jeudi 4 février 2016

Morita Doji, la chanteuse évaporée



Le nom de ce blog m’a en grande partie été inspiré par l’atmosphère unique des chansons de Morita Doji. A travers ses musiques on ressent la profonde mélancolie de cette ville qui d'une certaine façon ne parvient jamais à être au présent, s'élançant vers un futur innacessible et à jamais retenue par le passé.
On connait bien sûr Asakawa Maki, l’oiseau de nuit de Shinjuku, qui nommait ses albums Black ou Darkness, mais Morita Doji a établi son royaume encore plus loin dans les ténèbres. On sait qu’elle est née le 15 janvier 1952, mais cela reste le seul élément biographique la concernant. « Morita Doji » est un pseudonyme et même son visage, coiffé d’une perruque bouclé et masqué de lunettes noires, demeure inconnu. 

Après 6 albums studio et un live, entre 1975 et 1983, elle disparut. Non pas à la façon des actrices d’Ozu comme Setsuko Hara, qui se retirent à la Garbo et dont on est étonné d’apprendre la mort centenaire. Non, Morita Doji s’évapora purement et simplement à l’âge de 31 ans sans laisser la moindre trace. La légende veut qu’elle se soit suicidée, tragique destin alimentée par ses chansons. La mort, le retrait du monde et la nuit infini sont les thèmes obsessionnels de Morita Doji, marquée par l’événement qui décida de sa carrière musicale : le suicide de son meilleur ami lorsqu’elle avait 20 ans, sujet de sa chanson Goodbye. Elle chante d’ailleurs au masculin plusieurs de ses histoires d’amour, comme si c’était l’ami mort qui continuait à vivre à travers elle, explication probable de son travestissement. « Doji » signifie aussi « jeune garçon ». Elle évoque les gracieuses et romantiques créatures transgenres de la mangaka Ryoko Ikeda (La rose de Versailles, Très cher frère). Malgré l'apparence masculine, la voix demeure d’une fragilité inouïe.


Les chansons de Morita Doji m’ont ramené plusieurs années en arrière, lorsqu’étudiant je découvrais les albums de Nick Drake. Je retrouvais des correspondances dans leurs deux voix, douces mais immédiatement présentes, ces violons rampants parlant directement à l’âme, ces odeurs d’automne et de pluie. Et ces voix séraphiques, appartenant déjà à une chorale fantôme.  Un des albums de Morita Doji s’appelle Nocturne, mais ce pourrait être le titre de tous ses albums et toutes ses chansons, tant ils semblent spécialement écrits pour la nuit. Comme si sa vie réelle s’était arrêtée à la mort de son ami, ses chansons racontent le désir toujours anéanti d’appartenir au monde.

Les fans de Morita Doji, sans surprise, sont des étudiantes tourmentées, sans doute des poètes, et des garçons fragiles et romantiques. Ce sont eux qui se rendaient dans les églises où les concerts se déroulaient accentuant le culte étrange et morbide autour de la chanteuse. Elle fut aussi une des chanteuses préférées des étudiants des années rouges. Non pas dans la flambée révolutionnaire mais des années de cendre et de désenchantement qui ont suivies. Morita chante essentiellement la perte de la jeunesse.

Ecouter Morita Doji serait comme découvrir, dans un immeuble à Tokyo, la chambre oubliée d’une étudiante des années 70, mystérieusement préservée à travers le temps.




Trois chansons pour entrer dans l'univers de Doji 
 




Un documentaire en 3 parties. On peut y voir Doji et le montage de la tente de l'album The Last Waltz.











Les sept albums de Morita Doji


Live in St. Mary's Cathedral, Tokyo 東京カテドラル聖マリア大聖堂録音盤 (1978)


Good Bye グットバイ (1975)


Mother Sky マザー・スカイ=きみは悲しみの青い空をひとりで飛べるか= (1976)


A Boy ア・ボーイ (1977)


The Last Waltz ラスト・ワルツ (1980)


Nocturne 夜想曲(やそうきょく) (1982)


Wolf Boy 狼少年 (1983)

 

Photos à l'intérieur du 33t de The Last Waltz




On peut lire ici la traduction de quelques-unes de ses chansons

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