jeudi 22 septembre 2016

Provoke, Rivette, Henry Miller : un jour tranquile à Clichy



Il y a presque un an, en allant à l’expo Daido Moriyama de la fondation Cartier, j’avais un détour par le cimetière de Montparnasse pour passer un moment avec Chris Marker (voir ici). Ensuite, Jacques Rivette est mort et ensuite David Bowie est mort, et ça on ne s’en remettra jamais. Par hasard, l’expo Provoke au BAL se trouve à quelques minutes du cimetière de Montmartre où repose Rivette. C’est une tombe en pierre blanche juste à côté de celle de Truffaut en marbre noir et de celle de Dominique Laffin. Un pont métallique surplombe le cimetière ce qui en fait un décor tout à fait rivettien. On s’attendrait à y voir déambuler Bulle Ogier ou Clémenti ou à voir passer Céline et Julie, Musidoras en patins à roulettes .  
En sortant, je croisais un chat au moins centenaire. 



L’exposition Provoke est consacrée à la revue du même nom qui, en 1968-1969, révolutionna la photographie japonaise. A la même époque, Oshima, Wakamatsu ou Matsumoto tournent leurs chefs-d’œuvre qui eux-aussi documentent le Japon des années rouges. Pourtant, si les films de la nouvelle vague étaient pour la plupart désabusés, les photos de Provoke tirent leur énergie de moments bruts d’insurrection. Flous, sous-exposés, pas de cadrage, peu importe. Les jeunes sont casquées, les bouches recouvertes de mouchoir, les regards brûlants. Il y a aussi du sang, des voitures qui brûlent, des barricades, et les longues lances des policiers qui rappellent les combats de samouraïs des films de Kurosawa. Ces images sont celles de la guerre de Tokyo, celles que Wakamatsu mettait en ouverture de ses films (tournées par les étudiants eux-mêmes) et que le héros d’Il est mort après la guerre d’Oshima échouait à capturer. Certaines sont signées Tomatsu Shomei, Takuma Nakahira, d’autres sont anonymes.
« La seule chose qui compte est ce qui a été photographié et comment. Je veux que la photographie tombe d’abord très bas, à ce niveau, puis je ramasserai ce qu’il en reste. » (Takuma Nakahira, 1969)
Il y a aussi les paysans de Narita, luttant contre la construction de l’aéroport. Ce mouvement, l’un des plus importants de l’époque, a donné lieu à plusieurs films dont The Battle for the Liberation of Japan: Summer in Sanrizuka (Shinsuke Ogawa, 1968), diffusé dans l’exposition, et Kashima Paradise (Yann Le Masson, 1973). Pour les photographes, c’est aussi une façon de saisir la vie paysanne, celle que l’on veut détruire aux alentours de Tokyo. Il faut penser que les vieilles paysannes photographiées par Mitome Tadao entre 1966 et 1971 sont parfois nées à la fin du XIXe siècle et que dans le bétonnage de leurs terres, c’est un ethnocide qui est à l’œuvre. 
Mais l’insurrection est aussi intime, c’est celle qui pendant les années 60 secoue les corps et les désirs. A l’ère du verseau de la Californie solaire, Daido Moriyama l’un des fondateurs de Provoke, oppose des chambres closes sur les ténèbres, des peaux de suie, des yeux et des lèvres noirs. Heiko Osoe consacre l’album Kamaitachi (1969) au danseur buto Tatsumi Hijikata, et le replonge dans cette paysannerie mystique dont il est un enfant.Araki, alors à ses débuts, travaille la photocopie dans la série Xerox Photo Album : 70 faces (1969) et Adam & Eve (1970), pâlissant ses clichés à l’extrême, presque jusqu’au négatif. Comment atteindre l’envers d’une image ?



Au sortir de l’expo, j’allais prendre un verre au Wepler, place de Clichy, en relisant quelques pages d’Henry Miller.

