vendredi 30 avril 2021

Tokyo Park de Shinji Aoyama : ces morts que nous hantons



Tokyo Park (ou Tokyo Koen) tourné en 2011 n’est pas le chef-d’œuvre de Shinji Aoyama. On peut lui préférer à juste titre Eureka ou Sad Vacation. Pourtant, c’est un film qui tel un fantôme traverse souvent mes textes. J’y fais référence par exemple ici et ici. Peut-être est-ce dû au fait que je l’ai vu à Tokyo l’été 2011, peu de temps après la catastrophe du 3/11, dans l’atmosphère très particulière d’un Japon traumatisé. Peut-être cette année-là étais-je moi-aussi en fuite, hanté, et ce Japon endolori était un refuge. Je reprends une critique pour les Cahiers laissée à l'état de brouillon et l’interview d’Aoyama dans son bureau où trônent de magnifiques guitares. 



Tokyo Park épouse un tempo de jazz cool, composé par Aoyama lui-même, ballade rêveuse dans un Tokyo parallèle puisque ce sont ses parcs paisibles qui deviennent le décor d’une filature amoureuse. Sous influence de Vertigo et Blow Up, Koji un photographe amateur est chargé par un dentiste dépressif et jaloux de suivre sa femme qui passe ses journées dans les parcs. Le mari suspecte un amant mais l’enquêteur découvre qu’elle ne fait rien d’autre que se promener avec leur petite fille, chaque jour, d’un parc à l’autre. Le jeune «stalker» ne passe pas inaperçu pour la jeune femme qui s’amuse à lui offrir une série de portraits qu’il prend en photo. Sa dérive semble dessiner un mystérieux tracé en colimaçon à travers la ville. Ce qui est le cas des personnages dont aucun parcours n’est rectiligne, évoluant entre le réel et le rêve, le présent et le souvenir. 

A travers sa filature Koji recherche surtout une autre image enfouie, celle de sa mère photographe comme lui, et morte alors qu’il avait 8 ans. Une jeune fille, Misaki essaye de retrouver dans les films d’horreur qu’aimait tant son fiancé la trace de ce dernier. Quant à la sœur de Koji (en fait la fille de la seconde épouse de son père) qui est amoureuse de lui, elle ne cesse de fuir ses sentiments. Aucun personnage n’est figé et est construit par strates, parfois antagonistes et l’amour circule de façon inattendue comme pour ce patron de bar gay tombé fou amoureux d’une femme.   

Aoyama filme en évidence le DVD de Vampyr de Dreyer, indice sur la nature du territoire où il nous a entraîné : une série d’espaces presque indifférenciés, à la fois dans la ville et en dehors. Dans la photographie, à l’étrange douceur, il semblerait que les taches de couleur vives ont été gommées. Les spectres, dans la tradition japonaise, sont imperceptible au premier regard, presque confondus avec notre réalité. Hiro le co-locataire, interprété par Shota Sometani, semble d’abord un jeune otaku un peu plus pâle que de coutume. Ce n’est que lors de la visite de sa petite amie, pour qui il est invisible, qu’on l’identifie comme un fantôme. 



Ces fantômes sont d’abord les souvenirs tristes et doux des proches disparus. L’existence spectrale du co-locataire de Koji (regarder des films d’horreur toute la journée) ne semble pas très différente de celle de son vivant. Le patron de bar se travesti en enfilant les vêtements de sa femme morte pour continuer à la faire vivre.  C’est le visage de sa propre mère que Koji superpose à celui de l’épouse. Ce que cette dernière recherche dans les parc est son mari qui au fil du temps a oublié ses sentiments pour elle. La clé en sera un escargot fossilisé dans un musée. Ces fantômes d’amour trouvent un contrepoint grandguignolesque dans une série Z au nom farfelu de Zombies Vampires (comme chacun sait, on ne peut jamais être les deux) : des morts-vivants hirsutes déambulent, sans but, dans une friche industrielle. Créatures perdues et lentes, évoquant davantage les clochards réels de Tokyo, intouchables se fondant dans le paysage urbain, ne mendiant pas, et se contentant d’être faiblement encore là. Ces Zombies Vampires sont notre destin de pauvres humains. 

