de Rina Yoshioka





  

Cette femme en imperméable, devant le rideau rouge sanglant d’un cinéma, je l’ai croisée bien souvent dans les peintures de Rina, nouvelle incarnation de « Naomi », sa figure fétiche tour à tout hôtesse de bar, femme au foyer ou effeuilleuse de cabaret. Naomi est bien sûr toujours belle et envoûtante mais elle semble prise dans la même gouache que les figures roses, haletantes et en sueur de ces affiches de l’ère Shôwa. Comme les filles des « panneaux de films fantômes », elle est destinée à être peu à peu délavée par la pluie et les nuits blanches, et s’évaporer à l'aube des années 80.

Cette magnifique peinture de Rina Yoshioka s’intitule « Devanture de cinéma »  (映画看板のある風景) et fait partie de son exposition solo « Panneaux de films fantômes » (幻の映画絵看板) à  la librairie Kastori * à Yoshiwara qui fut le mythique quartier des plaisirs d’Edo. Le blog de la librairie

*article sur Kastori Bookstore


Quelques photos de devantures de cinéma où l'on peut voir toute la précision documentaire du travail de Rina.




Les articles consacrés à Rina Yoshioka sont à retrouver ici



lundi 29 novembre 2021

Abe Sada et moi

 

Abe Sada par Rina Yoshioka, peinture réalisée pour mon livre

Il y a un peu plus d’une quinzaine d’années, j’avais fait partie d’un petit groupe de cinéphiles, ne se connaissant pas à l’origine mais qui, par une étrange synchronicité, découvraient en même temps les films de Kôji Wakamatsu. Les cassettes vidéo et les fichiers numériques s’échangeaient à cette époque où seuls deux de ses films avaient été édités aux USA : Va, va deux fois vierge et L’Extase des anges qui possédaient la particularité d’avoir ses bobines 3 et 4 inversées sur le DVD rendant le film encore plus énigmatique. Par association, Wakamatsu m’avait entraîné vers un autre cinéaste, célèbre en apparence mais dont la plupart des films étaient invisibles : Nagisa Ôshima. La filmographie d’Ôshima dans les années 60 est une série de déflagration : outre Contes cruels de la jeunesse et L’Enterrement du soleil, je plongeais dans les austères et fascinants Nuit et brouillard au Japon et La Cérémonie, le déchaîné L’Obsédé en plein jour, les glaçants Le Petit garçon et La Pendaison, et surtout Le Journal du voleur de Shinjuku qui allait occuper une place très particulière dans ma vie. J’y découvrais la puissance de l’underground japonais et me mis à collecter tout ce que je pouvais sur Tadanori Yokoo, Juro Kara, Simon Yotsuya ou Akaji Maro.  Le Journal du voleur de Shinjuku formait pour moi une trilogie informelle avec Les Funérailles de roses de Toshio Matsumoto et Premier amour, version infernale de Susumu Hani, comme un portait éclaté de la jeunesse du Swinging Tokyo. Remonter la filmographie d’Ôshima m’amena jusqu’à L’Empire des sens.  J’avais découvert le film à 20 ans et c’étaient les premières images de sexe explicite que je voyais sur un grand écran. Je me souvenais de la sensation presque hallucinatoire que m’avaient procurées certaines scènes comme la fellation de Sada. L’impression d’être au-delà des images coulé dans quelque chose de doux, chaud et humide dépassant la simple excitation sexuelle. Ôshima faisait sentir l’amour de façon sensible. Le revoyant, chargé de ses films des années soixante, j’y ai découvert encore bien d’autres choses.

Et il y eu aussi la tristesse de voir disparaître Wakamatsu et Oshima à quelques mois d’intervalle le 17 octobre 2012 et le 15 janvier 2013.

