mardi 31 août 2021

A Summer of Yakuza 3



Troisième période de mon immersion dans le yakuza eiga. Elle aura été dominée par les figures de Raizo Ichikawa, une de mes idoles, pour son ultime et ténébreuse incursion dans le genre, et par Junko Fuji au sommet de sa beauté, inventant le modèle de la femme yakuza. Cette excellente actrice, dont on peut voir l’évolution depuis ses rôles d’adolescentes du début des années 60, souffrit de n’être cantonnée qu’à un seul type de films. Elle se hissa pourtant au même niveau que ses partenaires masculins Ken Takakura, Koji Tsuruta et Bunta Sugawara.  



Ce qui ne cesse de me fasciner, c’est la description d’un réel « underworld », un univers parallèle où même la vie du plus chevaleresque des yakuzas ne faut pas plus cher que celle de la prostituée d’un bordel. C’est pour ça que jamais les personnages incarnés par Takakura ou Sugawara ne mépriseront les geishas et les prostituées. Ils ne mépriseront pas plus les ouvriers, mineurs ou dockers. Ils savent qu’ils valent bien moins qu’eux. Bien sûr, ces personnages sont imaginaires et peu à peu, au cours des années 70, les films de Fukasaku montreront le vrai visage de gangs seulement motivés par l’argent et le pouvoir et broyant ses jeunes membres sans une once de scrupule. 

(cette exploration ne mentionne quelques grandes sagas édités en France et en UK comme La Pivoine rouge, Combats sans code d'honneur ou Gangster VIP. Je me fais bien sûr une joie de les revoir en maîtrisant mieux les codes du genre)





15 août

Kagero (1991) d’Hideo Gosha



Dans la lignée de Sex & Fury : une joueuse dont le père a été assassiné sous ses yeux lorsqu’elle était enfant, est à la recherche du tueur. Celui-ci est un yakuza portant dans le dos le tatouage de Fudo Myo, une divinité bouddhiste prisée par la pègre. Kagero s’inscrit dans la seconde partie de la carrière de Gosha qui ,pendant les années 80, se consacre aux personnages féminins : geishas, joueuses, femmes de yakuzas. Le style est de plus en plus baroque, les décors luxueux et les couleurs flamboyantes, font de ces opéras hallucinés les  derniers grands films de studios du cinéma japonais. 



Plus encore que par son meurtre, le yakuza (Nakadai) a été maudit par le regard de l’enfant qui en a été le témoin. Gosha fait de Nakadai un damné dans la continuité de ses grands rôles dans Le sabre du mal ou Goyokin : un fantôme amoureux de la femme qu’il a entraîné dans le monde des yakuzas.






Yakuza’s Tale/Tosei-nin Retsuden (1969) de Shigehiro Ozawa



En quoi ce film de yakuza, parmi les 300 produits par la Toei, se démarque ? Ici c’est le personnage de Ryo Ikebe, un yakuza tuberculeux, pâle et crachant le sang, qui apporte une belle dimension tragique. C’est le décor d’une mine dans un paysage de neige où va enquêter incognito Koji Tsuruta pour retrouver l’assassin de son oyabun. Ce sont les mineurs séquestrés et maltraités par un gang de brutes hautes en couleur avec crâne rasé, tatouage d’araignée sur la tempe et balafres. 



Le film de yakuza se rapproche encore une fois du western, plus italien qu’américain d’ailleurs. On notera une séquence classique mais toujours amusante : Koji Tsuruta s’éloigne dignement de son épouse Junko Fuji, le regard braqué sur son destin, mais son visage s’illumine lorsqu’il croise Ken Takakura qui a décidé de le rejoindre dans l’ultime combat.






17 août

Young Boss Takeshi/Waka Oyabun (1965) de Kazuo Ikehiro



Faire de Raizo Ichikawa un yakuza de la fin de l’ère Meiji était visiblement pour la Daei une façon de concurrencer les productions Toei.  Et qui mieux que l'interprète de la série Kiyoshiro Nemuri pour incarner le ninkyo face à Tsuruta et Takakura. Le film est une nouvelle ode à la beauté féline d’Ichikawa alors âgé de 35 ans. Comme dans ses précédents films héroïques, il est impavide et maquillé, un léger sourire flottant sur le visage. Face à lui un autre acteur remarquable, Kei Sato qui deviendra avec Fumio Watanabe un habitué des films d’Oshima. 