L’hypothèse d’Aoyama est alors que c’est nous qui hantons les morts et les empêchons de trouver le repos. Les fantômes de Tokyo Park cherchent un moyen d’échapper à notre souvenir pour trouver l’oubli. Koji a laissé intacte la chambre de son ami décédé. Une pièce emplie d’une légère brume où végète un spectre ensommeillé. Pour qu’enfin, Hiro connaisse le repos, il devra faire entrer dans la chambre une autre locataire : Misaki la fiancé de celui-ci, et avec elle accueillir un nouvel amour.



Entretien avec Shinji Aoyama




Qu'avez-vous fait depuis Sad Vacation qui date de 2007.

J'ai essayé de mener à bien plusieurs projets mais au Japon la situation économique s'est dégradée suite au crash des Lehman Brothers.  La production cinématographique est devenue difficile et mes projets étaient soit trop chers soit ne plaisaient pas aux producteurs.  Le projet le plus cher était un film de science-fiction de 400 millions de yens (100 millions 200 mille euros). Je voulais aussi tourner un film historique se déroulant pendant la seconde guerre mondiale. Pour ce film, j'ai essayé de récolter des fonds internationaux, en France par exemple. Mais au Japon, qui devait être mon principal investisseur, je n'arrivais pas à trouver de production. 


Comment la situation s'est-elle débloquée sur Tokyo Park ?

J'ai travaillé avec un producteur que je connais depuis 20 ans. Nous avons débuté ensemble lorsque j'étais assistant réalisateur et lui assistant producteur. Il m'a proposé d'adapter le roman de Shoji Yukiya qui est à la base du film en me disant que c'était inédit pour moi. En effet, en lisant le roman, j'ai constaté que je n'avais jamais traité ce genre de sujet. 


Qu'est-ce qui vous a particulièrement intéressé dans ce livre ?

En général, on me voit comme un réalisateur d'art et essais. Mes films possèdent un caractère anti humaniste ou en tout cas une forme de violence envers l'être humain. Après Sad Vacation, j'avais envie de m'éloigner de ce genre d'image. C'est la raison pour laquelle je voulais me tourner vers la science-fiction ou le film historique. Tokyo Park m'a offert l'opportunité d'aborder de nouveaux thèmes. 


Le colocataire fantôme et l'intérêt de la jeune fille pour les films d'horreur faisaient-ils partie du roman ?

Non, c'est nous qui avons rajouté ces éléments. Le fait qu'elle aime les films d'horreur nous a aidé à construire le personnage. Pareil pour le colocataire du personnage principal. Avec mes co-scénaristes, nous nous sommes demandé quel genre de garçon il pouvait être et nous avons eu l'idée d'en faire un fantôme. 


Que représentent les parcs pour les habitants de Tokyo ?

Je ne sais pas comment les Parisiens perçoivent leurs jardins, mais pour les Tokyoïtes, ces endroits leur permettent d'échapper à leur quotidien. Ils ont avec les parcs un rapport intime. Ils s'y rendent pendant leurs congés ou y vont manger et se relaxer pendant la pause de midi. C'est aussi un lieu que les écoliers traversent pour aller à l'école. Comme Tokyo est une ville pleine de bâtiments, de voitures et de bruit, cela leur permet de s'éloigner un moment de la pollution sonore. 


A Tokyo on peut passer d'une rue surpeuplée comme Takeshita Street à Harajuku à des espaces verts très calmes comme le parc de Yoyogi.

En effet, Tokyo, comme toutes les grandes villes du monde est composé de différentes énergies et de différentes strates. J'ai voulu me concentrer sur une de ces strates et la décrire précisément. Le Tokyo de mon film est assez éloigné de l'image qu'on a de cette ville à l'étranger.  


Les personnages aussi semblent construit selon différentes strates. Chacun révèle quelque chose d'inattendu sur sa vie ou sur ses sentiments. 

Oui, peut-être que le fait de vivre à Tokyo - ou sans doute dans n'importe quelle mégalopole - est lié à cette stratification. Chacun présente une façade aux autres et cache les différentes facettes de sa personnalité. J'espère avoir montré des personnages aussi complexes que la ville. La jeune fille semble un personnage très insouciant et joyeux mais en fait elle possède une face très sombre : elle n'aime que les films d'horreur et pense sans cesse à la mort. Sans que ce soit exprimé ouvertement, l'actrice a très bien su faire passer cette dualité. 


