Contes et légendes du Cyberespace
Summer Wars décrit la guerre que livrent Kenji un jeune informaticien, et une famille campagnarde contre Love Machine, un virus menaçant de détruire Oz, un monde virtuel fédérant la population mondiale. Signé par un des plus talentueux animateurs japonais actuels, Summer Wars est une œuvre complexe et sans cesse euphorique.
Connu en France grâce à La Traversée du temps, Mamoru Hosada est un peintre délicat de la vie provinciale japonaise, constante des productions Madhouse (les merveilleux Un été avec Coo et Mai Mai Miracle). S'il excelle à représenter une campagne estivale bruissant d'une vie secrète, Hosada est également le démiurge d’univers virtuels foisonnants. Oz marque l'aboutissement d'un travail commencé avec Superflat Monogram, reprise de l'univers d'Alice commandée par l'artiste Pop Art Takashi Murakami, et Digimon Adventure, décrivant déjà la lutte contre un virus informatif vindicatif. Oz, aux allures de parc d'attraction psychédélique, récupère les esthétiques pops du Kawaii (le mignon enfantin, tout en courbes, popularisé par Hello Kitty) et du Superflat (les couleurs en à-plats, sans ombre ni relief). Sa belle architecture aérienne et ses avatars drolatiques, renvoient à la préhistoire le sinistre Second Life et son peuple de zombies.
Cette
vision idéalisée et pacifiste, propre au Kawaii, est aux antipodes de celles,
cauchemardesques, de Serial Experiment
Lain de Ryutaro Nakamura et Chiaki Konaka ou de Ghost in the Shell de Mamoru Oshii nées au début de l'Internet.
Oz est
un monde en perpétuelle construction et métamorphose, comme le signale le totem
qui occupe son centre : une tête gigantesque de Félix le chat. Outre son statut
de figure fondatrice du dessin animé, Félix est une créature modulable (sa
queue devient un point d'interrogation), presque un idéogramme. Pendant les
premières minutes du film, Oz s’élabore au fur et à mesure de sa description. Le
plaisir enfantin du jeu de construction se développe encore lors de
l'énumération des degrés de parentés de la famille et l'organisation par la grand-mère de la résistance de la
petite ville contre le virus.
La
grand-mère devient le lien affectif et familial qui unit tous les membres de la
communauté. Ce qui permet de lier les mondes réels et virtuels, n'est rien d’autre
que la famille, fondement de la société japonaise. D’abord locale et
provinciale, la famille devient globale et planétaire dans le Cyberespace. Pour
autant Hosoda, n’en fait pas une force passéiste. Au contraire, c’est une entité mutante, tentaculaire et joyeusement
anarchique. Le jeune héros, mathématicien génial, devra tout autant débrouiller
des généalogies remontant aux samouraïs que déjouer les stratégies malignes de
Love Machine.
Dans
son ultime métamorphose, Love Machine devient un essaim d’avatars, rappelant
les créatures d’épingles d’Alexeïeff. Tirer son énergie d’identités qu’il
emprisonne est l’unique motivation de ce vampire cybernétique. Alors que Oz
repose sur une vision enchantée et utopique de la mondialisation, le virus en
est le démon capitaliste et profondément nihiliste. Lorsqu'il aura épuisé
toutes les ressources du monde virtuel, il ne lui restera qu'à disparaître avec
lui.
Pourtant,
Love Machine motivé uniquement vers sa satisfaction immédiate, recèle une
faiblesse : il ne possède ni passé ni mémoire. Pour le combattre, Kenji et la
famille convoqueront d'abord les stratégies guerrières des samouraïs. Les
matières synthétiques du monde virtuel sont remplacées par une multitude de petites
baraques en bois qui emprisonnent le virus. Le bois, anachronique dans le monde
lisse et acidulé d’Oz, est comme l’exhumation d’une antique civilisation au
cœur du Cyberespace. Hosoda ne se contente pas d'opposer Love Machine, monstre
issu des jeux vidéos, à une pratique ancestrale, il montre le plaisir ludique
comme une constante de l'âme japonaise. Ainsi, la grand-mère lègue à sa petite
fille son habileté au Hanafuda, jeu de carte traditionnel. La mémoire à
laquelle fait appel Hosoda est alors très émouvante. L'actrice qui prête sa
voix à la grand-mère n'est autre que JUnko Fuji, interprète de la Pivoine Rouge,
la joueuse de Hanafuda d’une série mythique des années 70.
C’est
ce passé glorieux, l’âme d’un cinéma japonais à la fois populaire et ambitieux,
dont le conte cybernétique de Mamoru Hosada recueille l’héritage.
Entretien
avec Mamoru Hosoda
On retrouve dans Summer Wars certains motifs des œuvres de Takashi Murakami ?
Je
dirai plutôt que c'est l'inverse : c'est moi qui lui ai donné ses idées.
