2 octobre
Prison Boss / Gokuchu no kaoyaku (1968) de Yasuo Furuhata
Dans ce superbe ninkyo contemporain, le duo Takakura-Ikebe
interprète une tragique histoire carcérale, très bien écrite, où l’on comprend
comment la vie des yakuzas se joue entre la prison et la liberté. Mais en
définitive, les affaires des clans se poursuivent en prison, et la vie au
dehors n’est jamais la liberté. Le code d’honneur est la prison permanente de
ces hommes. Takakura commence à avoir un visage minéral de plus en plus
fascinant tandis qu’Ikebe poursuit sa série de personnages maudits déchirés par
le devoir.
Yasuo Furuhata, un des meilleurs cinéastes du ninkyo, enchaîne les
scènes magnifiques comme la mort d’un boss à travers la vitre d’un café où
passe une douce musique jazzy, les pantomimes des prisonniers devant un film de
catcheuses, un détenu suicidaire jouant de la guitare devant un feu de camp, le
sacrifice d’un vieux yakuza dans la prison, et bien sûr une nouvelle marche
vers le destin de Takakura.
Il n’emprunte plus un chemin nocturne éclairé par
les lanternes mais les gradins d’un vélodrome, sa veste enroulée autour de son
cou. Un dernier regard de Junko Fuji, se séparant une nouvelle fois de son
amour, le visage sombre de Takakura derrière la vitre de la voiture de police ;
le ninkyo n’en finit pas de remettre en scène la nostalgie d’un monde où
primerait avant tout l’honneur, sans encore s’avouer qu’il n’a jamais existé.
3 octobre
Yakuza Ladies / Gokudo no onna-tachi: San-daime ane (1989)
de Yasuo Furuhata
La série exploite visiblement le succès de The Yakuza Wives
d’Hido Gosha, Yoshiko Mita décalquant le rôle de la boss interprétée par Shima
Iwashita. Il s’agit d’une classique histoire de succession à la tête d’un clan,
la veuve de l’oyabun intrigant pour placer son protégé, Akamatsu. Celui-ci tout
juste sorti de prison ne met guère de cœur à l’ouvrage et semble plutôt
entraîné dans des affaires sentimentales.
Le scénario n’exploite
malheureusement pas cette idée d’un yakuza peu ambitieux, et d’une boss
devenant une sorte de Lady Macbeth. Ces séries étaient l’occasion de donner des
rôles haut en couleur à des actrices plus ou moins célèbres des années soixante, ainsi Yoshiko Mita en belle diva yakuza. La
mise en scène, un peu plate et télévisuelle, démontre que les splendeurs de
Yasuo Furuhata sont bien loin, mais se rattrape dans un kitsch années 80 très
réjouissant.
5 octobre
Fudatsuki bakuto / A Wad of Notes (1970) de Shigehiro Ozawa
Guerre des clans pour prendre le contrôle de la fête des
lanternes. Ozawa, ponctue le film d’effets de style comme ce combat en ralenti
filés anticipant ceux de Wong Kar-wai, et un massacre final d’une grande
sauvagerie, en clairs obscurs, où jamais Tsuruta na été autant enragé. Ozawa
multiplie les gros plans de son visage, conscient qu’il capte quelque chose
d’inédit chez cet acteur jouant davantage de son charme que de la pure
brutalité.
Il offre également un beau rôle héroïque à Asao Koike, excellent
acteur de comédie, et à Minoru Oki qu’on a toujours plaisir de retrouver hors
de ses rôles de traitres. Le trésor du film est l’actrice Akiko Kudo en femme
yakuza maniant le pistolet. Si l’on peut penser que son rôle est calqué sur
ceux de Junko Fuji, elle parvient en quelques scènes à la surpasser en
faroucherie et en émotion. La fascination du cinéaste est perceptible à chaque
plan. Sans doute est-ce pour elle qu’Ozawa invente une des plus belles mises en
scène de tous le ninkyo eiga : une conversation entre Kudo et Tsuruta se
déroulant en fondus enchaînés, comme si les deux personnages se frôlaient sans
jamais réussir à s’atteindre. Le même effet revient lors de la mort de Kudo,
plongeant leur relation, comme bien souvent inaboutie, dans la plus grande
mélancolie.
6 octobre
Nouveau sens du devoir fraternel / Shin Kyodai Jingi (1970)
de Kiyoshi Saeki.