Le film est assez commun dans son récit mais la personnalité du jeune oyabun est très intéressante : un officier de marine ayant quitté l’armée pour prendre la succession de son père, assassiné, à la tête du clan. La beauté des éclairages et des décors de la Daei, le mise en scène dynamique de Kazuo Ikehiro, riche en plans insolites font de Youg Boss Takeshi un superbe ninkyo eiga.






A Gambler's Life: The Massacring Fudo/ Bakuto Ichidai Chimatsuri Fudo (1969) de Kimiyoshi Yasuda



Chef-d’œuvre de Kimiyoshi Yasuda, réalisateur du premier Majin et de plusieurs films de la saga Zatoïchi. La Daei, berceau de Mizoguchi et Masumura, est la plus gothique des maisons de production japonaise : un monde théâtralisé à l’extrême d’acteurs maquillés, de décors capiteux et d’intrigues décadentes. Ce fut le foyer des deux plus fascinantes stars japonaises des années soixantes : Ayako Wakao et Raizo Ichikawa. The Massacring Fudo occupe une place particulière puisqu’il s’agit de son dernier film avant qu’il ne meure peu après d’un cancer du colon. 



L’homme encore jeune de Young Boss Takeshi est ici émacié et livide, et ne semble exister encore à l’écran que par son aura. Ichikawa, lumière noire, ombre qui se tient aux portes de l’au-delà, fait du film l’apogée funèbre du ninkyo eiga. 



Collecteur de dettes assassinant un joueur, Jokichi est ému par la femme de celui-ci et lui laisse le gain qu’il aurait dû rapporter au clan. Tentant de regagner la somme, il se retrouve à son tour débiteur d’un yakuza et lui offre sa vie. Le vieil homme, appartenant à un clan adverse, est un sage avec qui Jokichi entretient une relation filiale. C’est son propre frère, devenu un yakuza ambitieux qui va précipiter Jokichi dans un choix cornélien entre l’amour et la fidélité à son clan. Comme d’habitude avec Ichikawa, la recherche du père et le destin œdipien sont essentiels. Il répète tout au long du film : ce sont les règles de notre monde, celui des yakuzas. Mais dans ce monde de vies sans cesses endettées et rachetées, ne règne que la mort et le fratricide. La scène sublime du combat contre ce père adoptif dans un paysage de neige concentre toute la tragédie attachée aux rôles de l’acteur. 




Autre grand moment: un échange des coupes où Ichikawa tient le rôle de l’intermédiaire entre l’oyabun et son successeur, soit le maître de cérémonie. Ce rituel parfaitement chorégraphiée, scandé par sa voix grave et envoûtante, montre qu’il fut dans l’acteur absolu des cérémonies et des rituels.





19 août

Brothers Serving Time/Choeki san kyodai (1969) de Kiyoshi Saeki



Film assez brouillon où Bunta Sugawara combat un gang chinois caricatural dans la ville de Beppu. Ken Takakura et Tomisaburō Wakayama sont injectés assez artificiellement dans le récit pour créer une affiche de stars. L’habituel mise au second plan des femmes au profit du système des frères de sang, rend explicite que c’est là où se joue le véritable amour pour les yakuzas. Si un frère meurt au combat l’autre doit porter sa vengeance. Et cette mort est accueillie avec exaltation. Le combat final dans un couloir bordé de hublots reste splendide, tout comme la vision des frères accueillant Bunta dans l’au-delà écarlate des yakuzas.




   


22 août

Okoma: The Orphan Gambler/ Onna toseinin (1971) de Shigehiro Ozawa



Une semi adaptation de Ma mère dans mes paupières où cette fois c’est Junko Fuji qui est à la recherche de sa mère qui l’a abandonnée à huit ans. De façon intéressante, Michiyo Kogure reprend le rôle de la mère, qu’elle tenait déjà dans Liens de sang, l’adaptation de Tai Kato. La scène des retrouvailles avec Junko Fuji est magnifiquement larmoyante. Etant donné que Junko interprète une femme yakuza, pour une fois la traditionnelle « marche vers le destin » est mixte puisqu’elle s’effectue avec Koji Tsuruta. Il y aurait sans doute une analyse à faire du jeu extrêmement codé des deux acteurs. Junko Fuji toute en grâce, et gestes mesurés, jusqu’au déchaînement final. Koji Tsuruta qui ne joue que sur un mode sentimental et jamais agressif : voix douce, yeux mouillés, humilité permanente. 