« Par une journée grise, quand il faisait froid partout sauf dans les grands cafés, je goûtais à l’avance le plaisir de passer une heure ou deux au Wepler avant d’aller dîner. La lueur rose qui nimbait toute la salle émanait des putains qui se rassemblaient d’ordinaire près de l’entrée. A mesure qu’elles s’égaillaient parmi les clients, la salle devenait non seulement chaude et rose, mais parfumée. »

C’était une journée belle et tranquille. 


mercredi 21 septembre 2016

Les fruits de la passion


A Shinjuku, les filles et les garçons
on tellement bu la lumière des néons
qu’ils pleurent des larmes bleues.

mardi 13 septembre 2016

Shinji Hama (浜慎二) petit maître du manga d'horreur

Dans les années 70 et 80, alors que les fantômes avaient disparus des écrans, les mangas assurèrent une continuité. S'adressant à des collégiennes et lycéennes, les auteurs les prirent comme héroïnes, plaçant les yurei classiques dans leur cadre quotidien : les écoles, les gymnases, les immeubles de la classe moyenne, les bus, les parcs... Sans le savoir, ils posaient les bases esthétiques de la J-horror. 
La plupart de ces petits formats, surtout ceux des années 80, sont des  séries B d’horreur, vite dessinées, mais parfois sanglantes et malsaines. On comprend pourquoi ils inspirèrent les premiers films de J-horror, comme les  Scary True Stories (1991) de Norio Tsuruta, directement tournés en vidéo et distribué dans les vidéoclubs. A Mandarake, l'immense magasin de mangas d’occasions, on les trouve pour la plupart entre 300 et 800 yens pour peu qu'ils ne soient pas signés Kazuo Umezu ou Shigeru Mizuki, les stars absolus du genre. 
L’un de mes auteurs préférés est plus modeste et se nomme Shinji Hama La carrière de ce vétéran remonte au début des années 60 et à la revue d'horreur All Kaidan aux superbes couvertures.

Dans les années 70 et 80, son style est plus alimentaires mais toujours efficace. Les couvertures de ses mangas représentent à chaque fois une jeune fille terrorisée, surplombée par des visages de monstres et de fantômes. 

Et toujours, entre les femmes-chats et les fantômes d'enfants aux cheveux blancs, l'omniprésence des papillons ! Personne n'a jamais su répondre à la question qui me taurade depuis des années : pourquoi en veulent-ils autant aux jeunes filles japonaises ?







mercredi 7 septembre 2016

Mais où est le Genet bar ?


Dans la ville rouge

Faute de déchiffrer les caractères des enseignes de Kabukicho, on développe d’autres facultés. Faire défiler dans sa mémoire des dizaines de façades de clubs érotiques est sans doute un talent inutile mais cela reste un talent. ll y a le club des infirmières, le club des écolières, le club des guerrières, les innombrables Hosts clubs avec sur leurs façades des visages d’éphèbes aux yeux de biches, le Robot restaurant à la musique entêtante et aux automates de femmes gigantesques, et il y a maintenant le Toho Cinéma avec son magnifique Godzilla grandeur nature escaladant la façade. Je suppose que se retrouver « in front of Godzilla » est désormais aussi courant que donner rendez-vous devant Hachiko ou Studio Alta. Plusieurs fois j’ai traversé Kabukicho avec en bande-son Kabukicho no Joou (la princesse de Kabukicho) de Shiina Ringo, troqué cette année pour Shinjuku mon amour d’Urbangarde, déclaration d’amour extatique au quartier.
Cette année, pour la première fois, j’habitais au cœur de Kabukicho, à quelques minutes de Golden Gai. Ce qui m’apparaissait était le Kabukicho matinal, quotidien. A huit heure du matin, les néons sont éteints depuis longtemps et les rabatteurs sénégalais sont rentrés chez eux mais il y a encore des jeunes traines savates ivres qui titubent dans les rues ou boivent une soupe devant une minuscule échoppe, encore des filles en robes collantes et perruques oranges qui sortent des clubs, et des jeunes yakuzas transportant sans doute la recette à leur oyabun dans de petites serviettes en cuir noir. Le matin, alors que les camionnettes et les scooters approvisionnent les conbinis et les bars, il flotte comme une atmosphère de ville portuaire, avec ses bâches bleues, ses vieux japonais tannés, en maillot de corps, un mouchoir noué sur la tête, transportant les tonneaux de bières. Et comme une ville portuaire, Kabukicho est pâle et vieillie au petit matin, attendant la nuit pour retrouver son maquillage écarlate de néons.