lundi 16 novembre 2020

Okuribi. Renvoyer les morts

On connait la cérémonie qui clôt la fête d’O-bon (équivalent japonais de la Toussaint) vers la mi-août. Après avoir passé quelques jours chez leurs proches où ils ont étés honorés, les esprits quittent les vivants sous la forme de lanternes déposés sur le cours d’une rivière. Rassurés de n’être pas oubliés, ils disparaissent dans les ténèbres, jusqu’à l’année prochaine. Okuribi en est une variante spectaculaire : il s’agit de foyers allumés sur une montagne formant des idéogrammes et destinés à guider les morts sur le chemin du retour. 

Dans le roman d’Hiroki Takahashi, un adolescent connaîtra une initiation sauvage pendant le rite d’Okuribi. Emménageant avec sa famille dans un village de la région d’Aomori, Ayumi est témoin du harcèlement d’un jeune garçon nommé Minoru par ses camarades. Malgré les liens d’amitié qu’il noue avec leur chef, Akira, il échoue à comprendre leur cruauté envers un ami d’enfance. Bien qu’il traite du phénomène de l’ijime (le harcèlement scolaire) Okuribi n'est pas un livre sociologique mais un récit à la lisière du fantastique et de l’horreur. 

Ayumi le citadin se retrouve plongé dans la campagne d’Aomori, haut-lieu de la paysannerie mystique japonaise d’où proviennent des personnalités comme le danseur butô Hijikata Tatsumi ou le dramaturge et cinéaste Shûji Terayama. Takahashi n’en rajoute cependant pas dans le folklore et il n’est pas fait mention d’Ozoresan, les fameux monts de la peur hantés par les démons, ni explicitement des itako, les chamanes aveugles qui conversent avec les morts. Takahashi dépeint une campagne japonaise en apparence semblable à toutes les autres, paisible, avec ses chemins traversant les champs et ses forêts. Pourtant, qui a grandi à la campagne, au Japon ou ailleurs, connait sa violence et les terreurs qui peuvent naître en plein soleil.

Au fur et à mesure que la mort se rapproche de la petite bande, Takahashi multiplie les descriptions insolites de paysages, d’animaux et d’insectes. Quelle est cette bête de la taille d’un poing, couverte de boue, qui surgit sur un sentier devant Ayumi? Pourquoi le vent a-t-il une couleur moineau? Quels sont les mots qui portent malheur? Pourquoi cette vieille femme persiste-t-elle à confondre Ayumi avec l’héritier d’une famille noble ? Derrière l’ijime dont est victime Monoru, est tapi autre chose de plus ancien et de bien plus ténébreux. Le jeu de l’hanafuda, ces petites cartes japonaises représentant des animaux, dont l’inoffensif Minoru est invariablement le perdant, se transmet de génération en génération aux élèves du collège, et remonte peut-être, sous une autre forme, à un rite plus ancien. 

Quel sacrifice, décidé depuis l’enfance d’Akira et ses compagnons, faut-il accomplir pour apaiser les morts ? 

Hiroki Takahashi. Okuribi. Renvoyer les morts. Editions Belfond 2020. Traduction Miyako Slocombe. 




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire