lundi 4 janvier 2016
dimanche 3 janvier 2016
Trois anniversaires de Sono Sion
Le
temps et les anniversaires sont des obsessions pour les personnages de Sono
Sion. La jeune épouse de Guilty of Romance, quelques jours avant
l’anniversaire de ses trente ans, dérive vers le quartier des love hotels de
Shibuya et la prostitution. Le cinéma de Sono Sion est existentialiste, si tant
est qu’on veuille encore donner à ce mot un sens et qu’on soit préoccupé
par la seule chose qui nous soit léguée à la naissance.
Anniversaire
1. Je suis Sono Sion (Ore Wa Sono Sion da !, 1985)
Un
de ses premiers court métrages, tourné en école de cinéma, Je suis Sono Sion
relate les derniers jours du cinéaste avant son anniversaire. Une série de
saynètes parfois cocasses (il taquine une amie en imitant sa voix aigüe),
drôles et angoissantes (un punk, tendance new wave japonaise, lui rase la tête
malgré ses supplications), classiquement surréalistes (il embrasse des statues)
et une symbolique que l’on retrouvera dans ses futurs films (pantomime dans un
appartement vide)... mais le fond du film est cette affirmation : je suis Sion Sono.
L’anniversaire
de Sion marque la fin du film, et donc sa naissance comme cinéaste : le 6
décembre à 21h30 et 30 secondes. C’est son anniversaire mais ses images sont
noires, sa pellicule n’étant pas assez sensible... pas complètement noire bien
sûr, mais remplies d’accidents, de taches, de floutés colorés et, par l’usure
du temps, de rayures expérimentales. Ces images défectueuses ne sont pas une
fin, mais contiennent toute une potentialité tumultueuse.
Anniversaire
2. Bicycle Sigh (Jintensha toiki, 1990)
Un
personnage, à tête de gorille, s’introduit dans la chambre d’un apprenti
cinéaste. Il déclenche le projecteur super-8, mais la pellicule, sortie de la
bobine, se déverse sur le radiateur et fond en même temps que se déroule la projection. Sur le mur, une jeune fille court dans un pré, et puis s’éloigne au
fond de l’image. Elle disparaît en même temps que se désagrège la pellicule.
Le film du souvenir passe dans
une chambre vide, pour personne (car le gorille n’existe pas, bien sûr), et
s’efface peu à peu. C’est une des belles idées du premier long métrage de Sono
Sion, sur la vie fantaisiste, mais solitaire et mélancolique, de deux
adolescents.
Ils
croient qu’une société secrète veut faire disparaître les habitants de «10 chi
street, Nakamachi,Toyokawa» ; un acteur fantôme, avec un masque de Godzilla,
apparaît dans leurs films ; Shiro (Sono Sion) se déguise en super-héros (goût
du travestissement que l’on retrouve dans ses futurs films) pour sortir son ami
de l’hôpital.
Le
1er janvier Shiro passe son anniversaire, ivre mort, écroulé dans le couloir
d’un métro désert. Quant à au cinéaste, il gâche la rencontre avec la
famille de la fille qu’il aime.
Par
la progression de leur imagination, les deux amis (en fait les deux doubles de
Sono Sion) parviendront pourtant à s’évader de Toyokawa. Dans le court métrage
qu’ils tentent de finir, une des bases d’un terrain de base-ball quitte sa
trajectoire, se poursuit sur la route, jusqu’à l’océan. Il faut entrer dans le
film - devenir cinéaste - pour sortir du quotidien.
Anniversaire
3. Keiko desu kedo (1997)
Keiko,
prise aussi dans le décompte des jours jusqu’à ses 28 ans, est également
obsédée par le temps et les réveils.
Elle invente des comptines, disant "bonjour" et "au revoir" aux secondes. Elle
filme des bulletins d’informations (Keiko’s News Today), jouant une
présentatrice surexcitée commentant sa journée. Mais qu’a-t-elle fait à part
marcher dans la rue, prendre le métro et boire un café ?
Et tout se brise lorsqu’elle apparait sans maquillage ni perruque, et regarde
tristement la caméra. Aujourd’hui, elle n’a rien fait, il ne s’est rien passé,
elle a à peine existé. Elle n’a fait que vieillir imperceptiblement. Dans un
autre plan, un des plus beaux, Keiko est immobile, d’une fixité photographique,
sans même un battement de cil. Seul mouvement dans l’image : la trotteuse du
réveil poursuivant sa révolution obstinée... et la faisant vieillir, de seconde
en seconde.
Keiko
finira pourtant par s’évader de son monde d’objets et de solitude. Comme plus
tard la policière de Guilty of Romance courant après le camion à ordures avec ses sacs poubelles, elle traverse
son quartier, puis atteint un paysage de neige, aussi blanc que sa maison
étaient emplie d’objets colorés.
