Faute de déchiffrer les caractères des enseignes de Kabukicho, on développe
d’autres facultés. Faire défiler dans sa mémoire des dizaines de façades de
clubs érotiques est sans doute un talent inutile mais cela reste un talent. ll
y a le club des infirmières, le club des écolières, le club des guerrières, les
innombrables Hosts clubs avec sur leurs façades des visages d’éphèbes aux yeux
de biches, le Robot restaurant à la musique entêtante et aux automates de
femmes gigantesques, et il y a maintenant le Toho Cinéma avec son magnifique
Godzilla grandeur nature escaladant la façade. Je suppose que se retrouver « in front of Godzilla » est désormais
aussi courant que donner rendez-vous devant Hachiko ou Studio Alta. Plusieurs
fois j’ai traversé Kabukicho avec en bande-son Kabukicho no Joou (la princesse de Kabukicho) de Shiina Ringo,
troqué cette année pour Shinjuku mon
amour d’Urbangarde, déclaration d’amour extatique au quartier.
Cette année, pour la première fois, j’habitais au cœur de Kabukicho, à
quelques minutes de Golden Gai. Ce qui m’apparaissait était le Kabukicho
matinal, quotidien. A huit heure du matin, les néons sont éteints depuis
longtemps et les rabatteurs sénégalais sont rentrés chez eux mais il y a encore
des jeunes traines savates ivres qui titubent dans les rues ou boivent une
soupe devant une minuscule échoppe, encore des filles
en robes collantes et perruques oranges qui sortent des clubs, et des jeunes
yakuzas transportant sans doute la recette à leur oyabun dans de petites serviettes en cuir noir. Le matin, alors que
les camionnettes et les scooters approvisionnent les conbinis et les bars, il
flotte comme une atmosphère de ville portuaire, avec ses bâches bleues, ses
vieux japonais tannés, en maillot de corps, un mouchoir noué sur la tête,
transportant les tonneaux de bières. Et comme une ville portuaire, Kabukicho
est pâle et vieillie au petit matin, attendant la nuit pour retrouver son
maquillage écarlate de néons.
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