Bunta Sugawara sort de prison, bien de décidé à quitter le
monde des yakuzas pour vivre auprès de sa femme et de son fils. Lorsque son
oyabun le désigne comme successeur, il s’attire la rancœur du fils légitime.
Celui-ci se laisse influencer par deux yakuzas dont le but est de liquider
Bunta et ses deux frères de sang pour prendre le pouvoir sur le clan. Le
scénario donne lieu pendant la majeure partie du film à un Ninkyo Eiga
classique, la mise en scène de Saeki, bien qu’élégante étant sans
surprise. Il faut dire que nous sommes un cran en dessous de A Wad of
Notes que j’avais vu la veille. Même Akiko Kudo, fascinante chez Ozawa tient un
rôle plus convenu d’épouse de yakuza, forcément sacrifiée. Pourtant, le film
opère un retournement lors du massacre final. Au niveau plastique, avec des
angles inédits comme cette plongée verticale sur le combat de Saburô Kitajima.
Bunta Sugawara s’impose également comme un corps très différent de ceux de
Tsuruta et Takakura, sa maigreur le prédisposant à une forme de martyr.
Il y a
un maniérisme évoquant des peintures de la Renaissance, dans les poses, et le
sang maculant les peaux tatouées. Le scénario s’avère aussi plus complexe
puisque les deux yakuzas ne tuent pas le rejeton ayant pris part au complot. Ce
que visent surtout Saburô Kitajima et Bunta Sugawara est d’éliminer les félons
gravitant autour de lui et le forcer à devenir un bon oyabun. Le jeune maître
devra se montrer digne de leur sacrifice. Le dernier plan sur le visage de
Saburô Kitajima (dont la chanson accompagne la marche vers le destin) est
particulièrement magnifique.
9 octobre
Patience has en end / Gorotsuki Mushuku (1971) de Yasuo
Furuhata
Ken Takakura, naïf villageois monté à Tokyo, rejoint un
groupe de marchands ambulants persécuté par des yakuzas. D’une durée
inhabituelle de 110mn, tourné en décors naturels et se passant à l’époque
contemporaine, Patience has en end mise plus sur le mélodrame que sur la
violence qui n’explose que lors du massacre final.
Je me demande s’il ne s’agit
pas de profiter du succès des Tora-san, lui aussi un colporteur naïf et au
grand cœur, en faisant jouer à Takakura un relatif contre-emploi. La maîtrise
du sabre par Takakura semble d’ailleurs peu en accord avec son statut de
villageois. C’est comme si ses rôles passés reprenaient possession de lui et le
laissaient à la fin comme sonné, regardant ses mains ensanglantées. Un
excellent casting de seconds rôles avec Fumio Watanabe en chef yakuza sans
scrupule et maussade et Takashi Shimura (Vivre de Kurosawa) en bon chef
paternaliste.
12 octobre
The path of the king / Nihon yakuza-den: Sôchiyô e no michi
(1971) de Masahiro Makino
J’ai vu une soixantaine de films de yakuzas, dont au moins
quarante de la Toei donc répétant les mêmes histoires, les mêmes situations
avec les mêmes acteurs. Et vous savez quoi ? Je les ai presque tous aimés bien
qu’à des degrés différents. Cette immersion pourrait me faire réfléchir sur
moi-même et à mon propre goût pour la sérialité et la répétition. Ici nous
sommes en 1971, et cela fait au moins huit ans que le grand cycle de la Toei a
commencé. Nul révisionnisme du genre chez Masahiro Makino qui de toute façon vient
d’un temps encore plus reculé, dans les années 20. Cela fait donc cinquante
qu’il tourne et The path of the king est son avant-dernier film. Suivra Junko
se retire : La Grande Famille des cerisiers rouges du Kantō, le film d’adieu de
Junko Fuji. Makino est réellement le vénérable oyabun du film de yakuza. The
path of the king est un yakuza eiga impeccable où l’on retrouve le trio
mythique Koji Tsuruta, Ken Takakura et Tomisaburō Wakayama. Le face à face
entre Tsuruta et Takakura montre toute la maitrise qu’ont acquis les deux
acteurs : tout n’est entre eux que regard admiratifs et émus devant la loyauté
et la dignité de l’autre. Pourtant le véritable sujet n’est pas la rivalité
entre clans ni même la fraternité mais le destin d’une femme magnifiquement
interprétée par Yumiko Nogawa, la joueuse de The Cat Gambler et pionnière des
femmes yakuza.
