mercredi 19 décembre 2018

Muhammad “UCUP” Yusuf

J'ai découvert les gravures sur bois de l'artiste indonésien Muhammad “UCUP” Yusuf en novembre à l'exposition "Catastrophe and the Power of Art" du Mori Museum à Roppongi. C'était de loin les œuvres les plus marquantes. Avec le collectif d'artistes activistes Taring Padi, militant pour les droits des paysans, il mêle  la magie, l'horreur et la politique, avec une énergie noire rappelant les comix underground et la grande peinture révolutionnaire d'Amérique du sud. 












MUHAMMAD “UCUP” YUSUF A native of Yogyakarta, Muhammad “UCUP” Yusuf has been involved in artbased protests as part of the Taring Padi collective since the late 1990s. He believes that art is an invaluable tool that fosters understanding and tolerance in society. His newly created woodblocks and woodblock prints reveal his efforts for social change while offering a glimpse of some of the rural communities that are close to his heart. The intricately executed images narrate stories on current disputes over land expropriation and illegal development in Indonesia. Black Coal Dark Energy, for instance, refers to a recent debate about a coal power plant in Central Java. It shows a sea of solemn-faced people beneath angry signs with statements including “Don’t take our land” and “Why state violence against own people.” A larger banner reads “Land and water, our flesh and our blood, we take care until the end” echoing the resolution of the people. The choice of medium of woodblock engravings is significant as throughout history it has been harnessed to create political propaganda. 
Muhammad “UCUP” Yusuf studied painting at the Indonesian Institute of Arts, Yogyakarta, where he graduated in 2005. Alongside a number of prominent private collections in Indonesia and abroad, his works are in the permanent collections of the Palace Museum Yogyakarta, Indonesia; Singapore Art Museum; Fukuoka Asian Art Museum, Japan; and the Queensland Art Gallery of Australia. His work has been exhibited at such institutions as the Museum of Contemporary Art Lyon, France; Yokohama Museum of Art, Japan; and the Jogja National Museum, Indonesia. 
Born in Lumajang, Indonesia, 1975 | Lives and works in Yogyakarta
Extrait du catalogue REV | ACTION, CONTEMPORARY ART FROM SOUTHEAST ASIA, curated by Loredana Pazzini-Paracciani.  Sundaram Tagore Gallery, 2015

le site de Taring Padi

samedi 15 décembre 2018

Halloween à Tokyo



C'est une nouvelle histoire de fantômes à Tokyo
tu y croiseras
l’onagata diabolique qui hante le konbini
la kaibyo qui gratte le trottoir de ses griffes
l’équivoque écolière aux larmes noires
et le fantôme sanglant de l’infirmière
et le fils débauché de la famille du chien-dieu
mais surtout tu prendras garde aux sortilèges
des renardes échappées des temples
qui t’entraînent dans des rues sans nom
t’ouvrent la porte des bars fantômes
et te font boire le saké de l’oubli
qui estompe les contours de la nuit
et captif de ces fantômes d’amour
escamoté du monde des vivants
jamais tu ne verras l’aube se lever
mais n’est-ce pas au fond ce que tu désires ?  






































jeudi 6 décembre 2018

les noyées

C’est une rivière ancienne qui serpente dans la ville, traverse les love hotels, les appartements, les salles de bain, les chambres, les lits et trempe les draps de ses eaux noires.

Que charrie la rivière ancienne ?

Des jeunes filles.

Noyées aux corps blancs et aux yeux ouverts, prises dans une torpeur sans fin, une nuit sans fin même en plein jour, prisonnières de leur peau qu’elles entaillent comme les murs d’une cellule. Certaines s’étreignent et glissent ensemble au fond de la rivière, d’autres coulent solitaire. 

Comment s'appellent-elles ?

Elles n’ont pas d’autres noms que toi et moi.

C’est un monde clos, isolé, nous disent-elles. Laissez-nous en paix.







Les photos viennent du compte Instagram river_old
https://www.instagram.com/river_old/

