mardi 12 septembre 2017
Aux écoliers japonais
Novövision, Yves Adrien, 1980
All About Lily Chou-Chou, Shunji Iwai, 2001
Ernest Shackleton, L'expédition Endurance, 1915
dimanche 10 septembre 2017
Femmes damnées
Guilty of Romance
Izumi, nue devant son miroir, répète inlassablement, comme un mantra, son boniment de vendeuse de supermarché. La scène est l’une des plus belles de Guilty of Romance et l’une des plus violentes. Bien qu’épouse d’un riche écrivain, la jeune femme observe, dans toute sa trivialité, son statut de prolétaire d’une classe masculine dominante. Femme au foyer en tablier de soubrette, vendeuse de saucisses, modèle pornographique, prostituée… Izumi passe d’un état d’exploitation à l’autre et traverses les sous-mondes cauchemardesques de la société japonaise. De l’aveu de Sono Sion, le titre Guilty of Romance peut se lire comme « Les crimes de l’amour », faisant d’Izumi une innocente Justine tokyoïte qui trouve, en la démoniaque Mitsuko, sa Juliette et son initiatrice. Professeur d’université, Mitsuko devient la nuit une prostituée folle et violente qui hante les ruelles de Maruyama, le quartier des love hotels de Tokyo. Là, en marge des palais rococo abritant les couples illégitimes, se dissimule le lieu des plus terrifiantes dégradations : un love hotel en ruine, anamorphose infernale du foyer des deux jeunes femmes. En référence à Kafka, Mitsuko appelle le lieu de débauche le Château et vient y expier l’amour incestueux qui lui brûle les entrailles. Izumi aura elle aussi la révélation des mensonges de son foyer mais son propre château se trouve ailleurs, au plus bas du marché de la chair.
Mitsuko détient l’expérience sexuelle mais, comme professeur de littérature et « narratrice » sadienne, maîtrise aussi le pouvoir des mots. « Savoir le japonais et quelques mots de langues étrangère » (Sono Sion reprend ici la poésie de Ryuichi Tamura, On my way home) est le trésor et la malédiction que se transmettent les deux femmes. Mitsuko achève l’initiation de la jeune épouse par : « Maintenant tu comprends le sens des mots Izumi Kikuchi. » Izumi prend alors conscience du monde où elle évolue et de sa propre valeur marchande. Sono Sion refuse toute rédemption à ses personnages mais n’en fait pas pour autant les simples marionnettes de son théâtre de la cruauté. Il poursuit davantage l’érotisme noir des auteurs de roman porno des années 70 comme Masaru Konuma ou Noboru Tanaka. Les bourgeoises modèles, idéalement incarnées par Naomi Tani, étaient humiliées, soumises, contraintes mais dévoilaient soudain un autre visage, transfiguré par le désir. Pétrifié, leur maître réalisait qu’il n’avait jamais été qu’un intermédiaire entre la femme et son propre plaisir. Au fond, les dispositifs sadiques n’avaient pour but que de contenir, sans succès, une sexualité féminine médusante, redoutée par la société. Sono Sion saisit lui-aussi ce basculement sur les visages de ses deux fascinantes actrices, la sensuelle Megumi Kagurazaka (Izumi) et l’androgyne Makoto Togashi (Mitsuko), qui se métamorphosent en démons échevelées pour briser leurs jougs.
Bien qu’il n’use pas de symboles aussi apparents que les cordes du cinéma SM, Sono Sion montre des héroïnes également asservies, prises au pièges d’espaces dominées par l’autorité masculine : pour Izumi un appartement lumineux et aseptisé, pour Mitsuko un sombre manoir gothique avec mère folle et peinture maudites. N’être jamais vraiment vue et désirée par son mari anéanti Izumi. C’est en revanche le regard omniprésent d’un père vampirique, qui l’a peinte et figée dans une relation incestueuse, auquel Mitsuko ne peut échapper. Dans la fureur désespérée des deux femmes pour se soustraire à cette emprise, Sono Sion retrouve la grande dimension formaliste et expérimentale du cinéma japonais des années 60 et 70 : c’est le visible lui-même qui cède et les couleurs qui explosent sur les corps. Si, après l’apocalypse, la mort et les ténèbres, il ne reste qu’un monde réduit aux seules pulsions, celui-ci n’est pas exempt d’une joie secrète. Chez Oshima, dans L’Empire des sens, c’est le visage radieux d’Abe Sada, conservant le pénis tranché de son amant. Dans Guilty of Romance, c’est le sourire énigmatique d’Izumi qui pisse devant un groupe d’enfant sur une plage au crépuscule, et trouve le regard qui la fait exister.
Critique parue dans Les Cahiers du cinéma, n°680, juillet-août 2012
dimanche 9 juillet 2017
Deux jours à Paris avec Necronomidol
Après avoir exploré dans leurs clips
l’univers ténébreux de Necronomidol, les rencontrer à Paris en plein soleil de
juillet, était une drôle d’expérience. Dès leur sortie du van noir, costumées et maquillées, c'était comme vivre un rêve en plein jour. Il y avait bien Risaki, la farouche jeune
guerrière, Himari la beauté fatale aux très longs cheveux noirs, l’innocente
Rei, la poupée diabolique Hina, et bien sûr Sari, la malicieuse sorcière aux
cheveux verts avec sa tarentule sur la joue. Dans l’appartement où se déroulait
l’interview, elles adoptèrent immédiatement Misa, une petite chatte qui fut
l’objet de toutes leurs attentions. Mais si Misa était enchantée de
rencontrer de jeunes humaines lui ressemblant à ce point, pour nous c’était de
découvrir que les Necronomidol n’étaient en rien des poupées mais des jeunes
filles cultivées, pouvant aussi bien parler du chamanisme (une donnée
essentielle de leur musique) que de l’illustrateur eroguro Toshio Saeki, d’Edogawa Ranpo, de Mishima ou Tanizaki.