23 août

Samurai Geisha / Nihon jokyo-den: kyokaku geisha (1969) de Kosaku Yamashita



De Kosaku Yamashita, j’ai vu jusqu’ici  Showdown of Men 3 : Storm in Kanto (1967), Le jeu présidentiel (1968)  et The Biggest Gamble (1969). Tous les trois sont excellents mais Samurai Geisha est peut-être le plus sublime. Junko Fuji interprète une geisha dans une ville minière qui tombe amoureuse du propriétaire d’une exploitation de charbon menacée par les yakuzas. 



Il est, bien évidemment, interprété par Ken Takakura. Le film se base sur des évènements réels de l’ère Meiji lorsque les yakuzas étendaient leur monopole sur les mines, forçant les petits exploitants à les leur céder.  C’est d’ailleurs assez étonnant, vu l’emprise des yakuzas sur la Toei qu’un tel scénario inspiré des méfaits fondateurs, entre autres, du Yamaguchi-gumi soit passé. Faut-il y voir aussi un signe des temps et une certaine vision critique qui allait s’accentuer dans le futur. Une scènes dans la maison de geisha oppose d’un côté Shinji (Junko) qui régale des mineurs pauvres d’une véritable soirée de geisha avec saké, musique et danse ; de l’autre les patrons-yakuzas voulant faire main basse sur la mine, jetant des billets en l’air et s’amusant à voir les geishas les ramasser. Lorsque le patron la demande en mariage Shinji réplique : « Vous ne pouvez pas m’aimer, vous traitez les femmes comme des singes. » Les travailleurs et les geishas sont unies dans le même monde, qu’il s’agisse de quartiers réservés ou des mines où on les emprisonne et les exploite. On verra même les geishas faire grève et éteindre les lumières du quartier rouge.  Junko Fuji, qui semble beaucoup plus concernée par ce scénario que par ceux d’autres mélodrames a rarement été aussi fascinante : obligée de boire une écuelle de saké, elle exécute malgré tout une danse en apesanteur, où elle est au bord de l’évanouissement. 




Le final, un des plus sauvages de toute la série, monte en parallèle le combat de Takakura avec un spectacle de kabuki et les mouvements d’une actrice (Junko ?) coiffée d’une crinière de lion rouge. Chang Cheh s’en souviendra peut-être lors de la mort de l’acteur interprété par Ti Lung dans Vengeance. 

Pas de chanson pendant « la marche vers le destin » mais un poème que récite Takakura avant d’entrer dans la maison. 





« J’espère mourir sous les branches d’un cerisier en fleur,

Ses magnifiques pétales tombant sur mon corps. »

Il y aurait beaucoup à dire sur la timidité et la délicatesse de Ken Takakura. 










24 août

A Lively Geisha / Nihon jokyo-den: tekka geisha (1970) de Kosaku Yamashita



Deuxième épisode de la série mêlant geishas et yakuzas interprétée par Junko Fuji. Comme souvent dans les séries japonaises, les personnages changent mais les situations sont identiques. Ici, ce n’est pas le monopole du charbon (comme dans Samurai Geisha) mais du riz sur lequel tente de mettre la main les patrons-yakuzas. Bunta Sugawara remplace Ken Takakura et le combat final fait écho à une danse de Junko Fuji. Si le film est plaisant, il faut attendre les dix dernières minutes pour qu’il atteigne sa dimension opératique. Junko jette un regard sur le public et constate que la place de Bunta est vide. Il est allé venger son vieux chef en attaquant le plan véreux. Junko, comprenant que son amour marche vers sa mort, se retrouve propulsé dans un décor jaune éclatant, tandis que Bunta s’enfonce dans les ténèbres. 




La mort va désormais les séparer. Bunta dévoile son tatouage de fudoh, et termine sa vendetta lacéré et couvert de sang. Le monde des geishas infuse de théâtralité celui des yakuzas et si le ninkyo eiga sous sa forme classique est amené à s’éteindre, il le fait de façon grandiose. 