Lorsque j'ai tourné Digimon, j'ai
représenté le monde virtuel comme un globe blanc, parcouru de lignes rouges. En
automne 2002, Murakami est venu me voir aux studios de Toei Animation. Il
devait faire une publicité pour Louis Vuitton et m'a commandé un film d'animation
: Superflat Monogram. Lorsqu'il m'a
montré son projet, j'ai retrouvé des images de mon Digimon. Donc, c'est plutôt moi qui l'ai influencé. Takashi
Murakami est un ami, je ne corrige pas à chaque fois.
Pourquoi avoir donné au virus le nom de
Love Machine ?
Love
Machine représente l'intelligence artificielle - "AI" en anglais qui
signifie "amour" en Japonais. Takashi Okazaki, l'auteur d'Afro Samouraï qui a créé le design des
personnages, est un fanatique des statues de Bouddha. Il lui a donné cette
forme impressionnante.
Une même saturation d'informations
caractérise le monde d'Oz et la famille Shinohara.
Cela
vient de l'expérience de mon propre mariage. Lorsque j'ai rencontré la famille
de ma femme, ils étaient si nombreux que je ne comprenais pas qui était qui.
Encore aujourd'hui je ne me souviens pas de tous leurs noms. Pour moi, le
mariage représente une multitude d'informations et j'ai failli m'évanouir quand
j'ai du toutes les mémoriser.
On
retrouve ce foisonnement dans la scène du repas familial. Ils sont une
trentaine autour d'une table, cela demande énormément de travail. Pour cette
raison, les films d'animations comprennent très peu de scènes de repas. Ici
chaque membre de la famille mange à son propre rythme. Il n'y a pas vraiment de
héros dans Summer Wars, c'est la
famille qui est un personnage à part entière.
Summer
Wars associe le monde
virtuel et la famille, ce qui est inhabituel.
Lorsqu'on
traite du réel et du virtuel on condamne souvent un des deux. Par exemple, on
dit que l'Internet est un monde faux, que ce n'est qu'un rêve et qu'il faut faire
confiance à la réalité. A l'inverse, on dit aussi que l'Internet représente le
progrès et permet de réaliser des choses inédites. Je voulais montrer les bons
côtés de ces deux univers puisque l'Internet et la famille sont indispensables
à notre vie. La vraie opposition ce situe davantage entre ce qui est local ou
régional et la globalisation. On a tendance à penser que ce qui est local n'a
plus de valeur. J'ai voulu montrer comment les familles du monde entier veulent
aider cette famille japonaise. Je pense que malgré la globalisation, les
familles peuvent changer le monde.
Vous utilisez des stratégies anciennes
pour combattre les dangers du futur.
Je
crois que ces stratégies miltaires existent encore aujourd'hui dans le monde
d'Internet. La scène où Love Machine est emprisonné par les petites maisons
vient d'un fait historique. Je me suis inspiré de la famille Sanada, qui a
réellement existé dans cette région et qui a combattu l'armée du samouraï Tokugawa.
La famille Sanada avait 2000 soldats alors que l'adversaire en avait 38.000.
C'était donc sans espoir. Mais ils ont gagné en enfermant l’armée ennemie à
l'intérieur de leur propre château.
L'origine du titre vient du fait que la famille Sanada a livré plusieurs guerres en été. D'où le pluriel.
Dans quel courant de l’animation japonaise
vous situez-vous ?
Dans
l'histoire du cinéma d'animation japonais, il y a trois courants. D'abord, Toei
animation, qui a produit le premier long métrage d'animation japonais : Le Serpent blanc de Taiji Yabushita.
Aujourd'hui, Miyazaki s'inscrit dans
cette tradition. Le 2e courant vient de Tatsunoko Pro., fondée par Tatsuo
Ushida, dont Mamoru Oshii est l'héritier. Madhouse quant à lui retrouve
l'esprit du studio d'Osamu Tezuka. La caractéristique de Madhouse est son grand
respect de chaque auteur. Même si j'ai beaucoup travaillé pour eux, je suis
issu de la Toei et Madhouse l'a
parfaitement accepté. Dans Summer Wars,
j'ai mis beaucoup de ma propre expérience et de ma vie privée. Je viens de la Toei
où j'ai appris le cinéma. J'aime son côté très dynamique, et même un peu
vulgaire. Je suis très fier de mon origine.
En quoi Summer Wars est-il proche de la
Toei ?
Dans
l'histoire du cinéma japonais, il y a également trois tendances : la Toei, la
Toho et la Shochiku. Ozu a beaucoup tourné pour la Shochiku. Les films Shochiku
montrent des familles tranquilles, ancrées dans la vie quotidienne. Un des
réalisateurs phares de la Toho, est Kon Ichikawa dont les familles sont plutôt hors-normes. A la Toei, les familles sont un
peu yakuza comme dans la série La Pivoine
rouge. L'héroïne est jouée par Junko Fuji qui était à l'époque une
star. C'est elle qui prête sa voix à la
grand-mère dans Summer Wars. Et elle
est la maman de Shinobu Terajima qui vient de remporter le prix d'interprétation
à Berlin pour Caterpillar de Koji Wakamatsu
!
Interprète : Shoko Takahashi
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