Il y a aussi le patron du bar. Au début, on pense qu'il est homosexuel, puis on le voit habillé en femme et finalement on apprend qu'il a été marié. C'est très inhabituel comme façon de construire des personnages et ça les rend très humains.

Je ne suis pas très au fait de la culture gay. Lors de l'écriture du scénario, j'ai réalisé quelques interviews autour de moi. J'ai appris que les homosexuels et les travestis étaient deux catégories de personnes distinctes. Le travestissement du patron du bar n'existait pas dans le roman. Pour moi, le personnage tente par-là de retrouver la femme qu'il a perdu, comme s'il voulait s'identifier à elle.  Je ne voulais pas que les personnages soient trop linéaires. C'est une des possibilités qu'offre le cinéma. 

Par exemple, quand j'ai vu Copie conforme d'Abbas Kiarostami, j'ai eu l'impression qu'il écrivait le scénario au fur et à mesure du tournage. Certaines idées avaient dû apparaître en cours de route, comme de faire des deux personnages un couple. 

Ce film m'a rappelé que le cinéma était une forme d'art qui permet justement ce type d'écriture et de manipulation. 


Le patron du bar qui se travesti pour retrouver l'image de sa femme, le garçon qui retrouve les souvenirs de sa mère en suivant une inconnue, sans parler du motif de la spirale évoquent Vertigo.

Nous avons écrit le scénario à trois et nous avions tous Vertigo à l'esprit. Pourtant nous avons réussi à aller au bout de l'écriture sans jamais prononcer ce titre. Au départ, j'avais l'intention de faire un film qui ne soit pas basé sur quelconque connaissance cinéphilique. Celle-ci a fini cependant par ressortir de façon inconsciente car c'est aussi une des strates qui composent ma personnalité.


Vous avez aussi composé la musique du film.

C'est la première fois depuis Eureka que j'écris la musique d'un de mes films. J'ai l'habitude de confier la musique à Hiroyuki Nagashima. Ma méthode est de le laisser travailler sans lui donner aucune indication. Mais pour Tokyo Park, j'avais le désir de tout changer. Je suis donc revenu à la musique de film. Je note des musiques de référence en écrivant le scénario ou bien je prends ma guitare et essaye de trouver une musique adéquate. Cette fois-ci, j'avais en tête les musiques de Randy Newman. Principalement l'album Songbook vol. 1. où il chante en s'accompagnant au piano. J'avais également à l'esprit Allen Toussaint, qui est un musicien de la Nouvelle Orléans. 


Vous citez une série B un peu oubliée des années 80 : Réincarnation (Dead and Buried) de Gary Sherman, qui est un film de zombie original et poétique.

Oui, c'est un film très étrange. On en parlait beaucoup avec Kiyoshi Kurosawa lorsque je travaillais avec lui. Il est sorti en DVD récemment et je l'ai revu lorsque j'écrivais le scénario. C'était toujours aussi génial. Il faisait donc partie de mon environnement à ce moment-là. J'adore les films de Gary Sherman, même s'il ne tourne plus depuis longtemps.


Avez-vous vous-même tourné l'extrait du film de zombies que les personnages regardent en DVD ?

Oui. Cette scène reflète complètement mon goût personnel. Dans le genre du film d'horreur, ce sont vraiment les films de zombies que je préfère. Je sais que personne ne s'attend à ce que j'aille dans cette direction car on ne me voit pas comme un réalisateur de films d'horreur. J'ai écrit chaque plan de la scène, très précisément, parce que ce genre de film demande une préparation minutieuse. Nous sommes allés jusqu'à créer la jaquette du DVD. 


Le titre Zombies vampires est assez farfelu. 

On a choisi le pire titre possible pour voir jusqu'où on pouvait aller dans la série B, voire Z (rires).


Aimeriez-vous réaliser un long métrage d'horreur ?

Oui j'aimerai beaucoup. Le seul problème c'est que Kiyoshi Kurosawa, qui est mon aîné et presque mon professeur, a excellé dans ce domaine. Jusqu'à présent, j'ai essayé de prendre de la distance par rapport à ce genre mais en réalité, je rêve de tourner un film d'horreur. 