Nogawa est obligée de renoncer à Takakura car ce dernier s’est
effacé au profit de son frère de sang Wakayama. Prise dans un complot qu’il
serait fastidieux de relater, la jeune femme fuit, devient prostituée et
contracte la tuberculose. Ce personnage de mélodrame est, au fond, détruite par
la loi des clans. « Je ne suis pas votre esclave » dira-t-elle, mais toute
liberté lui est quand même refusée.
A la fin, c’est son deuil que porteront les
deux frères ensanglantés, comme si le sang sur le mouchoir de la tuberculeuse
les recouvrait. Ce que révèle Makino est que, pour un yakuza, la chose le plus
difficile à supporter est l’amour d’une femme.
15 octobre
Three Yakuza / Matatabi san ning yakuza (1965) de Tadashi
Sawashima
Un film à sketch mettant en valeur Kinnosuke Nakamura,
Tatsuya Nakadai et Hiroki Matsukata dans le rôle de yakuzas de l’ère Edo. Nakadai
tombe amoureux de la prostituée dont il est le gardien et se sacrifie pour
elle. Matsukata se sacrifie également pour qu’un père (Takashi Shimura) et sa
fille (Junko Fuji) se réconcilient.
Dans un rôle comique, Nakamura joue un
yakuza pleutre, n’ayant jamais combattu personne, que des villageois chargent
de tuer l’officier qui les rançonne.
Le film dure plus de deux heures et est
clairement une production de prestige pour la Toei ayant engagé la star Tatsuya
Nakadai pour l’occasion. Son sketch est évidement le plus beau, chaque gros
plan de ce merveilleux acteur étant inattendu, et atteignant une émotion rare.
On
se prend à rêver d’un Kwaidan du film de yakuza. Sawashima n’est pas Kobayashi
mais c’est un artisan talentueux et raffiné. Une musique de jazz, presque funk,
donne une touche insolite et joueuse à ce beau film.
18 octobre
Les Fleurs Rouges du Courage / Nihon jokyo-den: makka na
dokyo-bana (1970) de Yasuo Furuhata
Yasuo Furuhata tourne ce qui n’est rien d’autre qu’un
western japonais, localisé à Hokkaido dans les années 1900. Il s’agit au
premier abord de la lutte entre des éleveurs de chevaux et des yakuzas qui
veulent s’emparer du plus grand marché équestre du Japon.
Le film est pourtant
bien plus complexe lorsque Junko Fuji se rend compte que son père, figure
héroïque du syndicalisme, a spolié des paysans pour imposer l’élevage des
chevaux. Ken Takakura est le fils de l’un d’eux et nourri une haine envers les
éleveurs. Chez ces enfants qui héritent des conflits de leurs père se joue un
âpre combat moral.
L’autre beauté du film est sa dimension paysagiste qui en
font un poème lyrique à la gloire des plaines et des lacs du nord du Japon, et
rend hommage au peuple Aïnou. Comme si
son caractère enivrant parvenait pour une fois à enrayer la machine morbide des
règlements de compte et des dettes d’honneur, Les Fleurs Rouges du Courage est
l’un des rares ninkyo à s’achever par un happy end. On n’oubliera pas cependant
la mort très sanglante d’une femme au ralenti, véritable éclosion de la fleur
rouge où Junko Fuji va puiser le courage d’affronter les yakuzas.
21 octobre
Bloodiest Flower / Nihon jokyo-den-ketto midare-bana (1971)
de Kôsaku Yamashita
Etrange série que ces Nihon jokyo-den sans lien apparent
entre les épisodes sinon que Junko Fuji, passant d’une époque et d’un
personnage à l’autre, se retrouve à chaque fois la boss d’un monde d’hommes.
Ici il s’agit classiquement d’une mine de charbon rançonnée par des convoyeurs
sans scrupule. Son inscription exclusive dans un genre méconnu à fait négliger
Junko Fuji par les cinéphiles.
