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lundi 4 octobre 2021

Hommage à Ri Reisen



J’apprends le décès survenu le 22 juin dernier de Ri Reisen à l’âge de 79 ans. Figure importante de l’angura (underground) des années 60 et 70, Ri Reisen participa, couverte de peinture dorée aux spectacles de cabaret de Tatsumi Hijikata. C’est surtout aux côtés de son mari, Kara Juro,  qu’elle devint l’une des actrices principales du Jikei Gekijo ou Théâtre des situations.






On peut la voir, avec la troupe de Kara, dans Le Journal du voleur de Shinjuku (1969) de Nagisa Oshima. C’est elle la femme torse nue, aux longs cheveux noirs, les seins tatoués qui mime un seppuku. 



Le physique fascinant de Ri Reisen lui fit interpréter le rôle de la « female Boss » décadente de La Tanière de la bête de Shun’ya Itō (1973), troisième épisode de la saga de la femme scorpion interprétée par Meiko Kaji. Dans le Mishima de Paul Schrader (1985), dans l’épisode La Maison de Kyoko, elle joue la prostituée Kiyomi, avec qui Kenji Sawada passe la nuit. Un miroir posé sur la poitrine de Sawada le dote des seins de Ri Reisen. 

Née de la seconde génération de Coréens, ne parlant que japonais, elle soutiendra pendant les années 70, le mouvement pour la démocratie de Kim Dae-jung qui  subissait la violente répression du Président Park.

Excellente chanteuse elle est l’interprète du magnifique Le Vent souffle à Junku (1979) sur des paroles de Juro Kara et une musique de Jun Sakurai. 



Le vent souffle sur Junku, allons-y.

Le même stupide vent que d'habitude

Je fais exprès de trébucher et de me frotter à toi

Je cherche quelqu'un qui me ressemble

Je regarde en arrière, je regarde en arrière

La ville de Junku !

Un long couloir sans plafond.


Il y a une rivière qui coule à travers Junku.

Une rivière sans nom qui sent les crottes de nez.

Laisse-moi voir ton visage et ton sourire

Voyons qui se tient derrière moi

Elle coule, elle coule, elle coule

La rivière sans nom

Un long couloir à l'envers


Il y a un arc-en-ciel sur Junku

Un arc-en-ciel fou auquel il manque des couleurs

Je vais ajouter une autre couleur, la couleur de l'amour

La couleur de la vengeance est trop chaude

Je regarde en arrière, je regarde en arrière

La ville de Junku.

L'arc-en-ciel disparaîtra, lui aussi, dans le long couloir.















jeudi 17 décembre 2020

Maki, chanteuse des sombres dimanches



Asakawa Maki, plus communément appelée Maki, était l’oiseau de nuit du Shinjuku des années 70, reconnaissable à des signes immuables : la robe noire, les cigarettes, les longs cheveux corbeaux et les lunettes de soleil même au cœur de la nuit. Ses albums sont une suite de pochettes où elle émerge à peine des ténèbres, et qui pour quatre d’entre eux ont pour seul titre Darkness I, II, III et IV. Sa voix est l’une des plus reconnaissables de la chanson japonaise : haute et mélodieuse mais avec un fond rocailleux, chargé de tabac et d’alcool. Elle est l’équivalent musical des photos les plus chargées de matières de Daido Moriyama. 






A la fin des années 60, elle quitte son travail de comptable au service des pensions de la mairie de Mikawa, sa ville natale, et s’installe à Tokyo. C’est en reprenant dans les bases américaines des standards de Mahalia Jackson et de Billie Holiday qu’elle commence sa carrière. En 1968, elle est remarquée par le dramaturge Shûji Terayama qui lui propose un récital au Scorpio Theater, la salle de cinéma et de spectacle underground de Shinjuku. 



