Le panfleto n’étant pas un dossier de presse mais un fascicule destiné aux spectateurs, certains prennent des formes très amusantes comme celui de Ju-on 2 qui comprend un pop-up de Kayako surgissant des pages, un plan de la maison Saeki, un jeu de l’oie nous faisant sauter de possédé en possédé, et des masques de Kayako et Toshio. Cela correspond parfaitement au caractère ludique de la série de Takashi Shimizu.
Cependant, la série des Ju-on est une série viscérale, riche en jumps-scares terrorisant, mais aussi cérébrale, obligeant le spectateur a recomposer une continuité brisée où le contre-champ fantomatique des vivants peut se retrouver à l’extrémité du film et jeter une ombre sinistre sur ce qui a précédé.
Voilà ce que j’écrivais dans mon livre Fantômes du cinéma japonais.
De quelle espèce relève cette meute de femmes aux longs cheveux noirs qui se balancent doucement sous la pluie ou pourchassent leurs victimes en rampant comme des araignées ?
L'apparition a toujours chez Shimizu son corollaire : la frayeur mortelle qu'elle provoque. Celle-ci possède trois conséquences. La première est évidemment la mort. C'est ce qui advient au couple de Ju-on 1 qui emménage dans la demeure. On retrouve leur cadavre dans la soupente, les yeux exorbités et la bouche ouverte en un cri muet, réplique des déformations qu'entraîne la vision de Sadako. L'autre conséquence de la rencontre avec Madame Saeki est la folie. Kayako imprime aux corps ses propres torsions, comme une calligraphie de la terreur.
Dans Ju-on 2 version vidéo, Kyoko, la médium, agite métronomiquement son corps, balancier infernal qui prend ses parents dans son rythme et les désarticule. Lorsque l'agent immobilier rend visite à Madame Kitada, celle-ci adopte également une attitude névrotique : les jambes raides, le dos penché, les cheveux tombant à la verticale. C'est Toshio, miaulant sur le canapé, qui semble manipuler sa victime comme une marionnette, à la façon des femmes-chats du kaidan eiga classique. La troisième conséquence, pas la moins étonnante, est l'éclipse pure et simple des personnages. La disparition est une névrose sociale japonaise et un vrai mystère : chaque année des centaines de Japonais s'«évaporent » sans laisser de trace.
On pense à Kaïro et à une forme d'invasion inversée. Dans Ju-on, c'est comme si les personnages «vivants» glissaient entre les jointures du récit, se perdaient dans la temporalité brisée et ne parvenaient plus à revenir au présent. Ils s'égarent dans cette maison dont les recoins sont d'abord temporels. S'évanouir de peur équivaut ici à un évanouissement plus radical : la femme-araignée tisse autour d'eux un cocon de terreur et les dévore totalement. En perturbant le temps et la narration, Shimizu n'a de cesse de placer la peur à l'origine de l'apparition des spectres. Il annonce la théorie de Marebito (2004) « Ce n'est pas parce que nous voyons quelque chose que nous avons peur. C'est parce que nous avons peur que nous voyons des choses. »
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