Par la suite, dans plusieurs travaux sur Ôshima, des textes pour les Cahiers du cinéma, pour le programme de la Cinémathèque, des vidéos, des émissions télévisées, je réservais toujours une place à L’Empire des sens qui me faisait l’effet d’un ilot et d’un film orphelin. L’Empire des sens qui a fait découvrir Ôshima jusqu’alors confidentiel, est sans aucun doute le film japonais le plus célèbre au monde mais paradoxalement il marque presque la fin de sa carrière qui se limitera à quatre films. Plusieurs cinéastes s’y confronteront pour représenter l’amour intégral, sans jamais parvenir à en égaler la pureté. J’avais intitulé mon livre précédent « L’Adolescente japonaise ou l’impératrice des signes » faisant un clin d’œil à Abe Sada derrière le pastiche de Roland Barthes. Voulant attaquer un livre sur Ôshima, je décidais donc de prendre L’Empire des sens comme point de départ.

Cérémonies aurait d’ailleurs dû avoir une forme différente et l’anecdote est assez amusante. En 2018, je contactais Marcos Uzal qui dirigeait alors la collection Côté Films de Yellow Now, la petite collection d’analyse de film. Il se montrait intéressé par mon projet mais, après plusieurs échanges de mails, alors que nous devions nous rencontrer pour en discuter, il disparut purement et simplement des radars. Le silence complet et aucune réponse à mes messages. C’était bien curieux. J’en devinais quelques mois plus tard la raison : il était sur les rangs pour reprendre la rédaction en chef des Cahiers du cinéma où je travaillais alors. Qu’on ne soit jamais surpris est une surprise en soi. Evidemment, cela ne m’a pas arrêté, d’autant que mon livre avait pris une autre direction. Il devait à l'origine porter sur la représentation du sexe et aurait classiquement contenu un certain nombre de photogrammes. Avais-je vraiment envie d’emprunter une forme aussi universitaire pour L’Empire des sens ? Un court chapitre devait revenir sur l’origine du film, à savoir l’affaire Abe Sada. C’est au cours de mes recherches que je tombais dans un gouffre. Je ne savais presque rien de la vie de cette femme qui pourtant, sous les traits d’Eiko Matsuda, était devenue l’un des visages iconiques du cinéma japonais. Je découvrais son enfance, le viol dont elle avait été victime à 14 ans, sa vie d’errance de maisons de geisha en bordels, ses multiples identités, jusqu’à sa rencontre en 1936 avec Kichi l’homme de sa vie. Quelques minutes du film Déviances et Passions de Teruo Ishii me terrassèrent avec l’apparition d’Abe Sada, vieille dame dans le Japon bétonné de 1969.

Sada allait m’apporter ce que j’aime le plus lorsque j’écris sur le cinéma : une narration. De la même façon que le vampire de mon livre Le Miroir obscur traversait tous les états du cinéma, c’est Sada, la véritable Abe Sada, qui allait me guider dans L’Empire des sens. J’allais à mon tour rendre hommage à celle qu’Oshima appelait une « femme merveilleuse ». Au cours de longues soirées qui m’amenaient parfois au cœur de la nuit je suivais ses traces. C’est à ce moment que j’ai aussi plongé dans le répertoire de Keiko Fuji, la chanteuse de Enka, qui en quelque sorte est devenue la voix de mon héroïne. Parfois vers trois heures du matin, c’était comme si la présence de Sada devenait très légèrement tangible à mes côtés. Le saké n’y était bien sûr pas pour rien. Pendant combien de temps pouvais-je tenir la figure, conserver sa persistance ? Jusqu’au célèbre fait-divers et son procès. Mais plus loin encore sa sortie de prison, la guerre, les années 50… Sada était toujours là et continuait à mener sa vie de femme, rencontrant des écrivains, participant à des représentations théâtrales. Elle traversait les époques et elle ne disparut (ou plutôt s’évapora) dans les années 70 que pour renaître sous les traits d’Eiko Matsuda dans L’Empire des sens, entraînant à nouveau scandales et procès. Le visage de Sada d’ailleurs n’était pas un mystère : il y avait celui de la jeune femme au sourire incroyable arrêtée par des inspecteurs aux mines ahuries comme s’ils tombaient eux-aussi sous le charme. Et puis le visage de la femme mure des années 50 enfin l’obachan (mamie) des années soixante. Toutes ces femmes étaient bien sûr Sada mais étaient-elles pour autant la Sada qui m’avait accompagnée ? Je devais à mon tour inventer le visage de my own private Abe Sada.