26 août

Rise and Fall of Chivalry (1970) de Yasuo Furuhata  



Entre le ninkyo et le jitsuroku, sa forme moderne dont Fukasaku sera le grand artisan. Le film commence d’ailleurs comme un « combat sans code d’honneur » avec la biographie express d’une bande de yakuza, des irruptions violentes et des cadrages penchés. Pourtant, ce qui suit évoque bien davantage le cinéma de Melville. 




Koji Tsuruta est un ancien yakuza qui depuis six ans est patron d’un club de Shinjuku. Il répète sans arrêt qu’il n’appartient plus au monde de la pègre et vit avec la pianiste du bar. On pense à Carlito’s way et à la phrase : les services peuvent vous tuer plus vite qu’une belle. Un ancien membre du clan va le faire replonger, moins en raison d’une dette d’honneur que parce que Tsuruta étouffe dans sa vie d’honnête d’homme. 



« Je ne veux pas mener une vie normale, j’ai toujours été un yakuza » avoue-t-il. Une très belle scène dans la prison d’un commissariat où il donne une claque à un ivrogne et revoie des épisodes de sa vie en images fixes, et entend sa compagne lui répéter qu’elle l’aime. Mis à l’épreuve de l’époque contemporaine, ces acteurs du ninkyo classiques comme Tsuruta ou l’indispensable Kyosuke Machida deviennent encore plus mélancoliques. Cette histoire, très belle et classique, aurait très bien pu être filmée par Melville avec, par exemple, Lino Ventura dans le rôle de Tsuruta et Delon dans celui de Makoto Sato à qui aucune réinsertion n’est possible. 






27 août

Bakuchi-uchi: Inochi-huda/La mort distribue les cartes (1971) de Kosaku Yamashita



Devant ce film, j’ai pleuré comme une mémère japonaise.

Comment résister lorsque Koji Tsuruta ne veut pas avouer à l’actrice qu’interprète Michiyo Yasuda qu’il est un yakuza ? Lorsqu’il est envoyé en prison alors qu’il lui a demandé de l’attendre. Lorsqu’ignorant tout de son identité et de sa vie de yakuza, elle épouse le chef de son clan.  Comment résister à cette scène sur la plage où elle va se suicider et où Tsuruta la recouvre d’un manteau rouge ? 




Et la coupe de saké que Tsuruta ne parvient pas à briser pour couper ses liens avec  son frère de sang, Tomisaburô Wakayama cette masse d’humanité blessée. 



En revanche, lorsque le sol de la pièce mortuaire se remplit de sang *, et que Koji Tsuruta la traverse comme le Styx avec Michiyo Yasuda, j’étais bouche-bée. Et je me suis rappelé, s’il le fallait, pourquoi je regardais ce genre ces films japonais qui racontent sans fin la même histoire : pour ces moments sidérants qui sont des rêves de cinéma fou et absolu.  




*Ce dont se souviendra Sono Sion pour Why Don’t You Play in Hell. 


28 août

Aftermath of Battles Without Honor and Humanity / Sono go no jingi naki tatakai (1979) d’Eiichi Kudō



Quelles sont donc les conséquences des combats sans code d’honneur ? Peut-être tout simplement le passage aux années 80 et à un autre cinéma. Bien que réalisé par le vétéran Eiichi Kudō (13 tueurs), Aftermath prend déjà ses distances avec les années 70. Les combats sont corrects mais c’est plutôt l’ambiance pleine d’amertume qui entoure la destinée des quatre hommes de main qui marque la différence. 

Sur de la soul FM japonaise, très mélancolique, une voix encore jeune mais pleine de lassitude raconte la déroute d’un clan. Ses jeunes membres qui aurait pu devenir les meilleurs amis du monde, joueurs de base-ball, fonder une famille, ou devenir des oyabun respectables vont eux-aussi être brisés par des aînés poursuivant des luttes seulement motivées par l’argent (mais en a-t-il jamais été autrement ?). Une dernière scène magnifique substitue au combat, des lumières abstraites (celles des coups de feu) traversant l’écran devant le visage de Jinpachi Nezu, anéanti, le corps en morceau et drogué. 