Cette volonté de former un groupe d’idolu dark et raffiné est le fait de leur producteur Ricky
Wilson. Cette double nationalité, nippo-américaine, explique aussi le caractère
inattendu de leur musique, passant de l’électro au métal, de la comptine
gothique aux mélopées chamaniques inspirées de JA Seazer, le compositeur de Terayama.
Le lendemain, à l’Espace B, c’était l’occasion
rare de les découvrir sur scène. L’objectif de leurs spectacles est d’emmener
le public chez elles, ni à Shibuya, ni à Akihabara, mais sur une contrée lunaire,
parfois neigeuse ou des forêts à l’organicité dérangeante abritent les temples
d’anciens cultes shinto. Elles y parviennent par leur chant et leurs
chorégraphies, sans éclairage ou décors. Ce sont des musiciennes mais aussi des
actrices et surtout des conteuses.
Il faut voir Hina avec ses couettes retenues
par un ruban rouge, tournant sur elle-même comme une figurine de boîte à
musique ; la marquise des araignées Sari devenant une poupée d’un conte d’Hoffmann ;
la fièvre tragique de Risaki, qui en sueur et les yeux presque révulsés, paraît
combattre des démons invisibles ; l’étrange bonne humeur de Rei au milieu
de ses compagnes possédées ou encore Hina, hiératique, avec sa longue robe de
prêtresse. Devant ses tableaux en mouvement perpétuel, passant du ballet d’automates
à de vertigineux tourbillons de derviches tourneurs, on perd en effet toute notion
du temps et de l’espace.
L’interview avec Necronomidol
sera publiée sur le site Asian Winds.
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J-pop,
Musique,
Necronomidol
jeudi 22 juin 2017
Les funérailles de Laura Palmer à Tokyo
Le 23 février 1992, des centaines de fans japonais de Twin Peaks assistaient aux funérailles de Laura Palmer à Tokyo.
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Cinéma,
David Lynch,
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Urbangarde
mardi 20 juin 2017
Richard Brautigan, encore une histoire de fantôme à Tokyo
Natif de Tacoma dans l'état de Washington, Richard Brautigan habitait le Montana
mais son autre pays était le Japon.
Un Japon d’abord ennemi comme il le
raconte dans l’avant-propos de Journal japonais, avec cet oncle qui mourut des suites d’une blessure causées par un bombardement sur les côtes du
Pacifique et dont le fantôme hanta le jeune Brautigan. Le Japon, il y viendra
plus tard, par les haïkus de Bashô, par la peinture et le cinéma, avant de rencontrer
le Japon réel au milieu des années 70. Ce n’est pas étonnant non plus qu’entre
le Montana et le Japon, ce soit un mort qui guide Brautigan, et que les
histoires de fantômes, ces kaidan japonais, circulent entre les deux pays.
Pas seulement bien sûr : il y a les histoires de gueules de bois, dont je ne sais pas si elles constituent un
genre littéraire, mais qui sont aussi un pont entre le Montana et le Japon !
Tokyo-Montana-Express (1980) est le plus beau livre jamais écrit.
On ne peut pas oublier le boucher aux
mains froides, le loup-garou dissimulé dans un buisson de framboises, la plus
petite tempête de neige du monde, la gueule de bois sculptée comme un objet de
l’artisanat populaire, les 390 photos d’arbres de noël, le dernier menu des
condamnés à mort, et on ne peut pas non plus oublier ce bar dont toutes les
serveuses sont identiques, le temple de la carpe à Shibuya, le kaidan de la brosse à dents, les
spaghettis préparés pour les amis japonais,
et l’irrévocable tristesse de son merci beaucoup. On ne peut pas oublier
le gamin japonais noyé et ses tennis « trempée et très froides, et
aussi lourdes d’une blancheur étrange, silencieuse absolument. »
L’autre grand livre de Brautigan est Journal
japonais, et ses 77 poèmes écrits entre le 13 mai 1976 et le 30 juin.
Par exemple : « les
chauffeurs de taxi ne ressemblent pas à leur photographie (…) De parfaits
inconnus conduisent ces taxis. »
Et pas mal de moments d’inexistence
qu’on a tous connus au Japon, sans forcément trouver cela désagréable.
Comme dans Tokyo-Montana-express, il y a aussi un texte sur un film érotique.
Lorsqu’il visite le Japon dans les années 70, c’est la grande vogue des roman porno et pinku eiga, films que Brautigan ne peut pas voir en Amérique. Dans Tokyo-Montana-express, Le Château de la
fiancée des neiges, le film le plus sensuel jamais tourné, provoquant des érections
fabuleuses, s’évaporait comme un fantôme, et ce qui disparaissait n’était pas
seulement le film mais le cinéma lui-même, remplacé par un petit jardin public.
Je n’ai jamais identifié même une partie du film dont parle Brautigan.
En revanche, le Fauteuil rouge dans Journal japonais est bien connu puisqu’il
s’agit de La Maison des perversités (1976)
de Noboru Tanaka d’après Edogawa Rampo.
On notera la fin délicieuse du poème
prouvant que Brautigan avait tout compris de l’eroguro.
Chez Tanaka, la femme qui est l’objet
de la passion de l’homme dissimulé dans le fauteuil est Junko Miyashita, la
femme aux cheveux rouges, l’autre Abe Sada, qui mériterait à elle seule un
recueil de poèmes amoureux.
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Junko Miyashita,
Littérature,
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Richard Brautigan
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