un quartier où l’on fait une halte en rentrant chez soi
un haut lieu de l’underground
un endroit où il se passe toujours quelque chose
un quartier de vagabonds
un quartier chaud
les entrailles de la civilisation
un supermarché géant
Tokyo en miniature
La Mecque de la culture de l’immédiat
là où tout peut arriver
un lieu où les étudiants
se sentent chez eux
où les nouveaux venus se constituent des familles
où l’on peut boire et danser pour 200 yens
où tout le monde se donne rendez-vous
où l’on rejette l’autorité
un mélange de frivolité et d’infamie
une jungle moderne
le parfum du crime
un quartier du désir qui, déchaîné, peut tout engloutir
Postface de Shomei Tomatsu
O ! Shinjuku, éditions Shaken, Tokyo 1969
Cartel à l’exposition de la MEP : Moriyama-Tomatsu (19.05.2021 - 24.10.2021)
Tout me touche dans cette description, et plus particulièrement « où les nouveaux venus se constituent des familles ». Bien sûr on m’objectera que le Shinjuku que j’ai découvert en 2009 n’est que l’ombre de celui de 1969. Et pourtant l’esprit du lieu est bien présent, et si ce n’est plus Tokyo ou le Japon que ce « quartier du désir qui, déchaîné, peut tout engloutir », c’est bien moi qu’il a fini par entraîner là où je ne croyais jamais aller.
En visitant l’expo de la MEP, j’ai pensé comment Tomatsu avait d’abord poursuivi la tradition du cadrage japonais (et Dieu sait si les Japonais, de la peinture au cinéma, en sont les maîtres), pour ensuite la briser et saisir l’énergie des années soixante, dont Shinjuku était l’épicentre sismique. C’est la pure intensité de l’éditeur enragé cognant sur son punchingball, du manifestant sur le goudron luisant comme les écailles d’un gigantesque poisson.
Pourquoi cadrer lorsque tout est mouvant et explose. Lorsque le désir entre en irruption. De cet abandon du cadre naîtra la photographie japonaise moderne et celle de Daido Moriyama qui ira encore plus loin en radiographiant la ville. Chez Daido le cadre est de toute façon ailleurs, c’est le contour impossible de Shinjuku. C’est le centre impossible de Shinjuku. Si l’on faisait une mosaïque des photos de Moriyama sera-t-elle aussi grande que le quartier ? Quel visage apparaîtrait ?
photographies de Shomei Tomatsu
1. Couverture de Oh! Shinjuku
2. oh! Shinjuku. 1964
3. Série « Chewing Gum and Chocolate ». 1960
4. Takuma Nakahira, éditeur du magazine Provoke, 1964
5. Protest, Tokyo. 1969 (oh! Shinjuku)
6. Série « Japan A Photo Theater ». 1964.
7. oh! Shinjuku. 1964
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