On retrouve des vétérans du genre comme Asoa Koike et Hiroki Matsukata, lieutenant croyant encore aux clans et à l’honneur, mais aussi l’éternel traitre Mikio Narata. La magnifique Mieko Harada, qui pourrait ressembler aux femmes plongées dans l’abnégation des ninkyo eiga, termine le film en incarnation des personnages de Takashi Ishii. 




(à suivre) 





mercredi 11 août 2021

A Summer of Yakuza 2



30 juillet

Bakuchi-uchi: socho tobaku /Le jeu présidentiel (1968) de Kōsaku Yamashita



Le jeu présidentiel était le film de yakuzas préféré de Yukio Mishima et Paul Schrader, moins pour sa mise en scène, par ailleurs très belle, que pour la complexité morale des situations. Par fidélité au clan Koji Tsuruta se retrouve à servir un jeune oyabun qui n’est que l’homme de paille d’industriels, et rompre avec son kyodai, l’indispensable Tomisaburō Wakayama, porteur des origines populaires des gangs.  Tsuruta va sacrifier l’amour et l’amitié mais pourquoi ? Pour une bande d’escroc. La défaite du yakuza face au capitalisme ne pouvait que toucher Mishima, voyant Tsuruta devenir un personnage authentiquement tragique. Ce qui marque Mishima et Schrader est de voir l’incarnation du Ninkyo perdre tout ses idéaux et après la mort du frère de sang se définir comme un simple criminel, alors que défile sa sentence : condamné à la prison à vie ; une telle critique du giri (le devoir) est en effet une rupture majeure dans le genre, et mènera à la vision noire de Kinji Fukasaku. Ce qui a pu également enchanter Mishima, passionné par les personnages féminins intenses aux décisions radicales, est le suicide de la femme de Koji Tsuruta, ayant « trahi » son mari pour sauver un jeune gangster. 





31 juillet

The Red Cherry Blossom Family/Le Clan des cerisiers (1972) de Masahiro Makino



Lorsqu’elle tourne le clan des cerisiers, Junko Fuji n’est déjà plus la compagne de Ken Takakura ou Koji Tsuruta, condamnée à voir s’entretuer les kyodai. Elle a déjà gagné ses galons de femme d’action grâce à la série de la Pivoine rouge, et se livre à de beaux combats au sabre ou, plus originale, à l’épingle à cheveux. Son visage d’adolescente s’est aussi affiné pour en faire cette fascinante renarde guerrière. 1972, c’est aussi l’année où elle s’éloignera pour 17 ans des plateaux, (à l'exception en 81 de Bokan Mezame de Yû Yoshino). A cet égard le film est un ultime hommage à la beauté de Junko Fuji. The Red Cherry Blossom Family aurait pu être tourné en 1965 puisqu’il reprend la figure classique des gangs de quartier, l’un honorable, l’autre dévoyé voulant ouvrir un tripot pour endetter les habitants. Le trio Tsuruta/Takakura/ Wakayama reprend ses rôles classiques (même Hiroyuki Nagato réapparaît en conducteur de pousse-pousse gouailleur) et si le combat final est somptueux, le scénario est un peu embrouillé avec des épisodes presque inutiles comme l’apparition de la femme du méchant et de son jeune fils. Bunta Sugawura interprète un personnage secondaire et 1972 est aussi l’année d’un de ses rôles mythique : Okita le pourfendeur de Kinji Fukasaku. Le visage du yakuza eiga allait radicalement se métamorphoser. Une particularité cependant : le gang honorable n’est pas défini comme yakuza (bien qu’il se conduise comme tel) puisqu’il s’agit d’une équipe de pompier. On peut ainsi voir l’importance historique des corporations de métiers dans la formation des gangs.






1er aout

Otoko no shobu kantô arashî/Showdown of Men 3 : Storm in Kanto (1967) de Kosaku Yamashita