Entretemps, j’avais trouvé l’éditeur de mes rêves : Le Lézard noir, qui m’avait initié aux mangas sulfureux de Suehiro Maruo. A travers Sada, revenaient les démons du Japon qui passionnaient l’éditeur Stéphane Duval autant que moi, et en premier lieu Mishima. C’est grâce à lui que j’ai donné un visage à ma Sada puisqu’il accepta une idée un peu folle.

Les lecteurs de ce blog savent la place qu’occupent les peintures de Rina Yoshioka dans mon imaginaire. Rina travaillait à cette époque sur une peinture de femme yakuza pour l’exposition Ultime Combat, arts martiaux d’Asie au Musée du Quai Branly. Je lui demandais de créer une Sada qui ne devait pas ressembler à Eiko Matsuda mais à un mélange entre la vraie Sada et Junko Miyashita, l’actrice du magnifique La Véritable histoire d’Abe Sada de Noboru Tanaka. Elle me fournit plusieurs esquisses, et je dois avouer que je l’ai un peu épuisée à lui en demander toujours de nouvelles. Le visage était trop rond ou trop mince, elle était trop vieille ou trop juvénile, le regard trop aguicheur… J’ai un peu honte en y repensant car je l’obligeais en réalité à devenir une médium et à tâtonner à l’intérieur de ma propre psyché. Je ne la remercierai jamais assez pour sa patience. Et puis un jour, j’ai vu Sada apparaître dans sa chambre d’auberge et me regarder, accroupie devant la table où s’entassaient les bouteilles de saké, tenant entre ses doigts la lanière de son kimono rouge. Par la fenêtre, une clarté lunaire baignait les maisons en bois de cette rue du Tokyo des années 30.  J’avais particulièrement insisté sur la présence de la lune. Je ne sais toujours pas pourquoi. Rina mit en quelque sorte le point final à mon livre, et sa peinture devint une préface que l’on fit figurer dans le sommaire.

J’arrête également ici les souvenirs de l’écriture de mon livre, et alors qu’un froid polaire s’est étendu sur Paris et qu’un retour au Japon semble encore lointain, je me verse un verre de saké, et écoute une fois de plus Keiko Fuji chanter que les rêves fleurissent la nuit.



Cérémonies – au cœur de l’empire des sens.



A commander sur la boutique du Lézard noir ici

jeudi 30 septembre 2021

Rina Yoshioka : La Flamme de la vengeance


Ce post pourrait être le premier épisode de mon nouveau feuilleton : Yakuza Autumn. 

Rina Yoshioka est une peintre et illustratrice résidant à Tokyo. Son domaine de prédilection est les représentations de la femme dans la culture populaire de l’ère Shôwa (1926-1989), et en particulier des années 60 et 70. Les affiches de films, les publicités, les pochettes de disques et les couvertures de revues érotiques sont une de ses grandes inspirations. Non seulement, elle en reprend les codes mais elle les reproduit sous la forme de leurs artefacts originaux. 

Depuis la découverte à Taco-Ché, librairie underground de Nakano Broadway (Tokyo), d’un petit fascicule de peintures où des femmes sexy se baignaient dans le curry ou des bols de ramens, j’ai consacré plusieurs posts au travail de Rina. J’aime cet univers où de petits bonshommes chauves à lunettes sont transis d’amour pour des strip-teaseuses, des chanteuses, des mama-san ou même des femmes au foyer. Tout cela dans un monde chatoyant de néons, de quartiers de bars, de cinéma pink, ou d’épiceries croulant sous les conserves et les barils de lessives. 

