J'ai écrit pour le Festival de Rotterdam un petit texte sur Les sorcières de l'orient de Julien Faraut, réalisateur de L'Empire de la perfection. Un excellent documentaire sur une équipe de volley féminine des années 60, mythique au Japon.
Sur le site du festival ici
A voir ces quatre obachan (grand-mères) papoter joyeusement dans un restaurant, qui se douterait qu’elles furent les sportives japonaises les plus célèbres de leur temps ? Julien Faraut, auteur du magistral L’Empire de la perfection consacré à John MacEnroe, s’intéresse ici à d’autres championnes, bien plus méconnues en Occident : les « Sorcières de l’Orient », équipe féminine de volleyball qui remporta la médaille d’or aux jeux olympiques de Tokyo en 1964. Symboles d’un Japon qui allait montrer aux yeux du monde son dynamisme et tirer un trait sur les sombres années de guerre, elles sont issues du milieu ouvrier, plus précisément d’une usine de textile de Kaizuka dans la préfecture d’Osaka.
Julien Faraut fait apparaître la réalité de l’entraînement derrière ce parcours flamboyant de 258 victoires. Après leur journée d’usine, ces jeunes filles à peine sorties de l’adolescence mettaient leurs corps et leurs réflexes à l’épreuve d’une discipline de fer. Il faut les voir, dans de fascinantes images d’archive, se faire bombarder sans relâche par les ballons de leur entraîneur. Le cinéaste va justement s’intéresser aux images elles-mêmes, comme un signe de la mutation du Japon vers les médias de masse. D’ouvrières, les jeunes filles sont transformées en sportives, puis en personnages de mangas et enfin de dessin animé. Les mangas spécialisés dans le sport étaient jusque-là réservés aux garçons et souvent centrés sur le base-ball. A travers les exploits des volleyeuses les filles pouvaient s’imaginer les héroïnes d’un évènement mondial.
L’apport des Sorcières de l’Orient à la société et à la pop culture japonaise dépasse ainsi le cadre sportif. Julien Faraut mêle les images de matchs à celles du dessin animé en un montage trépidant, confondant les joueuses et leurs représentations dessinées. Les jeunes filles semblent pourtant imperméables à cette starification, tous leurs efforts étant concentrés sur les quelques mètres carrés du stade. Le cinéaste respecte leur éthique en n’exposant pas leur vie privée et en les considérant d’abord comme une équipe et un groupe d’amies. Bien que musicalement et visuellement Les Sorcières de l’Orient soit extrêmement sophistiqué, Julien Faraut sait aussi s’effacer lors du match décisif des jeux olympiques. C’est un plaisir de revivre les grands moments de l’affrontement contre l’équipe russe, décuplé par notre connaissance de leurs surnoms et de leurs visages.
Autre facette de ce passionnant documentaire : la personnalité de leur entraîneur, Hirofumi Daimatsu, surnommé « Daimatsu le démon », aussi dur et exigeant qu’un maître d’arts martiaux. Vétéran de la seconde guerre mondiale, Daimatsu était parvenu à survivre dans la jungle birmane pendant des semaines, ne perdant pas un homme de son bataillon. Sans doute est-ce cet esprit combatif et solidaire qu’il transmet à son équipe. La victoire des Sorcières de l’Orient anticipe les guerres culturelles et industrielles que le Japon du miracle économique allait mener dans cette seconde moitié du XXe siècle.
Seeing the four obachan (grandmothers) together, chatting happily in a restaurant, who would suspect that they were once the most famous Japanese sportswomen of their time? Julien Faraut, director of the masterful L’empire de la perfection (2018) devoted to tennis player John McEnroe, is interested here in other champions, much less known in the West: the ‘Witches of the East’, a women’s volleyball team that won the gold medal at the Olympic Games in Tokyo in 1964. Symbolising a Japan that would show the world its dynamism, and drawing a line under the dark years of war, they came from the working class. To be more precise, from a Kaizuka textile factory in Osaka prefecture.
Julien Faraut brings to light the reality of the training behind this blazing course of 258 victories. After their working day at the factory, these young girls, barely out of their teens, tested their bodies and their reflexes with an iron discipline. Just look at them, in fascinating archive footage, being bombarded relentlessly by their trainer! The filmmaker is clearly and justly interested in the images themselves, as signs of Japan’s transformation towards mass media. From workers, young girls are transformed into sportswomen, then into manga characters and finally into cartoon characters. Until then, manga specialising in sports had been reserved for boys, often centred around baseball. It was through the exploits of these volleyball players that girls could imagine themselves as heroines of a world event.
The influence of the Witches of the East on Japanese society and pop culture therefore goes beyond sport. In a lively montage, Faraut mixes images of matches with those of the cartoons, fusing the players and their drawn representations. The young girls, however, seem impervious to this ‘starification’, all their efforts being concentrated on the few square metres in the stadium. The filmmaker respects their ethics. He does not expose their privacy, seeing them foremost as a team and a group of friends.
Although musically and visually Les Sorcières de l’Orient is extremely sophisticated, the filmmaker also knows how to step aside in the decisive match of the Olympics. It’s such a pleasure to relive the great moments of the clash against the Russian team, enhanced by our new knowledge, recognising their faces and nicknames.
There is another facet of this fascinating documentary: the personality of their trainer, Hirofumi Daimatsu, nicknamed ‘Daimatsu the demon’, who is as tough and demanding as a master of martial arts. A World War II veteran, Daimatsu had managed to survive in the Burmese jungle for weeks without losing one man from his battalion. No doubt it is this combative spirit of solidarity that he transmitted to his team. And so, the victory of the Witches of the East anticipates the cultural and industrial wars that the Japan of the economic miracle would wage in the second half of the 20th century.