Je me demandais s’il était possible de voir un film de yakuza sans Ken Takakura, Koji Tsurutu ou Tomisaburō Wakayama. Dans Showdown of Men 3, c’est Hideo Murata et Ryo Ikebe qui tiennent les rôles principaux. Murata interprète Ryuhei, un jeune homme sans le sou se rendant à Tokyo et croisant dans le train le boss d’une équipe de bucherons possédant une forêt. Là encore la frontière entre corps de métier et yakuza est assez floue. Engagé comme saisonnier, son sens de l’honneur et son dévouement à la « famille » Kajima lui fait gravir les échelons et il connait un véritable destin de yakuza. Le film est d’autant plus intéressant par l’évocation, assez rare dans le genre (du moins les films que j’ai vus) du tremblement de terre du Kantô le 1er septembre 1923. Un beau personnage aussi : Oko, une ancienne joueuse, tatouée, maniant le pistolet et tenant tête au fourbe gang adverse. Malheureusement, son amour pour Ryuhei la transforme en femme de yakuza acceptant avec abnégation le destin de son mari. C’est sans un regard pour elle qu’il se rend aux policiers avec son « bro » Ryo Ikebe. Le yakuza eiga est un genre viril, mais pas misogyne et respectueux, surtout des prostituées. On peut dire que les hommes et les femmes n’ont tout simplement pas le même destin. 

Sinon, le magnifique Ryo Ikebe est peut-être le Gary Cooper du yakuza-eiga. 





Le destin de la femme de yakuza




2 août

Tokyo année zéro (2007) de David Peace.



Le Tokyo en ruines de l’après-guerre, une enquête laborieuse par des flics épuisés en plein cœur d’un été de sueur et de poussière. Soit le décor de Chien enragé de Kurosawa. L'inspecteur Minami est à la poursuite d’un tueur en série mais doit aussi résister à sa propre folie et au souvenir de ses propres crimes. Les identités sont floues, et les criminels de guerre commencent à se fondre dans le décor. Comme dans les Combats sans code d’honneur, les yakuzas commencent à asseoir leur empire sur les décombres : trafic de viande, de médicaments, de sommeil et de filles. Le tueur a réellement existé, lui-aussi un parasite abusant de femme affamées. Il s’agit de Yoshio Kodaira dont Teruo Ishii a raconté les méfaits dans un sketch de Déviances et Passions (1967)


4 août 

The Chivalrous Life/The Kyokotsu ichidai(1967) de Masahiro Makino.



Il y a peut-être ici un écho du célèbre Ma mère dans mes paupières, tourné par Hiroshi Inagaki (1931) puis Tai Kato (1962) et son yakuza à la recherche de sa mère. Le thème du film de Makino est aussi étrangement œdipien puisque Ken Takakura, confié à 8 ans à un bonze, rencontre, une fois devenu yakuza, le sosie de sa mère sous les traits d’une jeune prostituée interprétée par Junko Fuji. Tombée amoureuse de lui, la prostituée va étouffer ses sentiments et assumer ce rôle maternel. Alors que se joue par ailleurs une intrigue rabattue de guerre des gangs, tout le film est une apologie de la beauté de Junko Fuji, qui incarne l’absolu inaccessible du yakuza. Ce thème sentimental très original dégage  The Chivalrous Life du tout venant du Ninkyo eiga et est comme à son habitude superbement mis en scène par le vétéran Masahiro Makino.







Abashiri Prison 3 (1965) de Teruo Ishii


Sans raison particulière, je commence la série des Abashiri Prison par cet épisode. Le thème de la série est motivé par le fait que Ken Takakura sort de la fameuse prison où sont envoyés les détenus purgeant des peines de moins de dix ans. Sachant (si l’on a suivi les Combats sans code d’honneur) qu’un yakuza est condamné en moyenne à huit ans de prison, on ne s’étonnera pas qu’ils soient majoritaires parmi les détenus. Ken Takakura revient donc à Nagasaki et reprend sa place dans son clan mais tente de ne pas commettre d’acte de violence qui le renverrai derrière les verrous. Comme d’habitude, ils doivent défendre leur activité, ici de dockers, contre un mauvais clan. Cette trame simple, plus que déjà vue, est pourtant embrouillée par ce fou de Teruo Ishii. Le cinéaste a l’air de se contenir pendant la moitié du film avant de lâcher la bride à sa fantaisie lorsque débarque, pour lui prêter main forte, des compagnons de cellule de Takakura menés par Kunie Tanaka ; sociétaire de la série Abashiri Prison et génial acteur de second rôle. 


Avec ses vêtements criards et sa gueule à la Gainsbourg, Tanaka ressemble à une sorte de gitan japonais. Autre personnage génial Jôji Shirayama alias Killer Joe, interprété par Naoki Sugiura : vêtu de blanc, portant des lunettes noires, émacié et souffreteux, mais aussi chevaleresque, on le croirait sorti d’un manga de Tezuka. Le style justement manga et carnavalesque de Ishii extrait les yakuzas de leur univers compassé pour en faire des figures pop. 





