mardi 25 janvier 2022

Liz et l’oiseau bleu de Naoko Yamada (2019)

 

Les choses qui font battre le cœur

 






Après Silent Voice, Liz et l’oiseau bleu vient placer Naoko Yamada au premier plan de l’animation japonaise contemporaine. Qu’il s’agisse de la première réalisatrice d’anime pour le cinéma à gagner un statut international n’est pas insignifiant. Cette mue qui fut celle du manga dans les années 70, il est temps qu’elle s’opère dans l’animation, milieu encore très masculin et otaku. La dimension où s’inscrit Liz et l’oiseau bleu est de fait riche d’écrivaines et d’auteures de manga puisqu’il s’agit du shôjo, récits sentimentaux destinés aux adolescentes et les mettant en scène.  Bien plus qu’une simple classification entre les genres, cette véritable culture, commune aux femmes japonaises, remonte aux années 1920. Sans cantonner les réalisatrices à des sujets exclusivement féminins, il apparaît cohérent que cette catégorie leur soit prioritairement ouverte, ce que la réussite de Liz et l’oiseau bleu vient démontrer.



Si l’on devait dresser une taxinomie du shôjo, le film de Naoko Yamada en fournirait les exemples les plus essentiels. On y retrouve certains motifs récurrents comme la communauté féminine (un lycée pour filles), une discipline artistique (la musique classique), des références européennes (L’Oiseau bleu lointainement inspiré de Maurice Maeterlinck) et surtout une amitié exacerbée et romantique entre camarades de classe. Les deux héroïnes, Nozomi et Mizore, musiciennes dans l’orchestre du lycée, vivent leurs dernières semaines de terminale et peut-être celles de leur amitié. A la vivace et aérienne Nozomi est dévolue la flute, tandis que l’introvertie Mizore possède la gravité du aubois. Le morceau qu’elles répètent et le conte dont celui-ci s’inspire, vont leur permettre de comprendre leurs aspirations respectives. En retour, les sentiments des jeunes filles enrichiront la musique, par ailleurs une superbe création originale de Kensuke Ushio et Akito Matsuda. C’est donc un très beau thème qu’aborde Naoko Yamada : l’interprétation musicale comme création et introspection. Ces univers intérieurs, presque abstraits, la réalisatrice les avait déjà éprouvés puisqu’avant l’hypersensibilité musicale de Liz et l’oiseau bleu, elle explorait dans Silent Voice le monde du silence d’une jeune sourde-muette.



La mise en scène de cette admiratrice de La Couleur de la grenade de Paradjanov et de Piquenique à Hanging Rock de Peter Weir est calme, précise et presque expérimentale. Les fenêtres, grilles, aquariums et tableaux noirs délimitent l’espace du lycée, tout comme les chaussettes, jupes, nœuds et chemises construisent les figures de lycéennes. Pour Yamada le visage n’est pas le point nodal de l’expression et de l’émotion. Elle peut tout aussi bien cadrer à partir de la taille les jambes de ses personnages, leur faire exécuter une pirouette gracieuse, saisir un tremblement de main, et laisser la tête hors-champ. Cette structure, si elle multiplie les cadres et fragmente les corps, n’est cependant pas carcérale et oppressante, il s’agit seulement de saisir l’adolescence comme un temps et un espace circonscrit dont le lycée et l’uniforme sont les symboles. 



Avec leurs jupes bleues, les lycéennes sont bien entendu des oiseaux prêts à quitter leur cage et prendre leur envol. L’univers du conte, dont nous voyons les images s’animer, est l’inverse graphique du lycée. Le huis-clos s’ouvre sur des collines d’herbes vertes, des grands ciels d’azur, et les camaïeux de gris et de verts laissent place à des couleurs vives qui, dans les moments les plus lyriques, s’évadent des contours. Dans ces ruptures de style et l’emploi de l’aquarelle, est perceptible l’influence de Belladonna de Yamamoto. « Qu’il vienne le temps où les cœurs s’envolent » semble chanter le film lorsque l’oiseau bleu n’est plus qu’une tâche d’encre s’ébattant dans le ciel, accordé aux notes, elles-aussi libérées, de la flute de Nazomi. Ce qui vient de prendre son envol est alors le talent de Naoko Yamada.





 

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