Il y a bientôt 10 ans lors de mon
premier voyage à Tokyo, j’entendais dans la nuit d’août une sorte de
grésillement ininterrompu, un peu métallique, que j’attribuais naïvement aux
lignes électriques apparentes. Tout me semblait tellement irréel qu’au fond
Tokyo pouvait avoir un son n’appartenant qu’à lui. Lorsque j’ai appris qu’il s’agissait
du chant des cigales, j’ai trouvé la réalité encore plus étrange. Des cigales
en plein cœur de Tokyo…
Le recueil de textes de Lafcadio Hearn consacrés aux
insectes m’apprend qu’on dénombre au Japon sept variétés de cigales ou « sémi ». En été, j’entendais probablement
la « Mimmin-zémi » qui « se met à chanter au moment des
grandes chaleurs » ou bien la « Tsuku-Tsuku-Bôshi »
qui apparaît au « lendemain de la fête des morts » donc au mois d’août.
Ces listes d’insectes avec leurs noms et leurs particularités font toute la
poésie du livre et nous renvoient à ce Japon magique, toujours présent même au cœur
des mégalopoles. On connait bien sûr Hearn pour ses kaidan ou histoires de l’au-delà, qui sont la base des récits de
fantômes japonais. Hearn était un « folkloriste » mais il rajoutait
une dramaturgie et des descriptions terrifiantes héritées de son Irlande natale,
berceau de la littérature fantastique du XIXe siècle (Bram Stoker, Oscar Wilde,
Sheridan Le Fanu).
Aout 2016. Une cigale à Shinjuku. |
On comprend bien vite qu’Insectes
est un nouveau recueil d’histoires de fantômes. Comme les spectres, les
insectes cohabitent avec les hommes tout en demeurant la plupart du temps
invisibles. J’en avais fait l’expérience avec mes cigales dont je n’entendais
qu’une manifestation. Près du sanctuaire
Meiji du parc de Yoyogi, je trouvais quelques cadavres sur le sol. Ce n’étaient
que des enveloppes fragiles, vides et desséchées par la chaleur, comme si quelque
chose qui était la cigale avait
quitté sa forme terrestre.
L’autre correspondance entre les insectes et les fantômes est leur faculté à héberger les âmes des défunts. Ainsi ce grand papillon blanc, fantôme d’une adolescente, qui vient cueillir l’âme de son fiancé au moment de sa mort, cinquante ans plus tard. Cet homme qui revient sous l’apparence d’une mouche pour demander un service bouddhiste et accéder à une réincarnation plus correcte. Et bien sûr il y a les lucioles, dont une variété se nomme « yurei-otaru » ou luciole fantôme. L’intérêt du texte est davantage ici économique que fantastique, Hearn nous relatant un véritable commerce des lucioles, enfermés dans des lanternes et servant à décorer les restaurants ou les banquets. La libellule est bien sûr toute désignée pour être dotée de facultés fantastiques : la « shôrai-tombô » ou « libellule des morts » servirait ainsi de montures ailée aux esprits.
L’autre correspondance entre les insectes et les fantômes est leur faculté à héberger les âmes des défunts. Ainsi ce grand papillon blanc, fantôme d’une adolescente, qui vient cueillir l’âme de son fiancé au moment de sa mort, cinquante ans plus tard. Cet homme qui revient sous l’apparence d’une mouche pour demander un service bouddhiste et accéder à une réincarnation plus correcte. Et bien sûr il y a les lucioles, dont une variété se nomme « yurei-otaru » ou luciole fantôme. L’intérêt du texte est davantage ici économique que fantastique, Hearn nous relatant un véritable commerce des lucioles, enfermés dans des lanternes et servant à décorer les restaurants ou les banquets. La libellule est bien sûr toute désignée pour être dotée de facultés fantastiques : la « shôrai-tombô » ou « libellule des morts » servirait ainsi de montures ailée aux esprits.
Comme il y a
une littérature des fantômes, il y a une littérature des insectes, souvent sous
la forme de poèmes, des hokku
(première forme des haïkus) ou tanka.
Ces quelques vers recèlent souvent une énigme dont Lafcadio Hearn nous donne la
clé. Ainsi, pour exprimer l’amour caché d’une femme : « Quand tombe
le soir, mon âme brûle plus ardemment que la luciole ; mais ce feu ne peut
se voir et l’aimé reste insensible ».
Le moment le plus poétique du livre
revient à Hearn lui-même dans le chapitre consacré aux moustiques. Il relate
une polémique de son temps sur la forte affluence de moustiques dans les
cimetières à cause des bols d’eaux laissés en offrande aux défunts. Mais peu à
peu, comme si la mélancolie du mois d’août le gagnait, les moustiques sont
oubliés, et Hearn pense à sa propre sépulture et au repos de son âme.
« D’ailleurs lorsque sonnera l’heure
de mon départ définitif, j’aimerai être déposé dans l’un de ces vieux
cimetières bouddhistes. Ainsi les fantômes qui me tiendront compagnie seront
anciens et ne se préoccuperont ni des modes, ni des changements, ni des
désintégrations de l’ère Meiji. Le vieux
cimetière au fond de mon jardin conviendra très bien. Tout y est beau, d’une
beauté presque effrayante ; chaque arbre, chaque pierre y a été formé par
un idéal si antique que nul cerveau moderne ne saurait le concevoir… et les
ombres qui s’y cachent n’appartiennent ni à ce temps-ci, ni à ce soleil. »
Insectes de
Lafcadio Hearn (Les Éditions du Sonneur), Traduction de l’anglais et préface
d’Anne-Sylvie Homassel.
Le site des éditions du Sonneur ici
(illustration d'ouverture Keisai Eisen, période Edo)