5 août

Abashiri Prison 2 (1965) de Teruo Ishii



Plus qu’un classique ninkyo-eiga, le second épisode des aventures de Tachibana, l’ex détenu de la prison d’Abashiri, est une comédie policière dans la lignée de Sexy Line (1961), puisque l’on retrouve la pulpeuse Yōko Mihara. Il est question ici de pierres précieuses cachée dans une boule d’algue (une sorte de jouet pour enfants) que se disputent Takakura, des yakuzas, une pickpocket et des strip-teaseuses. Ken Takakura se fait torturer dans un caisson de bain de vapeur, probable reprise d’un film noir américain dont le titre m’échappe. Pour Teruo Ishii, comme pour Seijun Suzuki, le monde des yakuzas, loin de tout esprit chevaleresque, était surtout une galerie de créatures grimaçantes et grotesques.







Lien de sang/Mabuta no haha (1962) de Tai Kato




Remake de Ma mère dans les paupières (1931) d’Hiroshi Inagaki. Classique du mélodrame yakuza avec ce fils recherchant sa mère dont il a été séparé à cinq ans. Le héros passe par plusieurs figures conformes à l’image qu’il se fait de sa mère : une musicienne aveugle et une prostituée de rue. Mais lorsqu’il la retrouve enfin, loin d’être une femme pauvre, c’est une bourgeoise prête à marier sa fille et qui le rejette. Le film prend toute son envergure lors de ces retrouvailles ratées puisque la mère est interprétée par Michiyo Kogure, l’actrice de Mizoguchi (Les Musiciens de Gion, La Rue de la honte), reconnaissable à son grain de beauté sur le menton. Cette femme pétrifiée par le fard blanc qui est comme une frontière avec son passé, va peu à peu se laisser envahir par l’amour de son fils. Ce fils cherche-t-il d’ailleurs à reprendre sa place où à restaurer une image perdue, celle de sa mère qui, sous ses paupières, commençait à s’effacer ?





6 août

True Account of Hikashaku: A Wolf’s Honour / Jitsuroku hishyakaku ôkami domo no jingi (1974) de Shinji Murayama



Shinji Murayama redonne un sang neuf au personnage mythique de Hikashaku en n’adaptant pas le livre Theater of Life de Shiro Ozaki, mais le travail d’un journaliste, Koichi Iiboshi, remontant à ses origines. Même si l’on retrouve certains éléments, comme Okimi, la femme du héros, ancienne prostituée fuyant son amour en Mandchourie, les films de Tadashi Sawashima et celui de Shinji Murayama sont radicalement opposés.  True Account of Hikashaku se situe entre Kinji Fukasaku pour l’aspect documentaire et Hideo Gosha (Les Loups) pour la véracité de la reconstitution et la splendide direction artistique. De très beaux effets formels comme la répétition du flash-forward en noir et blanc de la mort de Ishikuro en 1942. Bunta Sugawara montre combien il a incarné la modernité des personnages de yakuza, par sa nervosité et sa sexualité bien plus franche que celle de Takakura et Tsuruta. Ishikuro Hikoichi est un personnage finalement peu présent dans le ninkyo eiga : le loup et sa meute, n’appartenant pas directement à un clan, et moins à cheval sur le protocole. Shinji Murayama se passe ainsi des multiples présentations, échanges de coupes et cérémonies, qui font aussi le charme du ninkyo eiga. Ce qui ne veut pas dire que certains motifs ne sont pas respectés comme l’amitié conflictuelle entre Ishikuro Hikoichi et (Muraoka) Akira Kobayashi, la rendant d’autant plus émouvante. 



Bien plus qu’au code d’honneur, Ishikuro Hikoichi se fie à une morale individuelle. 

« Mes relations avec chaque homme est la vie ou la mort, tuer ou être tué (…). J’aime un homme véritable. Je veux avoir une relation véritable. (…) Peut importe ce que j’ai fait, je mets me vie en jeux. C’est ma façon de vivre. Vous ne pouvez pas changer votre façon de vivre si facilement. » 

Notons aussi l’inscription franche du personnage de Muraoka dans l’extrême droite (dojo de kendo inclus), tandis que Ishikuro et sa bande conserve un statut prolétaire.






