Tokyo, Jimbocho, août 2016
jeudi 22 août 2019
samedi 17 août 2019
vendredi 9 août 2019
Japonaises froissées
vendredi 2 août 2019
Les Musiciens de Gion et le crépuscule des geishas
Il y a deux geishas dans Les
Musiciens de Gion (Gion bayashi, 1953) de Mizoguchi : la plus âgée, Miyoharu (Michiyo
Kogure), symbolise l’« avant » et la jeune Eiko (Ayako Wakao) l’« après ».
Il s’agit de l’avant et de l’après-guerre mais plus généralement du monde
traditionnel et du monde moderne. Ce Japon contemporain est celui de la constitution,
des hommes d’affaires, des industriels et des contrats.
Que deviennent alors les geishas,
ces femmes censées représenter l’apogée de la beauté japonaise ? Elles ne disparaîtront
pas mais serviront de monnaie d’échanges entre les hommes de la nouvelle
société. La patronne de la maison de geisha, qui n’est rien d’autre qu’une
maquerelle affiliée aux hommes de pouvoir, prête de l’argent à Miyoharu pour que celle-ci achète une parure
luxueuse à sa protégée Eiko lors de son intronisation comme geisha. L’endettement
a pour but de pousser Miyoharu dans le lit d’un homme d’affaire et permettre la
signature d’un contrat juteux. La geisha, sous une forme dénaturée, entre dans l’économie
du capitalisme japonais en devenir. Le système hiérarchique traditionnel séparant
les femmes de l’art et celles vouées au plaisir des hommes n’est plus qu’une
fiction et la geisha se confond désormais avec la prostituée.
Cette dégradation est signifiée
par l’un des plans les plus violents de Mizoguchi. Dans une chambre d’hôtel de
Tokyo, un haut fonctionnaire se jette sur Eiko pour la violer. La jeune fille
tombe et un panoramique la rattrape à travers l’ouverture de la cloison semblant
fermée par des barreaux.
La geisha, parée, coiffée et maquillée, est jetée au
sol, recadrée comme simple objet de plaisir à prendre et emprisonnée. Eiko
mordra pourtant l’homme jusqu’au sang, lui arrachant presque la lèvre.
La
geisha de l’« après » se montre ainsi la plus rebelle, prête à
combattre pour défendre son statut, tandis que Miyoharu capitule.
Le film s’achève sur un statuquo :
Miyoharu, ravalée au rang de courtisane, continuera à se faire entretenir par
cet homme qu’elle n’aime pas, et sans doute par d’autres, permettant à sa
cadette d’incarner la pure geisha. Mais Eiko n’est qu’une poupée, une publicité
nécessaire aux superstructures se réclamant du Japon traditionnel.
Mizoguchi n’avait cependant
jamais été dupe de ce mensonge et du destin de prostituée de la geisha. Dès 1936,
il achevait Les Sœurs de Gion par les sanglots d’Isuzu Yamada : « Pourquoi
faut-il qu'on nous fasse tant souffrir ? Pourquoi faut-il qu'il existe une profession
comme celle de geisha ? Pourquoi faut-il que ça existe ? Tout ça, c'est une
grossière erreur ! Ça ne devrait pas exister ! Vraiment, ça ne devrait pas
exister. »
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samedi 27 juillet 2019
Le monde de Rina Yoshioka (吉岡里奈の世界)
Il y a deux ans, je dénichais à
Taco-ché, la célèbre boutique underground de Nakano Broadway (Tokyo), un petit fascicule
nommé Eat it. Il s’agissait d’un malicieux mélange de gouaches, inspirées par
les affiches de cinéma et les magazines des années 70, et de plats japonais très
courants comme les ramen, le curry ou les sushis. Le résultat était drôle et
sexy. Je reconnaissais quelques clichés célèbres de Meiko Kaji ou Reiko Ike
mais les visages étaient légèrement modifiés : toutes ces femmes avaient
un air de famille.
La créatrice de cet étrange livret de gastronomie pink se
nomme Rina Yoshioka et son concept « Le monde de Naomi ». C’est une
fantaisie sur l’ère Showa et les années 60 et 70 qui sont considérées comme son
zénith et dont l’un des prénoms les plus populaires était Naomi, comme celui de
la chanteuse Naomi Chiaki ou de l’actrice SM Naomi Tani. Qu'elle soit yakuza, femme
au foyer, mama-san, hôtesse, office lady ou paysanne, Naomi est l’unique héroïne
de ses peintures, version ultra pop et ironique des bijin, ces « belles
personnes » des estampes de l’ère Edo.
C’est comme si la peintre évoquait l’ère Showa, qu’elle est un peu trop jeune pour avoir connue, à travers ses
artefacts pop, parmi lesquels les films tiennent une place importante. Rina est diplômée de cinéma et de photographie,
ce qui explique sans doute la dimension narrative de sa peinture et sa
connaissance des codes visuels des affiches et photos d’exploitation. Mais ce n’est
pas tout : Naomi se retrouve sur des couvertures de magazines, des programmes
télévisés, des pochettes de 33t, d’anciens mangas et des affiches de misemono
(spectacles forains) en charmeuse de serpent. Elle appartient à ce monde de
papier qui dégorge des boutiques de livres et de revues d’occasion de Jimbocho,
le quartier des bouquinistes de Tokyo. Souvenirs
d’une époque bariolée, hédoniste, mais aussi rêveuse et mélancolique.
Dans le
monde de Naomi, on trouve des garçons aux chemises multicolores, les cheveux en
banane comme les chanteurs Tatsuya Watari et Akira Kobayashi, mais le plus souvent
ce sont des quinquagénaires chauves et ventripotents qui poursuivent l’héroïne de
leurs assiduités, la soumettent à d’odieux chantages, s’ils ne la ligotent pas
comme dans les récits érotiques d’Oniroku Dan. Une peinture est des plus intrigantes :
Naomi, version femme au foyer, est assise sur le carrelage de sa cuisine, le
chemisier légèrement déboutonné, et son panier à provision renversé, des
courgettes et des concombres jonchant le sol. Par la fenêtre, derrière elle, un
homme l’observe. Naomi, es-tu la Justine ou la Juliette de l’ère Showa ?
Es-tu une housewife perverse ou une innocente prostituée ? « Je veux juste
peindre des femmes avec une vie intéressante » répond Rina Yoshioka.
Une interview en anglais de Rina
Yoshioka ici
Sa Web Page ici
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Rina Yoshioka
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