Il est vrai que son jeu est daté et qu’elle
représente une femme très traditionnelle alors que Meiko Kaji et même son aînée
Ayako Wakao faisaient déjà bouger les lignes. Pourtant, cette actrice de
mélodrame, à la plastique parfaite, pouvait faire naître l’émotion en un
battement de paupière. Junko Fuji fut aussi une femme d’action mêlant fureur et
grâce absolue. Fille d’un patron de la Toei
affilié aux yakuzas (peut-être un de ceux qui permit la mainmise du
Yamaguchi-gumi sur la firme), c’est ainsi qu’elle entra adolescente dans le
monde des ninkyo interprétés par Koji Tsuruta et Ken Takakura qui restèrent ses
partenaires jusqu’à la fin.
Son image
d’une pudeur extrême (à peine si elle dévoile une épaule dans un épisode de La
Pivoine rouge) ne survécut pas aux années 70 et à l’escalade dans
l’érotisme. Kôsaku Yamashita est avec
Makino, Sawashima et Furuhata l’un de spilliers du ninkyo classique de la Toei.
Bloodiest Flower montre encore une fois sa maîtrise dans un film plus long qu’à
l’accoutumé (1h50) mais aussi son lyrisme, faisant se succéder les portraits
« en feu » de Junko. Le combat final est étonnant, chaque mort se
concluant par un arrêt sur image.
25 octobre
Trials of an Okinawa Village / Nippon jokyô-den Gekitô
Himeyuri-misaki (1971) de Shigehiro Ozawa
Junko devient la boss d’une société de camionneur dans ce
film dont l’intérêt principal est de se dérouler après-guerre sur l’île
d’Okinawa, comme c’était le cas pour Hokkaido dans Les Fleurs rouges du courage.
Comme dans beaucoup de séries B japonaises, il est difficile de dater
précisément l’action, la reconstitution historique étant minimale. L’île est
encore sous domination américaine, et Junko parle du ressentiment des habitants
envers l’île principale (Honshū) considérant Okinawa comme un lieu de passage
et de villégiature. Une scène humoristique présente également le dialecte
d’Okinawa, incompréhensible pour les non-résidents. Junko s’écarte de ses rôles
traditionnels : la peau bronzée, portant des vêtements militaires
masculins et conduisant un camion. Une scène de danse finale pendant des
funérailles la métamorphose en la ravissante geisha qui ont fait sa célébrité.
Ces
quelques rôles contemporains montrent le carcan où était enfermée Junko Fuji
qui n’allait pas trouver sa place dans la seconde vague du film de yakuza
orchestrée par Fukasaku, à la différence de ses partenaires Koji Tsuruta et surtout Bunta
Sugawara dont l’énergie allait faire merveille dans les Combats sans code
d’honneur. On le retrouve d’ailleurs à l’affiche de Trials of an Okinawa
Village, ainsi que Bim Amatsu, traditionnel chef de clan sans morale de la
Toei.
26 octobre
Glorious Fights / Jigoku no okite ni asu wa nai (1966) de Yasuo
Furuhata
Un des plus beaux films de Furuhata et un des plus audacieux.
Ce n’est pas le récit, très classique, qui surprend mais le personnage de Ken
Takakura, un yakuza malade des radiations atomiques qui l’ont atteint enfant à
Nagasaki, qui l’éblouissent et le font s’avanouir. Le personnage, très
mélancolique, est lancé dans un ultime combat auquel il ne croit plus vraiment.
Il a beau encore suivre les directives de son chef qui l’a aussi élevé, lorsqu’il assassine le chef du clan rival celui-ci
n’est qu’un homme sans défense, le regardant un peu interloqué.
Le génial Kei
Sato, acteur fétiche d’Oshima, interprète un yakuza ordinaire, à peine plus
ambitieux que le chef de Takakura. Furahata fait durer quelques secondes de
plus que nécessaire leur échange de regard, comme pour signifier le trouble des
deux hommes. Mais aussi sans doute pour imprimer un rythme différent à la mise
en scène, plus flottant et insolite. Incontestablement, c’est un film où le
cinéaste a mis beaucoup de lui-même. La musique est un décalque du Concerto de
Aranjuez, et prend des allures de boléro lors de longue scène finale où
Takakura, blessé à mort, tente de rejoindre la femme qu’il aime et embarquer
pour une mythique île aux fleurs. Il est déjà à terre et encore loin du quai
mais Furuhata enchaîne une suite de courts travellings sur le visage de Yukiyo
Toake, comme la projection de Takakura vers un bonheur inaccessible. Un film
magnifique qui renforce encore ma vénération pour Ken Takakura peut-être conscient
qu’il trouvait un rôle à la mesure de sa sensibilité.