7 août

Three Pretty Devils (1970) de Sadao Nakajima et Motohiro Torii



Une série B décontractée dans la mouvance d’autres productions Toei de jeunes délinquantes comme Delinquent Girl Boss avec Reiko Oshida ou les Stray Cat Rock de la Nikkatsu avec Meiko Kaji. Le film semble quasiment improvisé pour profiter du décor de l’exposition universelle d’Osaka dont on peut admirer la célèbre Tour du soleil de Tarō Okamoto. 



Le trio de jeunes filles est tour à tour pickpocket, voleuses dans les grands magasins, prostituées, maquerelles, essayent de profiter de l’afflux de touristes causé par l’évènement. A noter deux caméos intéressant jouant sur la fluidité des genres : Peter, la queen des Funérailles des roses de Matsumoto, apparait à la télévision et chante dans un cabaret. 



De même que la chanteuse de blues Akiko Wada qui joue quant à elle de sa grande taille et de sa voix grave. Son apparition est similaire à son rôle de motarde dans Stray Cat Rock: Female Boss. 



Ce type de personnage est récurrent dans les films de Sukeban ou « Girl Boss », comme une allégorie de l’inversion des puissances masculines et féminines. Que les figures viriles des yakuzas se fassent systématiquement mater par les jeunes délinquantes font de ces séries B pop des films en avance sur leur temps. 

 


8 août

By a Man's Face Shall You Know Him / Otokonokao wa Rirekisho (1966) de Tai Kato



Japonais et gangs coréens dans l’immédiate après-guerre s’affrontent pour la possession d’un territoire de bidonvilles nommé « Marché de la vie nouvelle ». C’est précisément l’appellation du quartier sur lequel règne le yakuza de Tokyo Année Zéro de David Peace. Il peut cependant s’agir d’une appellation générique pour plusieurs quartiers défavorisés. Noboru Ando incarne un chirurgien qui, écœuré par la guerre, est décidé à ne pas intervenir bien que le terrain lui appartienne. 



Son frère (le futur réalisateur Juzo Itami) entend quant à lui ne rien céder devant les attaques du gang. Bien sûr, la représentation d’une minorité d’ex-colonisés violente est sujette à caution, mais peut-aussi expliquer la présence attestée de Nippo-Coréens parmi les yakuzas, certains parvenant même à la tête de « gumi » réputés. L’intérêt du film réside surtout la mise en scène de Tai Kato : couleurs flamboyantes, angles surprenants, et envolées mélodramatiques. 




10 août

The Velvet Hustler/Kurenai no nagareboshi (1967) de Toshio Masuda



Je quitte la Toei pour la Nikkatsu. C’est évidemment un autre monde et le ninkyo tragique laisse place à la comédie policière pop et décontractée. Tatasuya Watari interprète un yakuza mais on ne verra ni ses tatouages ni le moindre rituel, même pas un autre gang à part le chef adverse qu’il abat au début du film. Le film s’inspire de Godard et duplique la fin d’About de souffle et les couleurs de Pierrot le Fou. Mais il emprunte également à Pépé le Moko et la casbah d’Alger devient le port de Kobe avec ses nightclubs et ses bordels. 



Toshio Masuda a réalisé plusieurs films de yakuzas pour la Nikkatsu, en particulier la saga du Vaurien (Gangster VIP) avec Watari. Curieusement, celui-ci porte le même nom dans les deux films : Goro. La trame est assez relâchée pour permettre des séquences pops délicieuses comme le madison de Watari, le chapeau baissé sur les yeux, et surtout une série de portraits énamourés de Ruriko Asaoka. On regrette juste que la Nikkatsu n’ait pas osé un strict remake de Pépé le Moko, le personnage de gangster chevaleresque interprété par Gabin se prêtant à merveille à une relecture ninkyo. 





(à noter la présence de Joe Shishido en tueur philosophe, et de Tatsuya Fuji, jeune et sans moustache, dans un rôle de policier)


11 août

Clan yakuza par Kishin Shinoyama.

Panorama publié dans Z00M n° 129, Spécial Japon, 1987


(à suivre)