jeudi 29 novembre 2018

L'Hotel World Kaikan à Nakano



Lorsque qu’on se rend à Nakano Broadway, on peut très bien passer par la grande galerie marchande toujours surpeuplée, avant de gravir les escaliers qui mènent au le paradis des mangas eroguro, des figurines d’Ultraman et des revues érotiques des années 70. On peut aussi passer par les ruelles, où s’alignent des dizaines de restaurants, de pachinkos et de Girls Bars. On est alors sûr de tomber sur la façade en losanges jaune orangé de l’Hotel World Kaikan. Construit pendant les années 60, d’où sa décoration pop désormais délabrée, il a bien été un hôtel mais après sa fermeture est devenu une ruche de bars et de karaokés. Sans doute reprend-il vie une fois la nuit tombée, mais c’est dans la journée qu’il se dresse de façon sinistre. Seul son second étage est accessible (1er étage chez nous), entouré d’escaliers fermé par des grilles. A droite, la porte d’un bar dont la décoration est un cercueil rouge marqué d'un "D". Deux escaliers descendent au sous-sol. Les emprunter était tentant puisque l’Hotel World Kaikan évoque à la perfection un décor de J-horror avec ses chambres que l’on suppose hantés par des suicidés ou des yakuzas assassinés. J’ai descendu les quelques marches, jusqu’à un sol en damier, plongé dans une semi pénombre, et des portes métalliques abritant sans doute un karaoké. Je suis resté quelques instants à me glacer d’effroi mais un bruit m’a fait prestement remonter à la surface.
Comment ne pas penser que la façade de l'hôtel rappelle la moquette de l'Overlook de Shining
Hotel Underworld Kaikan ? 



mercredi 17 octobre 2018

La voie oblique




Les livres de voyage c’est une grande affaire. Je me suis toujours refusé d’emmener des livres japonais au Japon. Pourquoi lire sur le Japon alors que le Japon est tout autour de moi ? Les deux tomes du Meurtre du Commandeur d’Haruki Murakami m’attendront donc à mon retour. Il vaut mieux, suivant la mystique qui m’est propre, emprunter une voie oblique. J’ai retenu trois livres : un que je n’ai pas lu et deux livres de survie. Par commodité, ce seront bien sûr des livres de poche. Celui dont j’ignore tout est La Marge d'André Pieyre de Mandiargues. D’après la quatrième de couverture, il m’a l’air assez éloigné de l’adaptation de Walerian Borowczyk et parle d’une dissolution et d’une renaissance dans un quartier de bars et de prostitution. Non pas à Shinjuku mais à Barcelone mais Mandiargues est un écrivain japonisant, et qui sait où l’on peut aboutir par la voie oblique ?

Un livre est un objet magique qui peut permettre de forcer le hasard et d’ouvrir des portes invisibles. Il y a bien un bar à Shinjuku qui se nomme "Hécate", d’après un film oublié de Daniel Schmid, adapté d’un étrange roman de Paul Morand se déroulant à Tanger. Sans la connaissance de ces deux œuvres, aurais-je remarqué cette petite plaque en bois, parmi les centaines d’autres du quartier ? J’y rencontrais une femme chat en kimono qui m’expliquait que son mari, le propriétaire maintenant décédé, avait adoré ce film. L’année suivante elle n’était déjà plus là et personne ne savait pourquoi le bar se nommait ainsi. Un jour, le Bar Hécate aura changé de nom mais la maîtresse de la nuit, la déesse des chiens, hantera encore les lieux.

Peut-être y a-t-il à à Tanger un autre Bar Hécate permettant de passer clandestinement entre les deux pays ? Et ce chant qui court entre les ruelles n’est-ce pas Nessun dorma, l’air de Turandot qui donne son nom à un autre bar ? Personne ne dort mais à l’aube la princesse de glace a déjà disparu et il faudra attendre une autre nuit pour espérer encore en son amour. Personne ne dort, c’est le territoire des vigilambule, ceux qui entrent, les yeux grands ouverts dans cette marge entre le crépuscule et l’aube.

L’Amour fou d’André Breton est un livre que l’on n’a jamais lu, qui n’a jamais été écrit ni publié mais dont on tente d’assembler les fragments qui nous parviennent par liaisons libres, automatisme, vases communicants, phrases attrapées, rêvées, murmurées. Dans un bar, au terme d’une nuit étrange,  une jeune fille m’a dit à l'oreille : « Tu as trouvé l’endroit que tu cherchais depuis toujours. » Elle m’a fait plusieurs présents mais cette phrase je l’ai conservée comme une pierre précieuse. C’était une de ces « femmes sans ombre » qui apparaissent vers trois heures du matin et qui n’ont que peu de temps pour délivrer leur message à un salaryman ivre, une hôtesse de club mélancolique ou un voyageur.



Une phrase peut être la clé qui ouvre l’Entrée des fantômes, comme celle que lance Raúl Ruiz à Jean-Jacques Schuhl dans le restaurant chinois de Davé : « Je te propose de jouer le rôle du chirurgien dans Les Mains d'Orlac. » On rêverait de se promener avec Schuhl dans Shinjuku la nuit et, suivant les traces rose poussière laissées par les travestis, trouver dans une ruelle le fantôme du restaurant, désormais fermé, de la rue Richelieu, avec peut-être cet aquarium dont les reflets verdâtres transforment les clients en spectres mais surtout, encadrés et accrochés au mur, les polaroïds des visages familiers de mille et mille amis disparus. Car chacun, à Tokyo, peut trouver l’endroit qu’il cherche depuis toujours.

La Marge, L’Amour fou et Entrée des fantômes, sont les trois livres que j’emporte à Tokyo cet automne.