Shuji Terayama lui composa plusieurs chansons dont le mythique et jamais enregistré Long Goodbye et l’envoûtant Kamome (mouettes). Dans ce récit à la Kurt Weil, un marin raconte le meurtre d’une femme infidèle. « Une rose sanglante pousse sur cette triste histoire d'amour ». Maki est une chanteuse de blues mais aussi une chanteuse réaliste reprenant Casbah no Onna (Femme de la Casbah) d’Eto Kunieda, inspiré par le personnage de Fréhel dans Pépé le Moko. Au fond d’un bar, quelque part au bout du monde, au Japon ou en Algérie, une femme usée et solitaire voudrait voir le crépuscule sur la Seine, les danseuses du Moulin Rouge et les fleurs des marronniers des Champs-Elysées. 

Sa discographie compte 22 albums, de Maki no sekai (le monde de Maki, 1970) à Black Good Luck (1991). La plupart sont mythiques comme Maki Live, Uramado (fenêtre sur cour) la série Darkness ou Maki II. Toute sa discographie est disponible sur Youtube. La vie privée de Maki demeure énigmatique. En avait-elle une d’ailleurs ? Personne ne lui connaissait de famille, et même son âge bien qu’on la dise née en 1942 reste un mystère. Son existence semble n’être qu’une suite de concerts et d’enregistrements. Une vie dédiée à la musique et à la création d’un blues purement japonais, avec des musiciens légendaires. Sur son blog (ici), son amie la chanteuse Tokiko Kato, raconte qu’une nuit, alors que Maki lui téléphonait, son bébé s’est mis à pleurer. Maki lui a alors dit : « Ne me fais plus jamais entendre la voix de ton bébé ? » Sans aucun doute, elle était un peu sorcière. 



Si elle abandonna au fil du temps la chanson ou le folk pour se consacrer au jazz, son dernier album, Black Good Luck est une œuvre expérimentale et électrique. Un des morceaux qui me fascine le plus est Flash Dark, dont la narration en anglais et en japonais évoque autant le Velvet Underground que Sonic Youth.

 


Maki, encore ensommeillée, est visitée par une jeune femme, sans doute américaine (Maki, hello. I was just passin’ through. How have you been ?). Allumant une cigarette (bruit naturel du briquet), Maki essaye de définir le terme ibasho, l’endroit privé, qui n’appartient qu’à soi, où l’on peut être soi-même. Le refuge, peut-être ? « Tu n’as pas à expliquer », lui dit doucement son amie. Si je ne peux pas comprendre les paroles japonaises, même la narration anglaise, un peu hallucinée, parlant de salade et de poison, est énigmatique. « Quel est ce fil fragile sur lequel nous évoluons ? Y a-t-il un autre côté ? », lui demande son amie. On se doute que Maki nous parle ici de la mort, celle qui viendra la chercher le 17 janvier 2010, alors qu'elle séjournait dans la ville de Nagoya pour un concert. Terrassée par une crise cardiaque, elle été retrouvée inanimée dans sa chambre d’hôtel. 



Maki n’avait aucune confiance dans le CD, et ce n’est qu’après sa mort que son œuvre complète fut rééditée. Au Tower Records de Shibuya, régulièrement, de petits autels sont dressés en son honneur, présentant des biographies et ses disques. Ses photos ornent toujours les murs du club de jazz Pit Inn où elle venait faire des concerts a capella. Cependant, sa véritable chapelle est le bar obscur Uramado à Golden Gai dont le patron maintient la flamme de l’acid-folk et du jazz. Vous pourrez poser la main sur son piano et entendre battre le cœur de Maki. 




Les portraits en noir et blanc de maki sont tirés de The Long Goodbye, the world of Asakawa Maki (Byakuya Shobo ed.)



dimanche 15 novembre 2020

Chansons des mauvaises filles et des mauvais garçons



A l'exception des Combats sans code d'honneur de Kinji Fukasaku,  le film de yakuza est romantique, et ces messieurs, lorsqu’ils ne pratiquent pas l’art délicat de l’extorsion ou de l’expropriation forcée, pleurent sur le sens de l’honneur perdu des jeunes gangsters, un oyabun assassiné ou leur aniki  emprisonné, et souvent sur une modeste jeune fille, dévouée à sa mère malade, peut-être institutrice, à qui ils n’osent avouer leurs sentiments. 
Comme le « voyou » interprété par Tatsuya Watari dans la série Gangster VIP (1968), le yakuza part dans le crépuscule, des larmes pleins les yeux alors que s'élève une déchirante enka. 