Love
exposure, le chef d’œuvre de Sono Sion est surtout une suite de recommencements
et de nouveaux départs...
Il
n’y a jamais de fatalité dans les films de Sono Sion. Pas même celle du temps.
Tout est toujours possible.
Tokyo 2015 #6. Shibuya
C’était à
Shibuya, non loin de la statue d’Hachiko. Une lycéenne et un vieux monsieur attendaient
ensemble, assis sur la rambarde d’une jardinière. Alors que défilaient les
fashionistas du 109, lui était parfaitement immobile, observant derrière ses
yeux mi-clos. On pense évidemment à Kitano devant ce visage faussement assoupi.
Pourquoi pas un flic à la retraite, obligé de s’occuper de sa petite fille
pendant un après-midi ? Celle-ci, une vraie peste, ne songe qu’à retrouver
son fiancé, un jeune baka, apprenti
malfrat. On imagine très bien le grand-père retrouvant alors la manière forte
pour ramener les deux tourtereaux dans le droit chemin.
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samedi 2 janvier 2016
Tokyo 2015 #5. Les sourires de Kabukicho.
A l’origine, Kabukicho a été construit après-guerre sur un quartier de Shinjuku rasé par les bombardements. Il devait accueillir, un grand théâtre Kabuki qui ne fut jamais construit. Mais le nom est resté, et au fond il lui va à merveille, comme si l’esprit sulfureux du vieux kabuki, la pratique du travestissement et la prostitution des jeunes actrices et acteurs avaient implicitement décidé de l’orientation du quartier. Lorsque je me rends à Golden Gai, j’aime toujours le traverser pour en sentir l’électricité presque palpable, au sens propre d’abord puisque les néons des boîtes en font sans doute l’une des plus grandes dépenses de Tokyo. J’aime regarder les hosts, ces jeunes garçons travaillant dans les clubs pour femmes esseulés, mince et habillés de noir, les cheveux oranges ébouriffés comme des chats de gouttières. Je suis toujours intrigué par la façon dont les rabatteurs sénégalais s’arrêtent à la lisière de Golden Gai, devant le bar karaoké philippin Champion, comme si une barrière magnétique de science-fiction séparait les deux mondes. Ce soir-là, la veille de mon retour en France, j’ai voulu emporter avec moi les sourires de Kabukicho.
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Balthus, version japonaise
Balthus
a de longue date noué des liens avec la culture japonaise. Envoyé par Malraux
en mission au Japon en 1961, il y rencontra son épouse, Setsuko Ikeda, qui
deviendra le modèle de plusieurs de ses œuvres (La Japonaise au miroir, par
exemple). Le photographe Shinoyama Kishin fit le voyage jusqu’à Genève pour
mettre en scène le peintre avec une jeune fille blonde très «alicienne». On
comprend ce qui attire les Japonais chez Balthus, en premier lieu cette
représentation féminine juvénile, où l’érotisme nait d’une série de contraintes
du corps. Nous ne sommes pas dans le shibari mais le corps est néanmoins dominé
par les lignes dures des décors ou des meubles. Il y a aussi les chats aux
traits presque humains, compagnons des jeunes filles, ironiques et un peu
voyeurs.
L’imaginaire
balthusien a imprégné la culture japonaise, au même titre que celui de Bellmer
ou de Bataille, et on en retrouve la trace chez Suehiro Maruo, l’illustrateur
eroguro, dont les adolescentes se retrouvent brisées en des postures
douloureuses.
L’une
des dernières variations japonaises sur l’œuvre de Balthus est l’une des plus
spectaculaires. Le photographe Hisaji Hara s’est livré à une série de
relectures de peintures et dessins célèbres, en mettant en scène un couple de
lycéens. C'est d'ailleurs lui-même qui interprète, de façon assez médusante, le garçon, l'autoportrait de Balthus devenant ainsi le sien. Quant à la jeune fille, c'est la compagne du photographe, Natsumi Hayashi (connue pour ses autoportraits en suspension) qui tient son rôle. Si les décors et mobilier ne sont pas reproduits à l’identique, la
dureté persiste dans les contrastes du noir et blanc, sa finesse comme découpée
au scalpel. Hara s’autorise aussi d’étranges libertés, comme de transposer les
personnages de «La Montagne» dans l’intérieur glacé et carrelé d’une salle
d’opération chirurgicale. Si leurs regards sont parfois lointain, des sourires
amusés flottent légèrement sur les visages de ses modèles. Ces déplacements
ironiques, font des photographies d’Hara bien autre chose que de simples
«tableaux vivants». En traversant le miroir balthusien, les jeunes filles - et
les jeunes garçons - en uniformes entrent dans le monde qui leur convient le
mieux, celui d’une théâtralité des sentiments où l’émotion affleure sous la
froideur et la cruauté.
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Le site de Hisaji Hara ici
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