Il y a plusieurs fantômes dans Tokyo Park. Pourquoi n'avez-vous pas développé ce goût pour le surnaturel pendant la vague de J-horror des années 2000 ?

Je me suis tenu éloigné de la J-horror justement pour voir ce qu'il était possible de faire en dehors de ce genre. Les possibilités étaient en fait très réduites, d'abord sur le plan financier. A cette époque, il était beaucoup plus facile de proposer des sujets qui allaient dans le sens de la J-horror pour attirer les producteurs. Depuis que ce mouvement s'est épuisé je me sens paradoxalement plus libre de dévoiler des parties de ma cinéphilie proches du cinéma de genre. Je n'ai toutefois pas l'intention de réaliser un film d'horreur. Sans doute, dans le futur, je ferai des films hybrides qui contiendront peut-être des éléments horrifiques sans qu'on puisse les rattacher à un genre.  

C'est la raison pour laquelle j'aime beaucoup L'Enfer (Jigoku, 1960) de Nakagawa. Il s'y passe tellement de choses imprévisibles qu'on ne sait plus de quel genre de film il s'agit. Psychose fait aussi partie de ce type de film. Le début et la fin ont une tonalité complètement différente.


Dans Sad Vacation, Eureka et maintenant Tokyo Park on retrouve un peu cet esprit. Les personnages empruntent des chemins inattendus pour trouver leur place dans le monde.

Davantage que trouver sa place dans le monde, je dirai plutôt qu'ils passent d'une auberge provisoire à une autre. C'est une forme d'errance. Je ne pense pas qu'il y ait une place définitive à trouver dans le monde. Ce n'est pas quelque chose de véritablement souhaitable : ce serait une sorte de mort. 

Sur ce point, l'exemple de la vie de mon père est assez important pour moi. Mon père est né au Japon et, tout de suite après sa naissance, ses parents sont allés s'installer en Corée. A cette époque, la Corée était encore colonisée par le Japon. Il est ensuite revenu au Japon et a fini par s'installer au nord de Kyushu. Je pense qu'à l'intérieur de moi, je cherche toujours à m'expliquer la vie de mon père. Cela influence certainement ma façon d'écrire mes personnages. 


Est-ce que l'on ressent la catastrophe qui a frappé le Japon à l'intérieur du film ?

Pendant le séisme j'étais dans un studio de mixage en train de concevoir le soud-design. Le film était pour ainsi dire achevé. Donc je ne pense pas que la catastrophe ait eu une influence véritable. Mais il est vrai qu'après le tremblement de terre et Fukushima, j'ai été amené à réfléchir sur le sens de mon travail. J'ai commencé à ressentir une forme de blocage. Heureusement il a fallu mettre en scène Glengarry Glen Ross de David Mamet qui est en représentation actuellement.  Cette expérience de théâtre était nouvelle pour moi et m'a permis d'avancer.

Finalement à l'issue de ces réflexions sur la position que je devais adopter, j'en suis arrivé à la conclusion que je ne devais pas changer et que je devais continuer malgré tout. J'ai toujours été conscient du problème nucléaire au Japon et je m'y suis toujours opposé. Par rapport aux gens qui ont subi la catastrophe et aux réfugiés, je ne peux que continuer à faire mon travail et à tourner des films qui, j'espère, leur sembleront intéressant. 

Propos recueillis à Tokyo le 13 juin 2011

Interprète Eleonore Mahmoudian











lundi 26 avril 2021

Tokyo des ruelles



Je réécoute souvent avec plaisir Tokyo Ville-monde, l’émission de France Culture qui est une balade dans la ville, où l’on croise des cinéastes aimés comme Kiyoshi Kurosawa et Shinji Aoyama ou le photographe Masataka Nakano, qui parlent de fantômes, d’une cité soudainement déserte ou de parcs où l’on peut aller à rebours du temps (voir ici). Un passage me plait particulièrement, lorsque l’écrivain Michael Ferrier compare Venise et Tokyo, et dit que les ruelles ont été construites sur d’anciens cours d’eau et bras de rivière. Il dit aussi qu'elles avaient pour but de protéger le palais du shogun des attaques de clans séditieux, emprisonnant les samouraïs dans des goulots. Si l’on s’éloigne des grandes avenues qui traversent la ville, Tokyo est selon l’expression consacrée une « mégalopole de village », chacun étant un labyrinthe de ruelles. Par celles-ci, Tokyo rejoint d’autres villes fantomatiques que sont Venise et Lisbonne, ce qui explique peut-être le culte qui entoure au Japon Fernando Pessoa. 