Je ne sais pas si le terme de « Yakuza Enka » existe, mais inventons-le. On peut imaginer que les membres du Yamaguchi-gumi ne rataient aucun film de leurs incarnations à l’écran et avaient la gorge aussi nouée que les jeunes filles rêvant à la voix de velours d’Akira Kobayashi dans Nous ne verserons pas notre sang et Les Fleurs et les vagues (1964) de Seijun Suzuki. 
Le morceau de Yakuza Enka le plus célèbre est sans conteste Tokyo nagaremono, du film du même nom Le Vagabond de Tokyo (1966) de Seijun Suzuki, que Watari entonnait après avoir décimé un gang adverse. Tokyo nagaremono est aujourd’hui encore un classique des Karaoké, et on la chante la main sur le cœur, le regard voilé par le saké et la fatalité. 

Tous les acteurs des yakuza eiga étaient aussi chanteurs, et les pochettes de disques même lorsqu’elles ne sont pas la BO d’un film, en reproduisent l’imagerie, qu’il s’agisse du versant historique Ninkyo eiga, se déroulant fin XIXe début XXe, ou contemporain comme le Jitsuroku eiga. Dans le premier le chanteur porte un kimono, a un linge enroulé autour du ventre et est armé d’un sabre. Une de ses stars est Ken Takakura, qu’on a surnommé le Clint Eastwood japonais et qui est connu en occident pour son rôle face à Robert Mitchum dans Yakuza de Sidney Pollack. Takakura fut aussi le héros d'une série de films de yakuzas contemporains : Abashiri Prison (Teruo Ishii,1966) dont le thème est devenu un classique de la enka chanté par lui-même ou par Keiko Fuji.


Moins connu chez nous, Kôji Tsuruta fut lui-aussi une énorme star dans des films dont les titres parlent d'eux-mêmes : Le Sang de la vengeance (1965) de Tai Kato, La Cérémonie de dissolution du gang (1967) de Kinji Fukasaku. 



Comme Takakura, on le retrouve en partenaire de Junko Fuji dans la série La Pivoine rouge à la fin des années 60. Junko Fuji, elle-aussi enregistra des disques de Enka Yakuza tendance Ninkyo eiga.

Parmi les femmes de la Enka Yakuza, la plus mythique est Meiko Kaji, autant dans le style Ninkyo que Jitsuroku.

La très belle Hiroko Ohgi, actrice et chanteuse, interpréta des femmes yakuza dans Rising Dragon’s Soft Flesh Exposed (1969) de Masami Kuzuo, avec Akira Kobayashi comme partenaire, et The Friendly Killer (1966) de Teruo Ishii où elle dévoile de spectaculaires tatouages.


L’univers du Jitsuroku eiga est celui des villes du péché, des hôtesses de bars, des néons tentateurs et de la pluie qui lave autant les blessures que les pleurs des marlous. Passant du jeune premier à l'imposant oyabun, Tatsuo Umemiya (Terror of Yakuza de Sadao Nakajima, Tombe de yakuza et fleur de gardénia de Fukasaku) est l'acteur et le chanteur idéal pour nous entraîner dans l'Underworld tokyoïte.




Akira Kobayashi demeure cependant l'une des plus parfaites incarnations de ce romantisme balafré. 



Parfois l’acteur-chanteur incarne un flic maverick comme le très rock Yûsaku Matsuda dans La Preuve de l'homme (1977), mais l'univers glamour et urbain reste le même.


Je ne sais si certains yakuzas ont fait carrière dans la chanson mais cela est probable. Un au moins est devenu acteur et chanteur : Noboru Andô dont on peut admirer la belle gueule de crapule dans les films d'Hideo Gosha comme Les Loups (1971) et Le territoire du sang versé (1969).

Tirés à quatre épingle ou dévoilant des dos éclatants de fleurs tatouées, ces perdants-nés aux poings de fer et à l’œil de velours, aux lames brillants d'éclats assassins et sensuels, passaient la moitié de leur vie en prison. Devant le corps peint de Bunta Sugawara, on imagine le chant d'amour que Genet aurait pu leur dédier.