dimanche 28 août 2016
Une ville d'or et de papier
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Shinjuku
lundi 22 août 2016
Yanaka, quartier hanté
Yanaka est un vieux et beau quartier
qui a miraculeusement échappé aux destructions successives de Tokyo. Il n’échappera peut-être pas à celle qui menace
le Japon qui est la crise démographique car il semble essentiellement peuplé de
vieilles personnes, ce qui lui donne ce rythme doux et silencieux. On y vient
pour visiter les temples, et admirer les bouddhas.
On y vient aussi pour
honorer les ancêtres et faire brûler de l’encens devant les tombes d’un des
plus beaux cimetières de Tokyo. J’ai encore une fois été frappé par le petit
parc pour enfant au cœur du cimetière. Quels étranges enfants peuvent bien
venir y faire de la balançoire au clair de lune ? Si l’on vient à Yanaka
au mois d’aout, pendant les fêtes d’O-bon c’est aussi pour visiter le temple
Zenshoan où sont rassemblées les plus célèbres peintures de fantômes de l’ère
Edo. Belle revenantes estompées par les voiles, spectres carnassiers, ombres
vagues comme si le peintre avait voulu saisir ce qui échappe presque à la
vision…
Mais c’est tout le quartier qui est baigné d’une douce étrangeté. Un
peu plus bas dans la rue, il y a le café Ranpo, du nom du célèbre écrivain
eroguro – et quand on y pense c’est peut-être à Yanaka qu’on situerait la
demeure de Shizuko, la femme fatale de La
proie et l’ombre.
Le café Ranpo était fermé ce jour-là, et je notais sa
devanture rénovée, sans la multitude de dessins et sculptures de chats. Je me demande si monsieur Suzuki, le très
vieux monsieur que j’avais rencontré il y a 6 ans en était encore le
propriétaire.
Le Café Ranpo en 2010 |
La dessinatrice Chiiko Ayasaki y était serveuse. En explorant
son site (ici)
, je m’apercevais que ses dessins érotiques prenaient comme décor le café
Ranpo.
En revanche, dans la première rue à
gauche, la petite boutique pour otome
qui vend des cartes postales et des petites sculptures de yokais était bien
ouverte.
J’achetais cet objet : un masque reproduisant le sourire au
rasoir de Kuchisake Onna, la femme
défigurée, célèbre fantôme de légendes urbaines des années 80. Elle-aussi on l’imagine
bien hanter les rues de Yanaka dans son imperméable gris.
En bas de la rue un restaurant à
Sushis peuplé bien entendu de vieilles personnes et de jeunes filles démodées.
A côté, un autre fantôme.
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vendredi 19 août 2016
Un squelette à Edo
A l’exposition From Eery to Endearing: Yokai in the Arts of Japan de l’Edo Tokyo
Museum, j’ai croisé ce très beau personnage. Quelle est la nature de ce
squelette sous la lune à la posture parfaite ? Comme celui à la couronne
de roses du Rubaiyat d’Omar Khayyam, comme
ceux aux crânes ornés de la Santa Muerte, comme le spectre de Tappington qui observe coquettement sa mise
dans un miroir, ou comme Kriminal le plus beau costume des fumetti neri, notre squelette d’Edo est d’abord un dandy. Il semble
avoir conservé juste ce qu’il faut de chair pour s’en faire un pantalon sur mesure et une chemise de soie délicatement plissée. Parfaitement japonais,
il a compris que la beauté résidait dans le retrait de l’inutile. Pourquoi, une
fois mort, s’embarrasser d’une peau spectrale ou d’un visage ? Le
squelette n’a aucune nostalgie de son apparence passée.
jeudi 18 août 2016
Garçons à Nichome
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Une nouvelle histoire de fantômes à Golden Gai
La rue de Golden Gai qui a brûlée en
avril dernier est séparée du reste du quartier par des bâches en plastique bleu.