Tout naturellement, lorsqu’on m’a confié le commissariat associé pour le cinéma pour l’exposition Ultime Combat - Arts martiaux d’Asie au Musée du Quai Branly, j’ai eu envie d’exposer le travail de Rina. Elle a donc conçu une œuvre originale : un diptyque intitulé La Flamme de la vengeance, où elle s’est inspirée des films de femmes yakuza tels La Pivoine rouge avec Junko Fuji. 

Le nom de la femme sur le tableau de gauche est "Oryu au bâton mystérieux" car une épée est cachée à l’intérieur de son bâton de bambou. Son symbole, la fleur d’équinoxe, est imprimé sur son kimono et se transforme en éclaboussure de sang. 

Le tableau de droite, représente Ochô, une joueuse de cartes. Il s’agit d’une femme yakuza dont le symbole est le papillon. Une jeune fille céleste est tatouée sur son dos. Le texte du tableau dit « La flamme de la vengeance apparaît sur le visage de la femme qui se bat avec le dos nu ». 






Une interview de Rina pour le supplément du magazine Society consacré à l'exposition






Le site de l'exposition Ultime combat ici


vendredi 6 novembre 2020

Les nuits acidulées de Rina Yoshioka


Lorsque le confinement à Paris me pèse, je m’éclipse dans une peinture de Rina Yoshioka. Cette petite rue de Tokyo, avec ses enseignes de bars et de « salons », nous replonge au début des années 70, dans la mythique ère Shôwa. Si elle commence en 1926, Shôwa désigne plutôt la période allant des années 50 à la fin des années 70. C’est l’ère des néons, des chansons Enka de Fuji Keiko comme « Mes rêves fleurissent la nuit », des films de yakuza et des roman porno de la Nikkatsu. Ce rêve dont Tokyo ne s’est pas tout à fait réveillé, Rina s’en fait la médium. De ses études de cinéma, elle a gardé la culture des films populaires et l’art du cadrage. C’est autant un pinceau qu’une caméra qu’elle tient et braque sur le passé. Au premier plan, un vagabond de Tokyo qui vient sans doute de faire une bonne affaire. Derrière lui, cette femme aguicheuse, la cigarette à la bouche, en manteau de fourrure, et le regard dans l’axe du spectateur, c’est son « actrice » et son double sans doute : Naomi, que l’on a déjà croisée dans ses peintures en hôtesse de bar, prostituée, chanteuse ou femme au foyer. Naomi est la femme de l’ère Shôwa, frivole, volontaire et sentimentale, qu’on ne peut confondre avec les filles dévouées d’Ozu. Et derrière encore, toute la petite vie de la rue, avec ce garçon traînant un chagrin d’amour qu’une fille tente d’attirer dans son échoppe, cet homme en costard blanc, peut-être le patron d’un des « salons » avec ses hôtesses. Les nuits de l’ère Shôwa par Rina sont acidulées et malicieuses. Je ne résiste pas à l’œillade de Naomi. Je ne sortirai de son bar que dans cent ans. Au moins.