Pourquoi les ruelles sont-elles à ce point liées au fantastique et aux rêves ? Dans Opération peur de Mario Bava, je suis toujours enchanté par les ruelles gothiques embrumées qui forment le village hanté par Mélissa l’enfant spectrale. Elles me rappellent celui de mon enfance dans le Var et ses rues étroites, faiblement éclairées par des lampadaires en forme de lanterne, qui montaient jusqu’à la porte médiévale : empilement de maisons en pierre sinistres aux portes de garages en bois et aux volets fermés. Les traverser la nuit donnait le frisson : une main pouvait nous attraper et nous faire disparaître à jamais dans les ténèbres. Parfois j’y retourne dans mes rêves. Les ruelles de Tokyo sont tout autant hantées mais je n’y ai jamais peur. 

La ruelle est un endroit magique et l’hypothèse que ses serpentements épouseraient le souvenir de cours d’eau est fascinante. C’est ce qui explique peut-être pourquoi l’on part à la dérive dans Tokyo et que l’on soit portés par ses courants occultes. Ruelles de Kabukichô, où en marge des pachinkos et du Robot Restaurant, on peut se perdre dans un club secret de travestis. Ruelles de Nakano qui convergent vers l'Hotel World Kaikan et ses énigmatiques locataires (voir ici). Ruelles de Yanaka, où l’on peut voir glisser la silhouette équivoque de Shizuko, la femme fatale de La Proie et L’Ombre d’Edogawa Ranpo. Ruelles d’Asakusa et de Tamanoi où les ombres des écrivains Yasunari Kawabata et Nagai Kafû recherchent la maison close des Belles endormies ou celle de la prostituée O-Yuki. Dans certaines, le soleil ne pénètre pas ou si peu, et c’est là où se trouvent comme à Yanaka les commerces les plus désuets comme ces petits bazars tenus par les obachan où se côtoient outils, barils de lessives, cigarettes et conserves. Les ruelles sont l’espace étroit qui conduit à l’autre monde, et l’on ne s’étonnera pas qu’à Tokyo comme dans les autres villes qui n’ont pas rompu le contact avec leurs familiers, qu'elles soient aussi le territoire des chats.  



mardi 23 février 2021

Les sorcières de l'Orient





J'ai écrit pour le Festival de Rotterdam un petit texte sur Les sorcières de l'orient de Julien Faraut, réalisateur de L'Empire de la perfection. Un excellent documentaire sur une équipe de volley féminine des années 60, mythique au Japon.

Sur le site du festival ici



A voir ces quatre obachan (grand-mères) papoter joyeusement dans un restaurant, qui se douterait qu’elles furent les sportives japonaises les plus célèbres de leur temps ? Julien Faraut, auteur du magistral L’Empire de la perfection consacré à John MacEnroe, s’intéresse ici à d’autres championnes, bien plus méconnues en Occident : les « Sorcières de l’Orient », équipe féminine de volleyball qui remporta la médaille d’or aux jeux olympiques de Tokyo en 1964. Symboles d’un Japon qui allait montrer aux yeux du monde son dynamisme et tirer un trait sur les sombres années de guerre, elles sont issues du milieu ouvrier, plus précisément d’une usine de textile de Kaizuka dans la préfecture d’Osaka. 

Julien Faraut fait apparaître la réalité de l’entraînement derrière ce parcours flamboyant de 258 victoires. Après leur journée d’usine, ces jeunes filles à peine sorties de l’adolescence mettaient leurs corps et leurs réflexes à l’épreuve d’une discipline de fer. Il faut les voir, dans de fascinantes images d’archive, se faire bombarder sans relâche par les ballons de leur entraîneur. Le cinéaste va justement s’intéresser aux images elles-mêmes, comme un signe de la mutation du Japon vers les médias de masse. D’ouvrières, les jeunes filles sont transformées en sportives, puis en personnages de mangas et enfin de dessin animé. Les mangas spécialisés dans le sport étaient jusque-là réservés aux garçons et souvent centrés sur le base-ball. A travers les exploits des volleyeuses les filles pouvaient s’imaginer les héroïnes d’un évènement mondial. 

