Malgré sa mort prématurée à 45 ans en 1986, l’œuvre de Kazuo
Kamimura est immense et couvre l’âge d’or de l’ère Showa. Si Lady Snowblood
(1972) fut longtemps chez nous son manga le plus connu, grâce à l’adaptation cinématographique
avec Meiko Kaji, on a découvert ses dernières années ses romans graphiques sentimentaux
comme Lorsque nous vivions ensemble (1972) et Le Club des divorcés (1974) ou
même sadomasochistes comme Les Fleurs du mal (1975). La chaîne de librairie japonaise
Mandarake sortit en 2011 un très bel album consacré à son travail d’illustrateur.
Car c’est là-aussi que s’exprime le génie de Kamimura, en particulier dans ses
pochettes de disques pour les musiciens Enka. Si le genre remonte au début du
XXe siècle, sa popularité connu un regain dans les années 70 lorsque la Enka se
mâtina de jazz et de sonorités pop. Le style mélodramatique de Kamimura ne
pouvait que s’adapter à cet univers ultra-romantique, larmoyant dans le bon
sens du terme, et mélancolique. Ses pochettes sont la plus belle explication de
ce que peut être la Enka, avec ses bars où rêvassent les jeunes femmes devant
un cocktail, une cigarette à la main, ses plages plongées dans un automne
éternel, et surtout ces larmes qui sans fin coulent des paupières de ses héroïnes.
samedi 11 janvier 2020
Kazuo Kamimura, enka mangaka
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mercredi 1 janvier 2020
Furyo (panfleto)
"Les Japonais sont trop pressés de vivre et trop pressés de mourir... Sans éclaircir le secret de cette âme des Japonais, je me demande sans cesse si cela ne nous conduira pas de nouveau dans une voie qui mène à la guerre. Et s'il en était ainsi, faire un film et essayer d'y faire de modestes expériences cliniques serait peut-être trop tard. Mais, il n'y a rien d'autre à faire; je n'ai qu'à faire des films en rêvant au jour lointain où s'éteindra l'Etat."
Nagisa Oshima à propos de La Cérémonie
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Nagisa Oshima
dimanche 29 décembre 2019
Rina Yoshioka : Spirit of Showa
Le 25 septembre, je rencontrais l’artiste Rina Yoshioka
(voir ce billet ici) à la galerie Arts Chiyoda de Ueno. J’en profitais pour lui
poser quelques questions dans un izakaya. Merci à Constant Voisin qui m’a servi
d’interprète.
Vous avez une prédilection pour l’ère Showa.
La thématique de l’ère Showa, ça fait partie de moi puisque
je suis née à cette époque mais c’était déjà la fin. Je me retrouve dans une
espèce d’entre-deux : c’est comme un fantasme entre ce que je connais et
ce que j’imagine. L’ère Showa a duré de 1926 à 1989 mais ce sont surtout les
années 60 et 70 qui m’intéressent. Comme je peins un monde que je ne connais
pas forcément, ça me donne l’impression d’approcher des existence qui me sont
assez lointaines. J’aime créer un contexte assez précis de l’époque, par le
biais de pancartes, de magazines, de pochettes de disques ou de devantures de
magasins ou de bars.
Vous peignez un type de femmes très érotiques, des hôtesses
de bar, des strip-teaseuses, mais ce ne sont pas des objets : elles sont
aussi indépendantes.
Je peints les femmes que je trouve attirantes. Et c’est
effectivement lié pour moi : je suis une femme qui peint des femmes
érotiques et ça se rapporte à cette notion d’indépendance. Les femmes de cette
époque représentent bien cette ambivalence. J’aime particulièrement le visage
de Naomi Tani et dans le même genre Reiko Ike. Junko Fuji, elle-aussi, possède un érotisme très féminin et une sorte de puissance.
Avez-vous des influences graphiques ?
Tadanori Yokoo. Je ne dirai pas que je fais des œuvres
similaires mais depuis l’enfance je suis très attirée par son
travail. Il y a aussi le fait que ce soit à la fois un peintre et un designer
et qu’il réalise aussi des affiches de pièces de théâtre. Il mène ces deux
activités en parallèle. Avoir représenté Ken Takakura dans des peintures
pop’art est vraiment une excellente idée.
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Rina Yoshioka
samedi 28 septembre 2019
Un étranger dans la ville dorée
« Vous vous souvenez de Golden Gai il y a 10 ans ?
C’était une ville-fantôme. » regrette le patron d’Uramado, qui est
peut-être le bar le plus sombre du quartier, une chapelle dédiée aux chanteuses
de jazz et d’acid folk de l’ère Showa comme Maki Asakawa et Morita Douji. Seule
une étoile violette allumée au-dessus de la porte indique que le bar est
ouvert car aucune lumière ne perce de ses fenêtres.
Il est vrai que Golden Gai avait
une drôle de gueule en cette fin septembre avec le championnat de rugby qui se
tenait à Tokyo. Rien ne pouvait être plus incongru que ces fans et joueurs, pour
certains néo-zélandais, armoires à glace s’entassant dans les bars minuscules
ou, à la grande hilarité des mama-san travestis, usant de mille contorsions pour
entrer dans les toilettes basses et étroites. Je revois ce groupe de malabars stationnant
au milieu de la rue et hurlant, leurs bières à la main, comme s’ils se
trouvaient dans l’outback australien. Une porte s’ouvre dans le mur, et se
matérialise une petite vielle courbée, borgne et furieuse, qui hurle « SHUT
UP ! », avant de retourner dans sa caverne. C’était l’esprit de Golden
Gai qui réclamait le silence ! Le quartier n’a cependant pas attendu les
rugbymen et l’annonce des JO de l’an prochain pour changer de visage et devenir
un lieu touristique. Sans doute est-ce le prix à payer pour sa survivance et
rares sont les bars pratiquant encore le « guests only » et le dissuasif
« extra-charge » (sorte de prix d’entrée) est un peu moins pratiqué. Pourtant, sans qu’on ne
sache vraiment pourquoi, l’obscurité reprend parfois ses droits et Golden Gai redevient
la cité des ombres, avec ces anges soulageant les solitudes, et ses démons
comme ce cauchemardesque travesti vêtu de rouge, accompagné de deux très jeunes
filles, et traversant à toute vitesse le quartier pour racoler des clients et
les entraîner dans les bas-fonds de Kabukicho.
Je suis moi-même un étranger dans
la ville dorée, mais dans ces moments d’obscurité je n’aspire à rien d’autre qu’être
un fantôme parmi d’autres, collectant les chansons d’amour embrumées, les photos
des mama-san du temps jadis qui jaunissent sur les murs, les affiches de
théâtre du génial Shuji Terayama et celles de Tatsumi Hijikata et son corps de
terre noire, les clichés charbonneux des photographes de Provoke et les souvenirs
des cinéastes rouges qui venaient y refaire le monde.
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