Derrière, il y a des échafaudages car certains bars, parmi les plus fréquentés comme
le Buster et le Honey sont en voie de reconstruction, mais d’autres sont
irrémédiablement perdus. Je pense à celui qui n’était qu’un minuscule comptoir avec
un seul tabouret et dans lequel je n’ai jamais vu qu’un travesti âgé, la patronne,
me faisant un sourire avenant. Pour ces mama-san, dont la précarisation et la
solitude ne faisait aucun doute, et dont le bar était probablement la maison,
le destin est le plus cruel. Ce qui a brûlé comme du papier ce sont des vies et des décennies d’histoires à jamais perdues.
Le dernier soir de ce voyage d’aout,
je rentrais à Kabukicho par la rue séparant Golden Gai du temple Hanazono. Une
femme marchait devant moi, grande, maigre et dépeignée, sa longue jupe traînant
jusqu’au sol. Probablement soule, elle tanguait un peu et semblait hésitante
comme cherchant son chemin. J’étais presque à sa hauteur lorsqu’elle tourna à
gauche, remonta vers la rue sinistrée et passa derrière la bâche bleue. Je
décidais de fumer une cigarette et d’attendre. Elle m’avait fait une curieuse
impression, comme une vague reconnaissance, et je voulais voir son visage. J’étais
certain que ce n’était pas juste une égarée allant finir la nuit à Golden Gai
et ayant pris le chemin le plus incongru. Quelques minutes plus tard, elle
réapparue et se dirigea vers moi.
En effet, je la connaissais : c’était la
serveuse et peut-être même la patronne du bar où s’était déclaré l’incendie, le
même bar, où six auparavant, j’avais terminé une nuit faite d’apparitions et
répétitions inexplicables (voir ici). Cette femme n’était pas la bonne
serveuse, celle qui m’avait offert le catalogue du musée Terayama et avait
délivré un oracle, mais la mauvaise, son double pâle et émacié, qui me faisait
invariablement fuir lorsque je tentais de retourner dans le bar. Elle portait
les mêmes habits : un chemisier en dentelle usé, des colliers et des
bracelets. Le plus troublant était le grand sac rond à son épaule imitant une
montre à gousset car il y a six ans, c’était bien le temps qui me jouait des
tours, multipliant boucles et répétitions, faisant apparaitre sur mon chemin de
malicieuses filles en kimono et me piégeant dans les remakes d’autres soirées à
Golden Gai.
En me dépassant, elle désigna l’appareil
accroché à mon cou : « il est interdit de prendre des photos ici. »
Phrase qu’elle avait dû répéter bien des fois du temps… j’allais écrire « du
temps de son vivant ».. Combien de fois, depuis l’incendie, était-elle retournée
dans la petite ruelle pour errer, soule, entre les bâches bleues ? Grattait-elle en gémissant la porte
calcinée de son bar ? J’étais venu à
Tokyo au mois d’aout, pendant Obondori
la fête des morts, chasser à nouveau les fantômes, et c’était bien une revenante
que j’avais croisée.
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dimanche 22 mai 2016
Tomie, l'adolescente illimitée
Le moteur principal des mangas de Junji
Ito est l’obsession : les spirales (Spirale),
les animaux marins (Gyo) ou les chats
(Le Journal des chats). Ils nous font
comprendre ce qu’est avoir un esprit obsessionnel. Ça ne vous est jamais arrivé
de marcher dans la rue et de vous dire : « C’est étrange, toutes les
femmes que je croise aujourd’hui sont blondes »? Ou encore : « Depuis
30mn que je suis à cette terrasse de café, c’est incroyable le nombre de bossus que je vois passer » ? (Cette réflexion est véridique). Ou encore : « ce train est remplie
de sosies de Jean-Pierre Chevènement » ? (véridique aussi).
C’est cela les
récits de Junji Ito : si on commence à voir des spirales on ne voit plus
que ça, on les recherche même et on finit par avoir le cerveau en spirale. Et au
Japon, des spirales, il y en a partout, jusque dans la soupe.