vendredi 3 avril 2020

Trois films imaginaires de Rina Yoshioka



J’ai déjà parlé de Rina Yoshioka, ici et ici.
Une de ces dernières peintures est un triptyque de films imaginaires, ayant pour titres, de gauche à droite : Sukeban Gang, La Plongeuse sauvage (Yasei no Ama) et La Reine du quartier des plaisirs (Rakucho no Jōō). La force d’incarnation des personnages et la sensualité des couleurs font de ce triptyque une des plus belles œuvres de Rina.
Si les films sont imaginaires, ils appartiennent en revanche à trois catégories du cinéma d’exploitation japonais.
Sukeban Gang, est un film de jeunes délinquantes comme il s’en tournait début 70 avec Reiko Ike et Miki Sugimoto (Girl Boss Guerilla, et Sex & Fury de Norifumi Suzuki). Des gangs de lycéennes en uniformes se livraient une guerre sans merci avant de s’allier contre un ennemi commun, généralement le directeur sadique du lycée ou des yakuzas pervers. L’érotisme, le SM, et le fétichisme des uniformes, n’empêchaient pas ses films d’être subversifs, et de prôner une anarchie héritée des années rouges japonaises, rebelle à toute forme d’autorité surtout lorsque celle-ci est incarnée par des figures machistes. La sororité des héroïnes, la reprise des codes des yakuzas, comme le salut paume ouverte où les loubardes déclinent leur identité, ont rendu cette série très populaire chez les jeunes féministes rocks et les lesbiennes japonaises.
La Plongeuse sauvage rend hommage aux films de pêcheuses de perles qui plongent dans le pacifique parfois seulement vêtues d'un pagne. En Occident on les connait surtout grâce aux splendides photographies de Fosco Maraini. Les premiers films comme Revenge of the Pearl Queen de Toshio Shimura datent de 1954 et exploitent l’exotisme du Pacifique sud (décor d’Anatahan de Josef von Sternberg) et des ballets aquatiques. Naturellement, le genre deviendra une branche du cinéma pink dans les années 60, puis intégrera le Roman Porno Nikkatsu dans les années 70 avec des films comme Clam-Diving Ama (1979) de Shinichi Shiratori. On peut le rattacher aux films de gangs par l’unité des costumes (mêmes réduits) des pêcheuses regroupées en « tribus ».
La Reine du quartier des plaisirs ne se rattache pas à un genre particulier mais à un type de personnage et d’environnement très populaires dans le cinéma japonais. Mizoguchi par exemple offrit leurs chefs-d’œuvre aux figures de prostituées avec Les Femmes de la nuit (1948) où l’on croise par ailleurs un gang de jeunes délinquantes et La Rue de la honte (1956). La femme peinte par Rina, appuyée à une gouttière et observée par un soldat américain est typique de l’ère Showa avec ses cheveux bouclés et son chemisier à fleurs.
Qu’elle soit une délinquante adolescente, une chasseuse de perles ou une prostituée, aucune de ces héroïnes n’est soumise et chacune regarde le « spectateurs » dans les yeux. Rebelles à la société du miracle économique, paysannes luttant contre les éléments ou prostituées vendant leurs corps pour survivre dans l’après-guerre, le film imaginaire de Rina Yoshioka raconte avant tout les combats des femmes japonaises.




dimanche 29 décembre 2019

Rina Yoshioka : Spirit of Showa



Le 25 septembre, je rencontrais l’artiste Rina Yoshioka (voir ce billet ici) à la galerie Arts Chiyoda de Ueno. J’en profitais pour lui poser quelques questions dans un izakaya. Merci à Constant Voisin qui m’a servi d’interprète.



Vous avez une prédilection pour l’ère Showa.
La thématique de l’ère Showa, ça fait partie de moi puisque je suis née à cette époque mais c’était déjà la fin. Je me retrouve dans une espèce d’entre-deux : c’est comme un fantasme entre ce que je connais et ce que j’imagine. L’ère Showa a duré de 1926 à 1989 mais ce sont surtout les années 60 et 70 qui m’intéressent. Comme je peins un monde que je ne connais pas forcément, ça me donne l’impression d’approcher des existence qui me sont assez lointaines. J’aime créer un contexte assez précis de l’époque, par le biais de pancartes, de magazines, de pochettes de disques ou de devantures de magasins ou de bars.