L’apport des Sorcières de l’Orient à la société et à la pop culture japonaise dépasse ainsi le cadre sportif.  Julien Faraut mêle les images de matchs à celles du dessin animé en un montage trépidant, confondant les joueuses et leurs représentations dessinées. Les jeunes filles semblent pourtant imperméables à cette starification, tous leurs efforts étant concentrés sur les quelques mètres carrés du stade. Le cinéaste respecte leur éthique en n’exposant pas leur vie privée et en les considérant d’abord comme une équipe et un groupe d’amies. 

Bien que musicalement et visuellement Les Sorcières de l’Orient soit extrêmement sophistiqué, Julien Faraut sait aussi s’effacer lors du match décisif des jeux olympiques. C’est un plaisir de revivre les grands moments de l’affrontement contre l’équipe russe, décuplé par notre connaissance de leurs surnoms et de leurs visages. 

Autre facette de ce passionnant documentaire : la personnalité de leur entraîneur, Hirofumi Daimatsu, surnommé « Daimatsu le démon », aussi dur et exigeant qu’un maître d’arts martiaux. Vétéran de la seconde guerre mondiale, Daimatsu était parvenu à survivre dans la jungle birmane pendant des semaines, ne perdant pas un homme de son bataillon. Sans doute est-ce cet esprit combatif et solidaire qu’il transmet à son équipe. La victoire des Sorcières de l’Orient anticipe les guerres culturelles et industrielles que le Japon du miracle économique allait mener dans cette seconde moitié du XXe siècle.



Seeing the four obachan (grandmothers) together, chatting happily in a restaurant, who would suspect that they were once the most famous Japanese sportswomen of their time? Julien Faraut, director of the masterful L’empire de la perfection (2018) devoted to tennis player John McEnroe, is interested here in other champions, much less known in the West: the ‘Witches of the East’, a women’s volleyball team that won the gold medal at the Olympic Games in Tokyo in 1964. Symbolising a Japan that would show the world its dynamism, and drawing a line under the dark years of war, they came from the working class. To be more precise, from a Kaizuka textile factory in Osaka prefecture. 

Julien Faraut brings to light the reality of the training behind this blazing course of 258 victories. After their working day at the factory, these young girls, barely out of their teens, tested their bodies and their reflexes with an iron discipline. Just look at them, in fascinating archive footage, being bombarded relentlessly by their trainer! The filmmaker is clearly and justly interested in the images themselves, as signs of Japan’s transformation towards mass media. From workers, young girls are transformed into sportswomen, then into manga characters and finally into cartoon characters. Until then, manga specialising in sports had been reserved for boys, often centred around baseball. It was through the exploits of these volleyball players that girls could imagine themselves as heroines of a world event.

The influence of the Witches of the East on Japanese society and pop culture therefore goes beyond sport. In a lively montage, Faraut mixes images of matches with those of the cartoons, fusing the players and their drawn representations. The young girls, however, seem impervious to this ‘starification’, all their efforts being concentrated on the few square metres in the stadium. The filmmaker respects their ethics. He does not expose their privacy, seeing them foremost as a team and a group of friends. 

Although musically and visually Les Sorcières de l’Orient is extremely sophisticated, the filmmaker also knows how to step aside in the decisive match of the Olympics. It’s such a pleasure to relive the great moments of the clash against the Russian team, enhanced by our new knowledge, recognising their faces and nicknames. 

There is another facet of this fascinating documentary: the personality of their trainer, Hirofumi Daimatsu, nicknamed ‘Daimatsu the demon’, who is as tough and demanding as a master of martial arts. A World War II veteran, Daimatsu had managed to survive in the Burmese jungle for weeks without losing one man from his battalion. No doubt it is this combative spirit of solidarity that he transmitted to his team. And so, the victory of the Witches of the East anticipates the cultural and industrial wars that the Japan of the economic miracle would wage in the second half of the 20th century.


samedi 6 février 2021

Tokyo 1970. 75 visages.

Pendant les dernières minutes de Jetons les livres sortons dans la rue, Shuji Terayama en un long travelling, tire le portrait de son équipe, acteurs musiciens, mais aussi artistes ou simples vagabonds de Shinjuku.