Le
temps et les anniversaires sont des obsessions pour les personnages de Sono
Sion. La jeune épouse de Guilty of Romance, quelques jours avant
l’anniversaire de ses trente ans, dérive vers le quartier des love hotels de
Shibuya et la prostitution. Le cinéma de Sono Sion est existentialiste, si tant
est qu’on veuille encore donner à ce mot un sens et qu’on soit préoccupé
par la seule chose qui nous soit léguée à la naissance.
Anniversaire
1. Je suis Sono Sion (Ore Wa Sono Sion da !, 1985)
Un
de ses premiers court métrages, tourné en école de cinéma, Je suis Sono Sion
relate les derniers jours du cinéaste avant son anniversaire. Une série de
saynètes parfois cocasses (il taquine une amie en imitant sa voix aigüe),
drôles et angoissantes (un punk, tendance new wave japonaise, lui rase la tête
malgré ses supplications), classiquement surréalistes (il embrasse des statues)
et une symbolique que l’on retrouvera dans ses futurs films (pantomime dans un
appartement vide)... mais le fond du film est cette affirmation : je suis Sion Sono.
L’anniversaire
de Sion marque la fin du film, et donc sa naissance comme cinéaste : le 6
décembre à 21h30 et 30 secondes. C’est son anniversaire mais ses images sont
noires, sa pellicule n’étant pas assez sensible... pas complètement noire bien
sûr, mais remplies d’accidents, de taches, de floutés colorés et, par l’usure
du temps, de rayures expérimentales. Ces images défectueuses ne sont pas une
fin, mais contiennent toute une potentialité tumultueuse.
Anniversaire
2. Bicycle Sigh (Jintensha toiki, 1990)
Un
personnage, à tête de gorille, s’introduit dans la chambre d’un apprenti
cinéaste. Il déclenche le projecteur super-8, mais la pellicule, sortie de la
bobine, se déverse sur le radiateur et fond en même temps que se déroule la projection. Sur le mur, une jeune fille court dans un pré, et puis s’éloigne au
fond de l’image. Elle disparaît en même temps que se désagrège la pellicule.
Le film du souvenir passe dans
une chambre vide, pour personne (car le gorille n’existe pas, bien sûr), et
s’efface peu à peu. C’est une des belles idées du premier long métrage de Sono
Sion, sur la vie fantaisiste, mais solitaire et mélancolique, de deux
adolescents.
Ils
croient qu’une société secrète veut faire disparaître les habitants de «10 chi
street, Nakamachi,Toyokawa» ; un acteur fantôme, avec un masque de Godzilla,
apparaît dans leurs films ; Shiro (Sono Sion) se déguise en super-héros (goût
du travestissement que l’on retrouve dans ses futurs films) pour sortir son ami
de l’hôpital.
Le
1er janvier Shiro passe son anniversaire, ivre mort, écroulé dans le couloir
d’un métro désert. Quant à au cinéaste, il gâche la rencontre avec la
famille de la fille qu’il aime.
Par
la progression de leur imagination, les deux amis (en fait les deux doubles de
Sono Sion) parviendront pourtant à s’évader de Toyokawa. Dans le court métrage
qu’ils tentent de finir, une des bases d’un terrain de base-ball quitte sa
trajectoire, se poursuit sur la route, jusqu’à l’océan. Il faut entrer dans le
film - devenir cinéaste - pour sortir du quotidien.
Anniversaire
3. Keiko desu kedo (1997)
Keiko,
prise aussi dans le décompte des jours jusqu’à ses 28 ans, est également
obsédée par le temps et les réveils.
Elle invente des comptines, disant "bonjour" et "au revoir" aux secondes. Elle
filme des bulletins d’informations (Keiko’s News Today), jouant une
présentatrice surexcitée commentant sa journée. Mais qu’a-t-elle fait à part
marcher dans la rue, prendre le métro et boire un café ?
Et tout se brise lorsqu’elle apparait sans maquillage ni perruque, et regarde
tristement la caméra. Aujourd’hui, elle n’a rien fait, il ne s’est rien passé,
elle a à peine existé. Elle n’a fait que vieillir imperceptiblement. Dans un
autre plan, un des plus beaux, Keiko est immobile, d’une fixité photographique,
sans même un battement de cil. Seul mouvement dans l’image : la trotteuse du
réveil poursuivant sa révolution obstinée... et la faisant vieillir, de seconde
en seconde.
Keiko
finira pourtant par s’évader de son monde d’objets et de solitude. Comme plus
tard la policière de Guilty of Romance courant après le camion à ordures avec ses sacs poubelles, elle traverse
son quartier, puis atteint un paysage de neige, aussi blanc que sa maison
étaient emplie d’objets colorés.
Love
exposure, le chef d’œuvre de Sono Sion est surtout une suite de recommencements
et de nouveaux départs...
Il
n’y a jamais de fatalité dans les films de Sono Sion. Pas même celle du temps.
Tout est toujours possible.