Le cycle Tomie (20 récits entre 1987 et 2000) est aussi un récit d’obsession.
Soit les aventures d’une adolescente à la beauté surnaturelle qui parasite des écoles,
des familles, des groupes d’amis, provoque la passion suivie de crises de folies
meurtrières.
Tomie finit invariablement démembrée par ses amoureux ou rivales mais
renait à chaque nouvel épisode. On pense d’abord que Tomie est un fantôme,
peut-être une jeune fille assassinée comme Sadako ou les membres de la famille
Saeki dans Ju-on, et qu’elle accomplit
une vengeance systématique, pour ne pas dire mathématique. Pourtant, Tomie ne s’inscrit
pas dans la logique des fantômes japonais qui, aussi effrayant soient-ils demeurent
immatériels et n’ont pas de contacts physiques avec les humains. A ce titre,
elle ressemblerait d’avantages aux fantômes coréens des années 2000 comme ceux
de la série Whispering Corridors (Yeogogoedam, 1998-2009) : sanguins, violents,
souvent dissimulés sous une apparence humaine et n’hésitant pas à tuer, le plus
souvent à l’arme blanche. Tomie se rapproche aussi de la body-horror comme si à partir d’un seul membre coupé
de Tomie, une Tomie entière était capable d’être produite. Dans l’histoire La Chevelure (1995) un cheveu qui se
greffe sur le crâne d’une jeune fille la transforme peu à peu en Tomie. Est-elle
animale, comme une sorte de salamandre, ou bien végétale, pouvant se reformer
par boutures ? Et lorsque les reproductions se dérèglent Junji Ito dessine des grappes anarchiques de Tomies.
Dans l’épisode L’agresseur
(2000), du sang de Tomie a été injecté à des nourrissons qui toutes sont
devenues des Tomie du même âge, ont grandi dans des milieux différents, et
cherchent à s’éliminer. La guerre des Tomies donc.
Comme beaucoup de dessinateurs
japonais, Junji Ito dessine un seul type de personnage, qu’il soit fille ou un
garçon. On retrouve dans ses autres récits des filles ressemblant trait pour
trait à Tomie. A un détail près : un grain de beauté sous l’œil gauche est le signe distinctif de la créature. Tomie est donc surtout une
métaphore de l’identité qui a un certain point de ressemblance finit par s’entredévorer
ou prendre des formes cancéreuses. La perte de l’individualité est évidemment
la terreur japonaise par excellence, et si Tomie est une adolescente habillée
en uniforme marin, ce n’est pas un
hasard. Tomie pourrait ainsi être une adolescente originelle, éternelle shojo, c’est-à-dire vierge et sans
cesse prise dans un mouvement de renaissance. Mais évidemment une ankoku shojo, vierge des ténèbres, monstrueuse et cannibale. Figure autant
consommatrice que consommée, elle dévore les garçons par la passion qu’elle
inspire et les filles par la jalousie et l’obsession de la beauté. Quant aux
adultes, qui constituent son entourage, ils sont amaigris, les yeux caves,
et la peau creusée, comme des drogués affamés de Tomie et jamais rassasiés.
Tomie a donné lieu tout d’abord à huit films entre 1999 et 2007, dont un réalisé par Takashi Shimizu l’auteur des Ju-on, Tomie: Re-birth (2001). Aucun n’est remarquable, et les actrices interprètes
de Tomie très décevantes. Tomie a connu sa meilleure renaissance en 2012 avec
Tomie Unlimited de Noboru Iguchi. La folie organique qui est le propre d’Iguchi s’accorde parfaitement à l’univers d’Ito.
La seconde série adapte certaines cases du manga (L'hôpital Morita par exemple), le
travail photographique parvenant à restituer la terrorisante beauté de Tomie.
La série sur le site de Yoshida Shun ici et ici (attention le site a une bande-son de pure J-horror)
Les histoires de Tomie sont éditées
en France par Tonkam ici
Tomie Unlimited est édité en DVD/BR
par Elephant Films
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