Vous peignez un type de femmes très érotiques, des hôtesses de bar, des strip-teaseuses, mais ce ne sont pas des objets : elles sont aussi indépendantes.
Je peints les femmes que je trouve attirantes. Et c’est effectivement lié pour moi : je suis une femme qui peint des femmes érotiques et ça se rapporte à cette notion d’indépendance. Les femmes de cette époque représentent bien cette ambivalence. J’aime particulièrement le visage de Naomi Tani et dans le même genre Reiko Ike. Junko Fuji, elle-aussi, possède un érotisme très féminin et une sorte de puissance.

Avez-vous des influences graphiques ?
Tadanori Yokoo. Je ne dirai pas que je fais des œuvres similaires mais depuis l’enfance je suis très attirée par son travail. Il y a aussi le fait que ce soit à la fois un peintre et un designer et qu’il réalise aussi des affiches de pièces de théâtre. Il mène ces deux activités en parallèle. Avoir représenté Ken Takakura dans des peintures pop’art est vraiment une excellente idée.

























samedi 27 juillet 2019

Le monde de Rina Yoshioka (吉岡里奈の世界)


Il y a deux ans, je dénichais à Taco-ché, la célèbre boutique underground de Nakano Broadway (Tokyo), un petit fascicule nommé Eat it. Il s’agissait d’un malicieux mélange de gouaches, inspirées par les affiches de cinéma et les magazines des années 70, et de plats japonais très courants comme les ramen, le curry ou les sushis. Le résultat était drôle et sexy. Je reconnaissais quelques clichés célèbres de Meiko Kaji ou Reiko Ike mais les visages étaient légèrement modifiés : toutes ces femmes avaient un air de famille. 
La créatrice de cet étrange livret de gastronomie pink se nomme Rina Yoshioka et son concept « Le monde de Naomi ». C’est une fantaisie sur l’ère Showa et les années 60 et 70 qui sont considérées comme son zénith et dont l’un des prénoms les plus populaires était Naomi, comme celui de la chanteuse Naomi Chiaki ou de l’actrice SM Naomi Tani. Qu'elle soit yakuza, femme au foyer, mama-san, hôtesse, office lady ou paysanne, Naomi est l’unique héroïne de ses peintures, version ultra pop et ironique des bijin, ces « belles personnes » des estampes de l’ère Edo.

C’est comme si la peintre évoquait l’ère Showa, qu’elle est un peu trop jeune pour avoir connue, à travers ses artefacts pop, parmi lesquels les films tiennent une place importante.  Rina est diplômée de cinéma et de photographie, ce qui explique sans doute la dimension narrative de sa peinture et sa connaissance des codes visuels des affiches et photos d’exploitation. Mais ce n’est pas tout : Naomi se retrouve sur des couvertures de magazines, des programmes télévisés, des pochettes de 33t, d’anciens mangas et des affiches de misemono (spectacles forains) en charmeuse de serpent. Elle appartient à ce monde de papier qui dégorge des boutiques de livres et de revues d’occasion de Jimbocho, le quartier des bouquinistes de Tokyo.  Souvenirs d’une époque bariolée, hédoniste, mais aussi rêveuse et mélancolique. 
Dans le monde de Naomi, on trouve des garçons aux chemises multicolores, les cheveux en banane comme les chanteurs Tatsuya Watari et Akira Kobayashi, mais le plus souvent ce sont des quinquagénaires chauves et ventripotents qui poursuivent l’héroïne de leurs assiduités, la soumettent à d’odieux chantages, s’ils ne la ligotent pas comme dans les récits érotiques d’Oniroku Dan. Une peinture est des plus intrigantes : Naomi, version femme au foyer, est assise sur le carrelage de sa cuisine, le chemisier légèrement déboutonné, et son panier à provision renversé, des courgettes et des concombres jonchant le sol. Par la fenêtre, derrière elle, un homme l’observe. Naomi, es-tu la Justine ou la Juliette de l’ère Showa ? Es-tu une housewife perverse ou une innocente prostituée ? « Je veux juste peindre des femmes avec une vie intéressante » répond Rina Yoshioka.

Une interview en anglais de Rina Yoshioka ici

Sa Web Page ici